Un p’tit dernier pour la route...

, par Jean-Pierre Fouetar


« Les Autrichiens ressemblent à des hérissons qui traversent la grande route sans regarder les voitures qui roulent à vive allure »
Christopher Clarke, Les somnambules (2012)

1- Lors des prochaines élections (pas celles du 7 juillet, les suivantes), les urnes ne seront plus disposées sur une table mais placées sur une console située à 1,70 mètre du sol, de façon à ce que les gens puissent plus commodément voter le bras droit tendu, le regard fixé sur la photo géante de Jordan ornant le mur du réfectoire de l’école maternelle provisoirement transformée en caverne du suffrage universel.

2- Cette manie des stars du ballon rond, des chanteuses d’Eurovision, des acteurs à la mode de nous balancer leurs consignes de vote – comme si nous n’attendions que leur oracle pour nous décider ! Ils.elles passent leurs nuits à méditer sur le destin du pays et les arcanes de la vie politique, ils.elles ont assurément vocation à nous guider d’une main ferme dans nos choix en matière de bien commun et d’intérêt public ? Et s’ils se contentaient de faire de qu’ils savent faire, plus ou moins bien – dribbler, pousser la chansonnette, jouer les inspecteurs de police dans une série poussive, à la télé ?

3- Là où le crétinisme parlementaire de la gauche institutionnelle comateuse se confond avec la démence sénile : ils vont voter pour Darmanin, Borne et autres ennemis du peuple déclarés, toute honte bue, et ce sera là leur No pasarán ! opposé aux fascistes. Le pire, c’est que cette maladie incurable est contagieuse : il se trouvera encore quelques égarés transis par la trouille pour suivre la consigne. Au nom du réalisme – dans le registre du détournement des mots et de l’art de les priver de leur sens élémentaire, on préférait encore le réalisme socialiste. Celui-ci au moins nous apportait quelques satisfactions inavouables – notre petit faible pour le kitsch.

4- Mon grand-père qui était vitrier sur les pentes de la Croix-Rousse, à Lyon, ne disait jamais « les Italiens » mais toujours péjorativement « les Macars », pour « macaronis », comme les adeptes de Bardella affublent aujourd’hui les Arabes et les musulmans de toutes sortes de noms d’oiseaux. D’obscurs litiges couvaient derrière ce mot de l’hostilité, remontant au temps des migrations transalpines et à la Première guerre mondiale. Ceux que les Bardelliens d’aujourd’hui dénigrent dans les termes les plus abjects auront-ils leur chance, un jour, devenus à leur tour des natifs approximatifs (à l’instar de Bardella), de se défouler bassement sur les derniers arrivants ?

5- Une longue expérience nous apprend que ceux qui se sont volontairement crétinifiés à l’occasion d’une péripétie électorale ne reviennent jamais dans notre giron, ils ne seront plus jamais des amis, nous ne serons plus jamais en communion de pensée avec eux. On ne se guérit pas de s’être livré à l’ennemi, d’avoir, l’oreille basse, accordé son suffrage à un ennemi du peuple. On s’est adonné au grand dégoût, on y a perdu l’estime de soi, c’est un pli qui ne s’efface pas.

6- « Pour la première fois de ma vie depuis trente ans, je me sens autrichien et désire donner une seconde chance à cet empire dans lequel je ne plaçais que peu d’espoir. Toute ma libido est offerte à l’Autriche-Hongrie » – Sigmund Freud, alors âgé de cinquante-huit ans, à l’annonce de la déclaration de guerre de l’Autriche à la Serbie, le 28 juillet 1914. Une libido à dix millions de morts, donc, ça c’est de l’instinct de mort de haute densité – ou je ne m’y connais pas... Tout ceci en administrant la preuve, une fois de plus : on peut être un pur génie dans sa partie et con comme un plumeau dans d’autres, le domaine politique notamment. Cette remarque vaut également pour les génies connus et méconnus qui s’apprêtent à barrager républicain comme des bêtes au second tour des Législatives.

7- En raison du second tour des élections législatives et de leur résultat (glorieux, forcément glorieux) attendu, la messe de dimanche matin en l’église Saint-Romain sera exceptionnellement remplacée par un concours de bites (la plus grosse, la plus belle...). Le jury sera constitué, par tiers, des gourgandines de la commune, des dames patronnesses et des mères célibataires. Le premier prix sera remis conjointement par M. le Maire, M. le curé et M. le Gauleiter tout juste nommé.

8- La France est un pays qui ne pense plus à rien, où l’on ne sait plus enchaîner une idée sur une autre, en état de catatonie avancée. La guerre civile sera l’électrochoc qui reconduira les zombies qui la peuplent au réel.

9- On ne saurait entièrement exclure qu’il reste encore un.e communiste ou deux au PCF – mais ils.elles se cachent quelque part, toujours plus indétectables...

10- Dans les conditions actuelles, l’emporteront fatalement ceux.celles qui votent pour quelque chose et non pas ceux.celles qui s’attroupent peureusement contre une menace imminente qu’ils n’ont pas su se déterminer à affronter – et pourtant, ce n’est pas le temps qui leur a manqué, depuis le temps qu’on la voit venir... Au temps où la démocratie parlementaire avait encore une sorte de cœur battant, les électeurs votaient pour un parti dont ils pensaient, à tort ou à raison, qu’il les représentait. Lorsque ceux qui votent encore dans un horizon de positivité, qui pensent ou croient savoir pour quoi ils votent sont les pèlerins du néant, le parti du nihilisme et de la méchanceté ontologique, les micro-fascismes agglomérés des petits blancs enragés, et lorsqu’inversement, ceux qui pensent incarner les normes civilisées, les valeurs universelles et la décence humaine sont confinés dans le non, voués à l’agglutinement des peurs et des aversions, au hoquet de dégoût collectif, éloignés de toute espèce de positivité – alors le vote n’est plus qu’une messe noire et un rite émétique. Ceux.celles que n’ont pas déserté toute puissance de vie s’en tiendront à l’écart.
Les élections, c’est devenu la saison où triomphe la religion du moindre mal, l’heure des attroupements éplorés ou, à l’opposé, des cris de vindicte – le domaine politique, devenu étranger à toute puissance positive, abandonné aux passions viles. Les cerveaux se liquéfient, le sens commun s’y égare – la supposée fraction éclairée des élites se rallie à ceux qui ont inlassablement fait le lit du fascisme, y voyant le seul moyen d’endiguer le fascisme. Des gens qui brillent dans leur domaine de spécialité y deviennent les idiots utiles des somnambules de la politique parlementaire. C’est une pandémie, un virus qui détruit le discernement politique des gens les mieux équipés pour raisonner et opiner, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Et cela se répète sans fin et, chaque fois, sous une forme toujours plus pathétique, aggravée, désolante.

Jean-Pierre Fouetar