Une police gay friendly – illustration d’un cynisme d’Etat
« Chapeau l’artiste ! ». Adressée à François Hollande, l’expression s’impose aujourd’hui, à l’occasion de l’hommage national rendu à Xavier Jugelé, le policier tué sur les Champs-Elysées le 20 avril dernier. Se trouve condensés, dans cet événement commémoratif, de façon pour ainsi dire chimiquement pure, des éléments constitutifs d’un moderne cynisme d’Etat. En effet, le pouvoir a su profiter de cet événement meurtrier pour opérer la suture entre le grand moment de ce quinquennat que fut la construction d’un unanimisme (d’Etat), celui du 11 janvier 2015, et la loi dite du « Mariage pour tous ». Le rapprochement machiavélien des deux événements a pu s’effectuer grâce à un opérateur inespéré, un flic gay, adhérent de l’association LGBT Flag !, tombant sous les balles d’un tireur, catalogué d’emblée et sans vérification comme djihadiste au service de l’Etat islamique. Retour sur une construction politico-médiatique.
Il semble loin le moment où une France unanime (en fait, convoquée par l’Etat à manifester son unité) était Charlie, communiant derrière sa police. Depuis, les violences policières lors des manifestations contre la loi El Khomri ont été l’occasion de troquer les baisers adressés aux forces de l’ordre contre un cri moins émollient : « Tout le monde déteste la police ! ». Depuis, la mort d’Adama Traoré, dans une gendarmerie, ou encore la pratique du viol au moyen d’une matraque à l’encontre d’un jeune homme d’origine congolaise ont fait tomber les masques, exhumant le visage grimaçant de la police (qu’on n’avait oublié que dans le cercle somnambulique des possédés de « l’esprit du 11 janvier »). Il était donc plus que temps de redorer le blason des forces de l’ordre ! Reconnaissons que Hollande, s’il n’est sans doute pas le « grand homme » qu’avait en vue Machiavel, du moins a-t-il su, cette fois, faire preuve de cette « vertu » permettant de « reconnaître l’occasion ainsi offerte ». Ce mardi 25 avril, l’hommage rendu par la République au policier tué n’a en effet rien laissé au hasard. Du grand art !
Cet hommage national eut lieu dans la Cour d’honneur du 19 août de la Préfecture de police de Paris, lieu qui, comme le rappelle Le Figaro, « [par] son nom rend hommage au soulèvement de la préfecture, aux gardiens de la paix qui ont combattu pour la libération de Paris lors de la Seconde Guerre mondiale ». Le symbole n’est certes pas léger, au moins est-il efficace : la « guerre contre le terrorisme » est ainsi mise en parallèle avec la Seconde Guerre mondiale, l’Etat islamique avec l’Etat nazi, et la police française avec la Résistance… Il fallait donc que le tueur du 20 avril fût un djihadiste ! Aucune fiche S à son nom n’existait ? Aucune trace de « radicalisation » n’avait été rapportée ? Qu’importe ! Quelqu’un qui était habité à ce point par l’idée d’agresser des flics, voire de leur tirer dessus, ne pouvait qu’être comme ces enragés de l’EI. Qui pourrait vouloir descendre des flics, si ce n’est un opposant résolu aux « valeurs de la République » - puisque les policiers, c’est bien connu, sont « les remparts de la démocratie ».
Si cette Cour du 19 août est symbolique, c’est également pour l’écho qu’elle entretient avec les événements de janvier 2015, autour de Charlie Hebdo, comme Le Figaro s’en souvient : « […] c’est dans cette même cour qu’avait eu lieu l’hommage des trois policiers – Clarissa Jean-Philippe, Franck Brissolaro et Ahmed Mérabet – tombés le 7 janvier 2015 sous les balles des frères Coulibaly (sic !), ceux-là même qui avaient perpétré le carnage de Charlie Hebdo ». La liste des noms des policiers n’est évidemment pas anodine, qui fait apparaître celui d’Ahmed Mérabet, d’origine algérienne, et de confession musulmane, victime de l’attentat perpétré par les frères Kouachi. C’est le genre d’événement qui permet au pouvoir étatique de combattre l’idée (qui est pourtant bien une évidence pour qui la subit) d’une discrimination entre les personnes, opérée par la police, en raison de leur origine ethnique. C’est donc en tant que « républicaine » que la police respecterait les « minorités visibles », mais aussi parce qu’elle en serait elle-même le reflet. Et cette « diversité », si respectée par la police, en est venue cette fois à révéler une autre teinte, arc-en-ciel. Le policier assassiné s’est en effet avéré être gay, ce qui a conduit à élargir opportunément la palette des couleurs qui caractériseraient les forces de l’ordre, selon le Chef de l’Etat, déclarant à cette occasion : « […] nos forces de l’ordre sont à l’image de la diversité de la société, qu’ils ont la charge de protéger ».
Si l’orientation sexuelle du policier abattu a été révélée, c’est sans doute qu’il n’en faisait pas mystère, puisqu’il était membre de l’association Flag !, regroupant gendarmes et policiers homosexuels, participait à des soirées organisées par l’association et avait signé un Pacs avec Etienne Cardiles, l’ami avec lequel il vivait. Il est toutefois évident que l’homosexualité du policier a été utilisée, presque comme une aubaine par les pouvoirs publics, d’abord pour donner une image d’ouverture de la police, du point de vue des mœurs (une police qui ne serait pas structurellement homophobe), mais aussi et surtout pour développer l’idée d’une concordance d’intérêts entre la démarche policière contre le terrorisme et la vie (festive et culturelle – forcément) des populations LGBT. L’insistance quant au fait que Xavier Jugelé avait tenu à assister au spectacle de Sting, lors de la réouverture du Bataclan relève de cette logique d’une continuité entre le gay et le policier – ainsi, le policier aurait déclaré, selon les propos de son ami : « Je suis content que le Bataclan réouvre. C’est symbolique. Nous sommes ici comme des témoins. Pour défendre des droits civiques. Ce concert est pour célébrer la vie. Pour dire non aux terroristes ».
En ce policier se trouverait donc réunis en une même personne le gardien de la paix et le citoyen (gay), ce qui permet alors, mieux que jamais, la réconciliation de la police avec la population, en sa diversité. C’est cette position stratégique occupée par le fonctionnaire de police abattu qui a intéressé le pouvoir, capable en cette occasion de produire l’image d’un héros LGBT. Les temps ont bien changé, qui font qu’on ne gomme plus la dimension homosexuelle d’un héros, mais qu’elle peut au contraire participer à son héroïsation. C’est ce changement d’époque que Jean-Marie Le Pen n’a pas saisi, regrettant qu’on rende hommage, selon lui, plus à l’homosexuel qu’au policier. Sa fille paraît avoir beaucoup mieux compris ce qui se jouait ici, désavouant les propos de son père – comme elle s’était abstenue, à l’encontre de sa nièce, de participer aux manifestations contre le « mariage pour tous ».
L’écho donné à cette cérémonie d’hommage, intégralement retransmise par BFMTV, ne doit pas être négligé pour en saisir la portée réelle : « Les cloches de Notre-Dame ont retenti peu avant le début de la cérémonie, alors que la foule était réunie sur le parvis face au palais de Justice, où était installé un écran géant ». L’hommage se fait spectacle, et l’on retrouve bien là quelque chose de la mobilisation des foules, au moyen d’un battage médiatique, mais aussi en prenant appui sur les ressorts de l’émotion (comment ne pas être touché par le témoignage d’Etienne Cardiles ?), qui rappelle les ficelles déjà utilisées pour produire le fameux « esprit du 11 janvier », caractérisé par son unanimisme. Quel est le contenu subliminal d’une telle cérémonie médiatique ?
En héroïsant dans un même élan le policier et l’homosexuel, ce geste étatique aboutit à confirmer la logique inclusive dans laquelle sont engagés les milieux homosexuels estampillés LGBT. La revendication d’un « mariage pour tous » correspondait bien à une telle recherche d’inclusion : avoir, comme les autres, le droit de se marier, c’est-à-dire sans remettre en cause les structures hétérocentrées de la société. Dans le cas présent, les noces de la « communauté LGBT » et de la police (agréées par l’Eglise !) obéissent à une démarche d’inclusion vis-à-vis de la Nation, en sa lutte contre le terrorisme, identifié comme ennemi des libertés, et donc aussi de la liberté de choix de son orientation sexuelle. L’ennemi de la Nation serait aussi l’ennemi des gays – devenue l’amie de la Nation, la « communauté LGBT » y serait par conséquent incluse de droit.
Ce désir de reconnaissance, dont témoigne une telle logique inclusive, conduit la « communauté LGBT » à abandonner tout ce qui constituait la dimension révolutionnaire de l’homosexualité, telle qu’on pouvait la concevoir dans les milieux proches du Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR), dans le début des années 70. Rappelons-nous les « hétéro-flics », que les « pédés » combattaient. Aujourd’hui, les gays LGBT tendent à se faire « homo-flics », c’est-à-dire qu’ils tendent à promouvoir une norme de l’homosexualité respectable.
C’est un tel « homonationalisme », qui a conduit nombre de gays américains à soutenir la guerre contre l’Irak, pour y gagner une respectabilité, et par peur de l’Islam, censé constituer une menace pour les libertés sexuelles. La construction, en France, de la figure d’un héros gay national est une étape importante, dessinant la frontière entre les gays patriotes et laïcs et les autres. N’oublions pas que cette exhaustion d’un modèle d’homosexualité LGBT ne pourra se faire qu’au détriment d’une frange, exclue. On perçoit déjà les lignes de partage par lesquelles, en particulier, on considère la pratique du coming out comme uniment libératrice, ou encore la possibilité de se marier entre personnes de même sexe comme un progrès en termes de liberté. C’est en fait une normalisation aux conditions du monde occidental qui s’effectue ainsi, et cela n’a rien à voir avec une libération réelle.
La voie de la respectabilité est une voie périlleuse pour les gays et lesbiennes, car elle les rend solidaires d’une histoire des vainqueurs, sans pitié pour le passé, jugé rétrograde. Guy Hocquenghem avait très bien entrevu cela, lorsqu’il déclarait : « Quand l’homosexualité s’avoue et se rationalise, elle tente de repousser dans l’ombre ses anciens compagnons des bas-fonds. La rupture avec les amours interclassistes est la condition du salut homosexuel ». Contre cette tentation de l’inclusion, à laquelle le pouvoir ne manque pas d’être réceptif, les gays feraient sans doute bien d’oser, précisément à l’image de Hocquenghem, s’affirmer francophobes, délinquants, dans un geste superbe de provocation, qui soit un éloge du minoritaire.
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