« Encanaillez l’art ! »
Il ne s’agirait pas du tout de tenter de dessiner le portrait psychologique d’un artiste qui a longtemps suscité des réactions contrastées avant de connaître la consécration. A chacun son métier, justement, dirait Courbet, qui se vantait, au temps où sa peinture tendait à devenir un peu industrielle, de peindre à la chaîne les portraits des plus jolies femmes de Trouville, emploi fort lucratif, mais qui en revanche se définissait comme « un homme qui aimerait mieux brosser dix chevreuils que d’aligner une période ».
Eh bien, moi, justement, mon affaire, à défaut de savoir brosser les chevreuils, c’est d’aligner les périodes ; et ici, à propos de Courbet, ce serait donc pour tenter de montrer comment à partir de l’invariant de la rétivité à l’autorité, à toute autorité ou presque (pas celle de Proudhon !), émerge une singularité plébéienne. Il ne s’agirait pas de tenter à toute force de faire entrer Courbet dans le moule du type plébéien, mais plutôt de voir comment, chez lui, l’affect plébéien, les sentiments, les gestes, les conduites souvent revendiqués par lui-même comme relevant de cette notion ou catégorie, le mettent en relation avec d’autres singularités plébéiennes. Comment il entre ainsi nolens volens dans cette configuration aux bords flottants (qui est celle non pas du tout de la vie de la plèbe, comme catégorie sociale), dans laquelle on voit un sujet s’autoproduire, se présenter au monde, se percevoir et se conduire en plébéien. Et ici, ce qui intensifie beaucoup et spécifie l’enjeu de cette production de soi, un plébéien artiste ou un artiste plébéien.
Le paradoxe de ce « jeu » de l’artiste qui se dote ici d’une constitution plébéienne, c’est que simultanément, celle-ci va rapidement se transformer pour lui en destin, avec tous les aléas qui se lient à ce motif (l’affaire de la colonne Vendôme doit s’examiner sous cet angle aussi) et se manifester de manière très intense et vive comme l’exercice d’une liberté souveraine. En ce sens, Courbet est un personnage très sartrien, une figure du théâtre de Sartre : plus il construit son personnage de plébéien prométhéen, plus il en est prisonnier, et plus il habite son personnage, et plus il faut qu’il performe, comme on dit, en produisant des gestes, des coups d’éclat, des provocations, des choix dans l’exercice de son métier de peintre qui sont autant de manifestations éclatantes de son indépendance, de sa liberté sauvage. Ce qui en fait, à son corps défendant, un personnage romantique, je veux dire par là, une figure typique du drame romantique qui oscille sans cesse entre le comique et le tragique, le burlesque et le terrible. Burlesque de ses tartarinades (Tartarin est d’ailleurs son exact contemporain), et terrible de cette nemesis de l’Etat qui s’abat sur lui après la Commune de Paris et, littéralement, le tue, et pas seulement comme artiste.
Avant d’entrer dans le vif du programme ainsi sommairement défini, je voudrais faire une brève digression épistémologique. Le mépris social dont Courbet fait l’objet de son vivant de la part de l’élite culturelle (n’oublions pas Théophile Gautier statuant qu’il peint comme on cire des bottes) trouve son prolongement naturel aujourd’hui non plus tant dans des jugements dédaigneux à propos de sa peinture (qui irait de nos jours se ridiculiser à dire que Courbet n’est qu’un barbouilleur ?) mais dans la plus ou moins distincte incompréhension de son étoffe plébéienne. Ce sont ici deux mondes (sociaux) qui s’affrontent et manifestent leur hétérogénéité et ce sans que le temps qui sépare l’artiste de de plus d’un de ses experts contemporains ne réduise en rien le différend. On passe ici sans transition de chez Sartre à chez Bourdieu. Ce qui va se traduire très simplement, très massivement. Pour la spécialiste assurément très qualifiée qui a produit l’édition critique de référence de la correspondance de Courbet (chez Flammarion), la totalité du jeu plébéien de Courbet, c’est de la frime, c’est-à-dire un habile système d’autopromotion relevant d’un pur et simple calcul rationnel d’intérêt. Elle (son nom est Petra Ten-Doesschate-Chu) est convaincue qu’il s’agit là d’ « une image délibérément créée, dans le but de produire un maximum de publicité pour son art ». Courbet, stratège roué et marchand, aurait saisi tout l’intérêt qu’il y avait pour lui à construire de toutes pièces ce personnage de rustre rebelle et mal embouché qui parle un ton trop haut et défie constamment l’autorité. Jeu puéril d’un côté, efficace argument de vente de l’autre. Cette approche de la fibre plébéienne de Courbet et de son art conduit son auteur à se contredire magistralement : « Sa vie durant, écrit-elle quelques pages plus loin, les idées de l’artiste furent conduites par un dégoût naturel, voire haineux, de l’impérialisme et, plus généralement, de toute forme d’autorité centralisée ». Il faut savoir : soit le jeu du rebelle est une pose, un artéfact pur et simple, soit elle émane d’un « dégoût naturel » - ce peut difficilement être l’un et l’autre.
Pour cette même spécialiste, après 1870, lorsqu’il est contraint à s’exiler, que sa peinture passée, présente et future est placée sous embargo, que tous ses biens sont saisis, Courbet fait preuve d’un certain « stoïcisme », certes, mais manifeste surtout une tendance à la paranoïa... Bref, c’est tout un monde de préjugés qui sépare ici l’artiste de la spécialiste à laquelle revient le soin taxidermiste de présenter sa correspondance. Entre l’un et l’autre, une sourde lutte fait rage, car il n’y a au fond aucune raison pour que la distinguée érudite ait la moindre intuition de ce que peut être un tempérament plébéien, et saisisse effectivement ce qui est en jeu, par exemple, dans la lettre où Courbet décrit sa rencontre avec les tailleurs de pierre et sa décision d’en faire un tableau.
Mais, plus troublant encore, cette notion facile d’une carrière construite sur une pure et simple stratégie visant à accéder à la gloire en bousculant toutes les règles du jeu destiné à assurer le succès, on va la retrouver aussi bien chez l’auteur d’une des plus récentes biographies de Courbet, Michel Ragon, un héritier tardif de la littérature populiste des années 1930, un supposé libertaire : « Doté d’un sens aigu de la publicité, écrit-il, il allait se créer un personnage de butor et d’ignorant, de paysan du Danube (…) Il allait exagérer son aspect physique, avec sa pipe et son énorme canne (…) Il allait accentuer son accent (…) Voyant autour de lui tant de gens qui étaient pour, il sera obstinément contre. Contre tout. Contre l’idéal, contre la religion, contre l’Empire, contre l’art officiel, contre le mariage, contre le passé. Contre tout ce qui est pour (…) Son stratagème (sic) réussira au-delà de ses espérances puisque, dès 1850, il sera devenu une figure incontournable.
Aucun peintre avant lui n’avait su se faire une telle publicité, en suscitant perpétuellement des scandales pour, finalement, transformer ses échecs en succès ».
J’aimerais donc tenter de contrarier un peu ces simplifications qui, si elles s’appuient naturellement sur toutes sortes d’éléments tangibles empruntés à la vie et l’oeuvre de Courbet, n’en passent pas moins complètement à côté de ce qui constitue chez lui l’enjeu plébéien.
Un élément se dégage d’emblée, donc, dès lors que l’on se plonge dans la correspondance de Courbet, lue par ordre chronologique : la rétivité face à toute autorité. S’il est un facteur qui va, très rapidement, s’imposer comme constant, en termes de perception du champ social et politique, de relations sociales, de conduites, dans tous les domaines pratiques, et pas seulement celui de l’art, tout au long de la vie publique et de la carrière artistique de Courbet, c’est bien celui-ci. Dès les premiers temps des années de collège, à Besançon, à la fin des années 1830, il prend en grippe l’institution scolaire, l’indifférence ou l’incompétence des profs, les rigueurs de l’internat, la discipline, il manifeste son aversion pour la plupart des matières qu’on prétend lui enseigner. Les lettres qu’il adresse à ses parents sont parsemés d’expressions qui énoncent clairement ce refus : « On a voulu me forcer [je souligne, AB] et toute ma vie je n’ai jamais rien fait de force, ce n’est pas là mon caractère. On m’a rebuté [je souligne, AB] en me mettant au collège, et maintenant je suis trop prévenu pour y pouvoir faire quelque chose ». Dès ces années, il éprouve avec vivacité qu’il a une destinée propre à poursuivre, et que l’accomplissement de celle-ci n’est pas compatible avec les réquisits des institutions qui entendent « former » la jeunesse. Il n’entend pas rompre pour autant avec sa famille à laquelle il est profondément attaché, car elle est indissociable de la terre, du terroir qui constitue son sol nourricier, mais il n’en met pas moins ses parents en garde : ne m’obligez pas à déserter [le collège], à commettre l’irréparable. La seule chose dont il tire profit au collège, ce sont les cours de dessin où il est, rapporte-t-il sans excès de modestie, le meilleur.
On a là, dès ces premières années, une ligne de force qui se dégage et qui ne s’interrompra jamais : non pas celle d’une rébellion ou d’une révolte ouverte contre l’ordre social, politique ou moral, propre à faire basculer le sujet du côté de l’insurrection, de la révolution, de la subversion politique, mais plutôt un mouvement, une motion surgis du tréfonds d’une constitution singulière, dont le propre est de ne pas s’accommoder de l’autorité et donc, le mouvement premier de se déprendre et de s’insoumettre. Quand Courbet collégien parle de sa destinée qu’il entend accomplir, il pense à ces puissances créatrices qu’il sent bouillonner en lui, il pense œuvre, et simultanément, il pense au côté public de cette auto-réalisation – le côté « je vais leur montrer qui je suis et ce dont je suis capable ». Mais cette destinée à la fois haute et glorieuse sur laquelle il anticipe ici est distincte de ce que j’appelle destin . Son destin, dès lors, va être fait de la répétition sans fin du conflit avec l’autorité. Le pli est pris et c’est la même figure qui va se répéter, dans les configurations adversatives qu’il va susciter entre son art, sa personne et l’académisme, le romantisme, le bonapartisme et ses courtisans, le bellicisme, etc. Même si les refus et les aversions qui s’empilent ici sont loin d’être dépourvus de discernement (sur son anti-napoléonisme irréductible, Courbet n’est pas en mauvaise compagnie), persiste cette dimension d’une compulsion, d’un geste réfractaire surgi sur les arrières du sujet et qui le destine autant qu’il en est lui-même l’auteur.
Ce constat suffit à récuser la thèse évoquée plus haut de la construction de toute pièces de ce personnage publicitaire de paysan du Danube. Ce qui s’identifie immédiatement, quand on lit la correspondance, c’est la présence envahissante de cette sorte de daimon plébéien qui se manifeste en chacune de ses conduites. Quand Courbet, au milieu des années 1860, oppose son « origine plébéienne » à un directeur de journal qui lui reproche d’être mal élevé, il tente de s’assurer une prise sur ce monde des profondeurs. Ceux de ses commentateurs qui, décidément, ne le comprennent pas, se récrient aussitôt, rappelant qu’il est le fils d’un propriétaire terrien nullement misérable, d’un petit notable local ; ils pensent le prendre en flagrant délit de construction d’un mythe des origines avantageux, taillé à la mesure du personnage de rustre flamboyant et héroïque qu’il entend présenter à la face du monde.
Mais que veut dire Courbet ? Très exactement ce que dit Bourdieu lorsqu’il évoque le parcours qui l’a conduit de son Béarn natal au Collège de France : qu’il provient, en tant qu’artiste (professeur) distingué dans la capitale d’un autre monde, qu’il demeure, dans ce nouvel univers, et en dépit de ses succès, excentré, un outsider, que jamais les traces de cette origine plus que provinciale, terrienne et rustique ne s’effacent, que sa non-distinction lui colle à la peau dans ses relations au milieu artistique comme aux autorités, qu’il n’aura jamais la manière, qu’il demeure en toutes circonstances, un homme de ce bas, une sorte d’indigène des confins (même de son temps, on ne devait guère mettre plus de deux heures pour atteindre la Suisse à partir d’Ornans, ce qui lui sera bien utile lorsqu’il lui faudra s’enfuir, après la Commune). Et dès lors, et c’est là que se joue le destin du plébéien, qu’il se renverse plutôt, son jeu sartrien, (comme celui de Jean Genet, cet autre plébéien exemplaire) sera de dire : eh bien soit, tant qu’à être, par décret de la règle du jeu sociale, ce bouseux dont la bonne société parisienne raille les manières rustaudes et les coups de brosse grossiers sur la toile, soyons le vraiment, que le stigmate devienne la marque de notre singularité propre , notre signature et, pourquoi pas, notre enseigne ! Dans son Saint-Genet comédien et martyr, Sartre montre avec un incroyable brio comment, chez le futur auteur de Notre-Dame des Fleurs, l’invective qui condamne et pétrifie - « Sale petit voleur, va ! » se trouve transfiguré en socle d’une liberté, d’une souveraineté infinie. Dans le cas de Courbet, c’est autour de l’enjeu de la trivialité et de la sauvagerie que va se produire ce renversement : puisqu’il en est ainsi, il fera une peinture de braconnier, ses tableaux organiseront l’irruption du vulgaire dans la sphère de l’art, et la reconnaissance de son génie, le succès commercial de sa peinture constitueront la plus exquise des revanches contre le préjudice subi par celui dont le tort est de naissance : il est né hors des circuits qui irriguent la société où prévalent les usages et les rites de reconnaissance mutuelle, les cercles d’admiration réciproque, le partage du bon goût, etc. Sa revendication d’autochtonie excentrée et sauvage, source de son inspiration et de sa manière artistiques, de ses choix d’objets comme de son style, c’est le pavé qu’il jette dans la mare de cette « société » qui n’est rien d’autre qu’un entre-soi exclusif et excluant.
Rappeler, donc, à un représentant de cette bonne société cette marque plébéienne, plutôt qu’origine, cette provenance revendiquée, à un moment où il s’est déjà fait un nom, c’est pour Courbet signaler, une fois encore, qu’il n’est pas, lui, dans le monde des arts, un héritier mais un intrus, et que le renom dont il jouit désormais, il ne le doit qu’à ses mérites, à son travail et qu’il l’a acquis en dépit de ce déficit de distinction. Le plébéien n’est ici ni le pauvre, ni le miséreux, ni le travailleur exploité, il est celui qui fait de son propre roman de formation, du parcours personnel et des épreuves subies l’objet d’une démonstration ou l’occasion, pour parler comme Rancière, de mettre en scène une opération – mais, à mon sens, moins égalisatrice que réparatrice : il s’agit bien de montrer, de rappeler, encore et toujours, que c’est à force de travail (l’expression « je travaille comme un nègre » revient comme une litanie sans sa correspondance), d’assiduité et, au début, de privations, qu’il est parvenu à faire reconnaître son talent et à accéder au marché de la peinture. Mais cette description n’est pas celle d’une simple success story, ni celle du parcours d’un parvenu - même s’il y a bien plus qu’une touche de Rastignac dans notre personnage, le côté « à nous deux Paris », ou, dans les termes même de Courbet « Il faut qu’avant cinq ans j’aie un nom à Paris » –, elle est fondamentalement celle d’une réparation et, pourquoi ne pas le dire, d’une vengeance.
D’où l’importance de cette distinction, en termes de filiation ou de généalogie : c’est bien le prolétaire ou l’ouvrier philosophe célébré par Rancière qui est en quête de démonstrations en faveur de l’égalité. Le plébéien, toujours plus ou moins véhément ou furieux, penche plutôt du côté de la réparation, il n’est pas un législateur mais un redresseur de torts.
Le plébéien, d’une façon générale, est une singularité dont le destin est porté par une couleur affective tout à fait particulière. C’est quelqu’un qui, quels que soient les tours plus ou moins compliqués qu’adopte le cours de sa vie, ne dépose jamais entièrement sa colère et son indignation natives. D’où sa jubilation, sa joie très équivoque lorsqu’il a le sentiment d’être parvenu, à force de labeur, d’obstination et grâce à ses mérites propres, à inverser le cours des choses – à obtenir la reconnaissance de ses talents et mérites, contre le cours du monde, précisément. Cette disposition est particulièrement distincte chez Courbet, mais comme elle l’est chez Jean-Jacques, dans Les Confessions, comme elle l’est chez Julien dans Le Rouge et le Noir. Chaque tableau imposé dans une exposition officielle, chaque succès public, chaque marque de reconnaissance de la part d’acheteurs fortunés, mais aussi bien de représentants de la culture officielle qu’il va éconduire, tous ces signes sont immédiatement transcrits par le peintre (le petit gars d’Ornans monté à Paris) comme des occasions où une sorte de Justice immanente vient réparer le tort immémorial subi par celui qui était voué à rester dans l’ombre en dépit de son génie propre. Il faut entendre la naïve et sauvage allégresse qui le saisit lorsqu’il a le sentiment d’avoir fait un bon coup, terrassé ses adversaires, écrasé le préjugé : « J’ai le grand succès de l’expo sans contexte. On parle de médaille d’honneur, de la croix d’honneur, est-ce que je sais ? Les paysagistes sont étendus morts (…) Il y a longtemps que je te disais que je leur ménagerais ce coup de poing en pleine figure. Tas de crapules, ils l’ont attrapé). »
Ce qui peut se dire autrement : la peinture, c’est la guerre. Chaque tableau (du moins, avant que la bosse du commerce ne vienne à Courbet, avec les portraits et les marines, voire les scènes de chasses en x exemplaires), chaque tableau se prépare comme une bataille, il est installé sur une ligne de front : qu’il s’agisse du choix délibéré du sujet destiné à faire scandale (Le retour de la conférence : « J’avais fait le tableau pour qu’il soit refusé. J’ai réussi »), du choix des personnages (« J’avais pris une vachère pour en faire une fileuse (…) La critique a grogné. Cette année, je vais lui faire une gardeuse de cochons, pour de vrai, la critique hurlera »), du dispositif d’auto-célébration (L’Atelier du peintre : « Je suis au milieu, peignant. A droite (…) les amis (...), à gauche l’autre monde de la vie triviale », de l’exaltation du commun, du quelconque, procédant d’un véritable casting, supposant la mise en place d’un appareil qui anticipe sur celui du cinéma, avec Un enterrement à Ornans... Bref, dans chaque cas, et selon des dispositions spécifiques, il s’agit de dessiner l’espace d’un affrontement avec des puissances supposées, coalisées contre le génie et l’indépendance de l’artiste – l’institution artistique, l’institution politique et religieuse, le conformisme de la critique et d’une partie du public...
Chaque tableau qui fait son chemin et force la reconnaissance en dépit de l’acharnement de cette coalition est une victoire remportée sur le terrain de l’art, mais au-delà aussi. En ce sens, pour Courbet, la production de l’œuvre est directement du côté de l’action. N’en déplaise à Proudhon, son horizon n’est pas l’utilité sociale, c’est la production d’effets, d’ébranlements, de déplacements qui ne sont pas confinés au domaine de l’art mais qui concernent au premier chef la vie publique, puisqu’il s’agit par ce moyen de manifester (chaque grand tableau de Courbet est, en ce sens, un manifeste) en faveur d’une réforme du regard, d’un retour au réel contre les rêvasseries mythologiques ou autres de l’art d’ornementation et de distraction. Courbet n’est pas en quête d’effets politiques, via sa peinture, il affiche des convictions personnelles, formulées de façon assez approximatives ou fluctuantes, d’ailleurs, mais il récuse la notion d’une peinture à visées politiques, il ne pratique pas un art didactique et utilitaire comme le sera le réalisme socialiste. Simplement, l’effet de choc qu’il attend de ses grandes œuvres vise à briser l’enfermement de son travail dans la sphère culturelle. Le geste de peindre devient avec lui, en éclaireur de l’art moderne qu’il est ici, cette action à part entière qui met à mal les répartitions usuelles entre champ artistique, champ social, champ politique. Il bouscule ainsi l’organisation même du sensible. Le geste de peindre tel tableau, conçu comme une expédition, un raid, une campagne, ne s’arrête pas sur la toile. Il se prolonge en propagation d’une « fable » dans laquelle il est question d’affirmer une nouvelle fois que l’on n’a « jamais eu d’autre maître que la nature et [s]on sentiment », que l’art est une chose « trop sérieu[se] pour s’allier au commerce « (ibid.), de faire la démonstration que l’on est « l’homme le plus fier et le plus orgueilleux de France », que l’on emmerde l’Empire, ses valets et ses séides, etc.
Cette façon de faire des raids, des opérations et des démonstrations globales qui engagent entièrement une subjectivité et sont en quête de la valeur d’exposition maximale, au sens de la mise en visibilité, mais aussi de la mise en danger, est typique de l’inconduite ou des contre-conduites plébéiennes. Courbet, dans ce registre, est proche d’un Paul-Louis Courier, par exemple, qui, quelques décennies plus tôt, aimait à défier le pouvoir royal (au temps de la Restauration) avec ses pamphlets, mais tout en agissant non pas en journaliste, mais en écrivain, en réinventant à sa manière le geste même d’écrire (en inventant le personnage du publiciste, une figure aujourd’hui à peu près effacée sur le sable de l’hypermodernité médiatique).
Le moderne, l’indice de modernité, chez Courier comme chez Courbet, ce serait peut-être ça en premier lieu : cet art de brouiller les répartitions en abolissant les intervalles entre les domaines et en produisant du litige, de la dispute ou de la mésentente sur un mode transversal – en réussissant à mettre en branle, armé de sa seule plume ou de son seul pinceau, tout à la fois le surintendant des Beaux-Arts, l’académicien, le rédacteur en chef du Monde illustré, M. Homais, le disciple appliqué de Ingres, etc., c’est-à-dire à susciter une émotion globale, un tumulte, un charivari dont l’ordre des choses (et pas seulement l’académisme en peinture) ne reviendront pas intacts. L’artiste plébéien se fait ici activiste – mais pas militant.
Le jeu du plébéien (une stratégie, si l’on veut, tout autre chose qu’une pose en tout cas) consiste à trouver, dans les domaines pratiques où il agit, des points d’intensification exemplaires du différend immémorial entre le monde des maîtres et celui des serviteurs, entendus comme des univers symboliques autant que sociaux. C’est ce qu’il fait, par exemple, en s’arrêtant sur le motif des casseurs de pierre : relever l’existence de cette plèbe non pas tant misérable qu’invisible et absente des comptes du social, rendre le public sensible à la condition de ces hommes obscurs, hommes infâmes, dirait Foucault, c’est-à-dire, littéralement, n’ayant pas part au récit de l’existence commune. Exposer ces destins de survie plus que d’exploitation – on n’est pas du tout ici dans la description indignée ou apitoyée de la condition des classes laborieuses, mais plutôt dans une entreprise de restitution de ce qui a vocation à demeurer dans l’angle mort des grands tableaux de la comédie humaine à la Balzac ou, plus tard, de la physiologie sociale à la Zola : l’existence désolée de ces vaincus. C’est ce dont témoigne cette remarque lapidaire et terrible sur laquelle se clôt sa description de la rencontre avec les casseurs de pierre : « D’ailleurs, dans cet état, c’est ainsi qu’on commence, c’est ainsi qu’on finit ».
C’est au fond le même jeu d’intensification et d’exposition du différend immémorial que l’on retrouve lorsque, se déplaçant sur une autre scène, Courbet étrille Nieuwerkerke, surintendant des Beaux-Arts, représentant typique de la camarilla napoléonienne, qui ne ménage pas ses efforts pour l’amener à composition, notamment en lui proposant de réaliser un portrait de l’impératrice. Courbet écrit cette lettre en forme de gifle : « Ainsi, vous le savez maintenant pour en avoir fait l’épreuve personnelle, je ne suis pas de ceux que l’on protège et vous me rendez justice en déclarant que ’la nature de mes compositions n’est pas de celles que le gouvernement doit encourager’. C’est bien la situation que j’ambitionne ».
La verve, l’insolence, le franc-parler qui se donnent libre cours ici, tout en liquidant la fable d’un Courbet analphabète, trouvent leur place de manière exemplaire dans une généalogie du sentiment plébéien : c’est Figaro qui parle, ici, ni plus ni moins, envoyant dans les cordes le comte Almaviva et lui administrant la démonstration que depuis que les serviteurs ont appris à parler, et surtout à répondre, depuis qu’ils sont devenus maîtres de la répartie, les choses ne seront plus jamais comme avant. Peu importe que Courbet ne soit pas, ici, un « serviteur pour de vrai », au sens sociologique du terme ; encore une fois, ce n’est pas une question d’origine, d’identité, (termes litigieux par excellence) mais d’affect, de position et de jeu. Le geste pictural de Courbet, comme geste « total » (donc incluant ce type d’apostrophe) suppose, inclut, cet exercice d’une souveraineté qui consiste à adopter une position dans le domaine de l’art (le réalisme) comme dans la vie publique (l’anti-napoléonisme, le parti du peuple que dessine en pointillés le choix des personnages de ses grands tableaux : paysans et paysannes, gens du terroir, chasseurs, gens du bas, gens de labeur, à leur ouvrage ou dans leurs plaisirs simples... La peinture de Courbet, à ce titre, prend parti, non pas au sens étroitement politique du terme, elle adopte un parti dont la dénomination en « isme » est réalisme mais qui est bien davantage qu’un terme d’école : le nom de l’opération de redressement, de rétablissement, de restitution, à nouveau, dans le domaine de la peinture, de la réalité non mythifiée, dés-embaumée, c’est-à-dire débarrassée du « mystérieux », du « merveilleux », de l’« incompréhensible », du mythologique. Parti naïf, vaste programme consistant à « rendre » au public les « vrais gens » et la réalité réelle. Il est vrai, au demeurant, que quand Courbet s’essaie (rarement) à « théoriser » son travail, il est assez nul, il tombe dans les grandes généralités pompeuses du philosophe autodidacte, il s’en doute d’ailleurs suffisamment pour s’en remettre, sur ce point, au professionnalisme supposé de Proudhon – qui ne fait malheureusement guère mieux (voir à ce propos les extraits de son livre sur l’utilité sociale de l’art in Controverse sur Courbet et l’utilité sociale de l’art, Mille et une nuits). Rien d’étonnant à ce que soient si décevants les passages de la correspondance où Courbet tenter d’exposer les fondements principiels de son art à ses amis : le plébéien n’est pas un théoricien, c’est un sujet praxique qui fait des démonstrations.
Le problème, et c’est là que les choses vont se compliquer énormément, c’est que la ligne de force de la réparation, celle qui consiste à établir un régime du sensible dans lequel les gens d’Ornans (sélectionnés pour figurer dans L’Enterrement à la faveur d’un véritable casting) ne sont pas tant les égaux de la princesse Mathilde ou de l’impératrice Eugénie que les supports d’un retour au réel, cette ligne de force converge constamment, dans le parcours de Courbet, avec une autre, d’une tout autre espèce : celle de la réussite ou, en termes d’espèces sociales, du parvenu. La correspondance montre bien comment, dès les premiers succès ou les premières sensations (L’Enterrement), celui qui aime tant à se raconter en paria, qui se voit en redresseur de torts par le moyen de son talent, à force de travail et d’endurance, commence à jouir de ses succès, ce qui, progressivement va infléchir, voire transformer et son mode de vie et son art. Le désir de l’emporter, d’être le seul, d’être célébré va prendre le dessus sur celui d’avoir la sympathie du peuple et de rendre justice aux invisibles dans l’espace du tableau : « Je sens de plus en plus que je triomphe », « mon exposition est allée parfaitement et m’a donné une importance énorme, ça va bien », « je vais décidément prendre un avoué pour faire mes affaires », « je suis ici à Trouville dans une position ravissante. Le casino m’a offert un appartement superbe sur la mer, et là je fais les portraits des plus jolies femmes de Trouville. J’ai déjà fait le portrait de Mlle la Comtesse Karoly de Hongrie (…) Heureusement, je vais vite ». Sa peinture tend à devenir un commerce lucratif, il travaille à la chaîne, l’argent rentre, les distinctions artistiques pleuvent, les prix de sa peinture s’envolent, et plus seulement à l’étranger...
Mais ce parvenu qui grandit dans le dos du plébéien ne parvient jamais à éteindre la colère et l’indocilité du premier. Courbet qui aime tant à rappeler qu’il s’est fait tout seul n’entre pas pour autant dans la case du self made man qui voit dans sa réussite sociale la juste récompense de ses efforts et un témoignage en faveur d’un ordre social qui « donne sa chance » à l’entreprenant et au persévérant. C’est donc le même qui, adoptant le langage de la Bourse, écrit que « [s]es actions montent à Paris » et qui va jeter dans la mare le pavé du Retour de la conférence, histoire d’emmerder les curés, les bigots et la clique impériale – et qui statue à ce propos : « On ne me dira plus que je m’endors ». Le même qui, de plus en plus, se comporte, avec ses expositions indépendantes, en auto-entrepreneur de manifestations culturelle dont il est le héros unique, anticipant sur le régime dominant de l’art contemporain, et qui, en même temps, refuse avec éclat la légion d’honneur ; qui rappelle à qui veut l’entendre que son grand-père était « un républicain de 1793 », qui affiche la devise « Courbet sans courbettes », se proclame « l’homme le plus orgueilleux de France » ; le même qui appelle Proudhon à la rescousse pour défendre la cause du réalisme et vanter les mérites du Retour de la conférence, et dont l’orgueil est, au même titre exactement, d’être telle année, « le roi du Salon », sans discussion possible, et d’avoir, en une autre occasion, « consterné le monde des Arts. Constamment, les deux lignes de forces, celle du paria et du parvenu se chevauchent, la première finissant par effacer la seconde à la faveur de la radicale bifurcation que constitue la Commune de Paris, puisqu’elle va sceller définitivement le destin de Courbet.
Cette scène ou ce moment de vérité que sont l’affaire de la colonne Vendôme et ses suites est crucial pour notre sujet. La vindicte qui s’abat sur Courbet après la défaite de la Commune, et qui ne s’éteint même pas à sa mort, ruine définitivement l’hypothèse selon laquelle son jeu avec l’indocilité n’aurait été que frime et pause. La bourgeoisie sait très bien faire la différence entre ses ennemis et ses bouffons. La Commune est ce moment d’intensification du litige perpétuel entre le plébéien et les gouvernants, la bonne société, où tout bascule puisqu’il y aura désormais entre eux et lui de l’inexpiable – des trahisons abjectes, des morts, des flots de sang. Le paradoxe riche d’enseignements étant qu’en la circonstance, ce sont les fauteurs de l’inexpiable (la Semaine sanglante) qui se trouvent en position de ne pas pardonner et d’exercer sur celui qui les a si longtemps défiés et se retrouve alors à terre leur interminable vengeance.
Dès les premiers jours de la guerre franco-prussienne, Courbet prend position très distinctement contre l’aventure napoléonienne : « Nous sommes dans un moment indescriptible, je ne sais comment nous en sortirons. M. Napoléon a fait une guerre de dynastie pour lui. Il s’est mis généralissime des armées, et c’est un crétin qui marche sans plan de campagne dans son orgueil ridicule et coupable. Nous sommes battus sous toute la ligne (…) Je crois que nous allons redevenir français ». Au lendemain de la chute de la Commune, Courbet qui s’est rangé parmi la fraction la plus modérée du mouvement et qui, ironie du sort, a passé le plus clair de son temps à faire du patrimoine , c’est-à-dire à tenter d’éviter que les trésors artistiques des musées et établissements publics parisiens aient à souffrir des combats, n’en produit pas moins une analyse parfaitement claire de ce qui vient de se produire : « Les vrais ennemis n’étaient pas les Prussiens, c’étaient nos amis les réactionnaires français aidés du clergé ».
C’est cela, précisément, l’impardonnable, ce qui ne sera jamais pardonné à Courbet par les Versaillais et leurs successeurs. D’où l’accumulation des persécutions, après l’épisode de l’enfermement à Ste Pélagie, persécutions financières essentiellement, qui le contraignent à l’exil, ruinent sa santé, le coupent de son public et produisent un affaiblissement de son énergie picturale. En avril 1871, un mois avant la chute de la Commune, Courbet écrit à ses parents : « Malgré tout ce tourment de tête et de compréhension d’affaires sociales auxquelles je n’étais pas habitué, je suis dans l’enchantement. Paris est un vrai Paradis ! » (souligné par l’auteur). C’est ce genre de formule témoignant du ravissement du peintre face à l’événement révolutionnaire qu’il lui faudra expier pendant les six années qu’il lui reste à vivre.
On peut voir dans cette vengeance implacable exercée sur le plébéien dont la peinture relevait le quelconque, qui avait choisi le peuple de Paris contre les élites et l’Etat, une sorte de paradigme moral et politique : quand les maîtres ont senti passer le vent du boulet, quand ils ont éprouvé un péril mortel, alors ils sont capables de déployer, en réaction, une violence infinie. Courbet, destructeur putatif de la colonne Vendôme est évidemment bien loin de Ben Laden destructeur des tours jumelles, mais dans l’imaginaire vendettiste des gouvernants et des élites, les deux scènes ne sont pas sans parenté : malheur à celui par qui le symbole de notre puissance est tombé ! Malheur à celui qui, fût-ce un seul instant, nous aura présenté l’image pétrifiante de la fin possible de notre règne ! Cette vengeance sans terme est une figure de la guerre civile, de la stasis, constamment associée à l’inexpiable, comme affect. Dans le cas de Courbet, une guerre civile franco-française, dans celui de Ben Laden, la guerre civile mondiale qui fait rage entre l’Empire et ce que celui-ci subsume sous la notion de « terrorisme islamiste ».
J’ai bien conscience de m’être quelque peu éloigné ici non pas de mon sujet, mais, à proprement parler, des enjeux de la peinture de Courbet. Mais, d’un autre côté, ce qui singularise Courbet et le projette vers l’avenir (c’est-à-dire nous), c’est bien la façon dont il efface les frontières entre l’art et d’autres domaines de la vie publique, dont il fait de son art un enjeu du débat public, non pas en le politisant directement, explicitement, mais en le déployant comme une activité propre à raviver inlassablement le litige entre plébéiens et patriciens. Si ses « effets » continuent de porter bien au-delà du domaine de l’art à proprement parler, des querelles d’écoles, etc., c’est que son travail, comme il dit lui-même, reconfigure le sensible (pour faire référence à une marque déposée) en rendant indistinctes les répartitions utiles entre domaine artistique, domaine politique, convictions personnelles et service de l’art, art et commerce ; c’est qu’il conçoit sa peinture comme une entreprise, dans tous les sens du terme. C’est donc qu’il se projette constamment vers l’avant en faisant craquer les coutures du costumes de l’artiste pour se présenter à nos yeux comme un proto-intellectuel, un personnage assez sartrien à ce titre, mais aussi en anticipant, dans sa façon de travailler sur le cinéma : castings, avant-premières, sorties soigneusement orchestrées, division du travail, captation de la photographie, reproductibilité des tableaux, etc. Dans la mesure où les puissances de son travail tendent à l’arracher aux conditions de son époque, il n’est pas très surprenant que l’essentiel de ce qui se condensait dans son geste ait échappé à la plupart de ses contemporains. A titre d’exemple – ou de symptôme –, Zola, dans sa polémique contre Proudhon, passe complètement à côté de ce geste. Je le cite : « Il [Proudhon] ne voit pas que Courbet existe par lui-même, et non par les sujets qu’il a choisis : l’artiste aurait peint du même pinceau des Romains ou des Grecs, des Jupiters ou des Vénus, qu’il serait tout aussi haut. L’objet ou la personne à peindre sont des prétextes ; le génie consiste à rendre cet objet ou cette personne dans un sens nouveau, plus vrai ou plus grand. Quant à moi, ce n’est pas l’arbre, le visage, la scène qu’on me représente qui me touchent : c’est l’homme que je trouve dans l’œuvre, c’est l’individualité puissante qui a su créer, à côté du monde de Dieu, un monde personnel que mes yeux ne pourront plus oublier et qu’ils reconnaîtront partout ».
On ne peut imaginer, à mon sens, contresens plus complet sur la peinture de Courbet. Ce que ne « voit pas » Zola, à son tour, c’est ce qu’engage, pour Courbet, le grand motif du retour au réel, un motif que masque la querelle des « ismes » – réalisme contre académisme, romantisme, etc. Le « retour au réel », c’est un motif fondamental dans l’histoire de la modernité et qui s’impose chaque fois qu’il est question de déployer une nouvelle intelligence des choses, de déployer une nouvelle énergie, de faire valoir les droits d’un nouveau programme contre des façons de penser et de faire devenues routinières et conventionnelles au point d’éloigner les hommes des conditions du « réel » et de les rendre sans prises sur celui-ci. Les exemples d’emploi de ce motif dans tous les domaines de la pensée et de l’activité humaine abondent, vous en trouvez par exemple un très bel usage chez de Gaulle quand, dans Le fil de l’épée, il s’attache à montrer que les stratèges militaires de son temps n’ont rien compris aux conditions de la guerre contemporaine. Motif ambigu par excellence, puissant à cause de son ambiguïté même – nous n’avons pas attendu Lacan pour savoir combien est compliquée la question de savoir ce qu’est, en vérité, le réel. Simplement, ce motif flou, c’est, comme chez tant d’autres, ce qui permet à Courbet de se donner un programme, une ligne d’horizon. Et du coup, de nous passionner aujourd’hui encore.