Vidéo - Comparer l’incomparable. Entretien sur Microciné avec Alain Brossat


L’écriture de ce livre s’agence autour du rapprochement entre deux des films les plus célèbres de l’histoire du cinéma mondial - Naissance d’une nation de D. W. Griffith (1915) et Le Juif Süss (1940) de Veit Harlan. Rapprochement auquel à la fois tout encourage mais devant lequel se dressent, en même temps, de puissants obstacles et, disons, empêchements. C’est de la tension entre ces deux pôles qu’est né le projet de ce livre.
Il s’agit bien en effet d’y explorer de manière aussi systématique et minutieuse que possible ce qui porte à aborder ces deux films selon une approche comparatiste, tout en intégrant à celle-ci l’analyse de ce qui incite à la décourager ou à y faire objection. Les facteurs qui tendent dans l’esprit du public et de la critique à dissocier ces deux films (qu’au demeurant tant d’autres facteurs incitent à associer) sont si puissants que le premier n’a jamais cessé d’être réputé comme un chef d’œuvre absolu et associé à la naissance même du cinéma états-unien, tandis que le second, tout aussi continûment, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, est désigné comme un objet criminel, ceci au point que sa diffusion se trouve soumise aux plus rigoureuses restrictions.
Et pourtant : deux films promouvant sans détour l’idéologie suprémaciste blanche, deux films dans lesquels la mise au ban de la race inférieure (les Noirs dans l’un, les Juifs dans l’autre) est présentée comme la condition de la survie et du rétablissement de l’intégrité de la race supérieure (blanche, aryenne), deux films obsédés par le motif du mélange des sangs et des espèces humaines, deux films violemment mixophobes, hantés par des images de viol - dans l’un comme l’autre, l’inférieur racial est un vibrion lubrique, entièrement adonné à son désir de la jeune femme aryenne innocente et pure.