Taïwan
Comment dites-vous « Muslim friendly » en français, déjà ? 28 juin 2017
Ce n’est pas un conte de fées, ce n’est pas non plus une utopie située sur quelque île imaginaire, c’est juste une info, le genre d’info que vous ne trouverez pas dans les journaux français – je ne parle pas du reste.
L’histoire se passe certes de l’autre côté de la Terre, mais sur une île bien réelle et qui est aussi un pays – Taïwan.
A l’occasion de la fin du Ramadan et des festivités qui traditionnellement les accompagnent, la municipalité de la capitale, Taipei, a pris l’initiative d’organiser un événement public, sur une grande et belle place, à proximité de la monumentale gare centrale. Les familles musulmanes étaient conviées à y venir célébrer l’Aid-el-Fitr en prières, musique(s) et autres réjouissances incluant des jeux et la distribution par le maire de la ville, Ko Wen-je d’« enveloppes rouges », pratique associée, dans le monde chinois, aux fêtes et événements heureux. Des stands de nourriture locale et un marché halal avaient été également installés pour l’occasion. Des musiciens populaires indonésiens étaient présents pour animer la fête.
Ko, un chirurgien passé à la politique, un politicien de calibre très moyen s’efforçant de tirer son épingle du jeu en louvoyant entre les deux grands partis rivaux de l’île, Ko, donc, qui aime à émailler ses discours de références à la sagesse bouddhiste, ne distribua pas moins de 500 « enveloppes rouges » à cette occasion – chacune d’entre elle contenant, selon la tradition, quelques billets de banque – le montant de la somme n’étant pas précisé.
Détail intéressant, les « enveloppes rouges » étaient, ce jour-là et à titre exceptionnel, vertes – cette couleur étant symbole de vie dans le monde musulman, devait préciser l’un des organisateurs de l’événement. Pour le public taïwanais, composé dans son immense majorité de Chinois ethniques (les uns taiwanais « de souche », d’autres implantés sur l’île plus récemment, suite à la défaite du Kuomintang face aux communistes sur le continent chinois), ce don d’argent s’associe traditionnellement aux festivités du Nouvel An chinois, à l’occasion de l’Année lunaire, la plus grande fête communautaire dans le monde chinois. Il s’agissait donc bien, en distribuant les « enveloppes vertes », de lui donner à entendre que l’Aid-el-Fitr est aux musulmans ce que la célébration de l’Année lunaire est au monde chinois.
Les musulmans sont, dans la population de Taïwan une goutte d’eau dans la mer : 300 000 au maximum, sur un total de 23 millions d’habitants. Ce sont, dans leur grande majorité, des Indonésiens ou plutôt des Indonésiennes employées en principe par des familles locales pour prendre soin à domicile des vieillards et des malades, mais faisant souvent office de bonnes-à-tout-faire, parfois maltraitées, exploitées par les intermédiaires, mal payées, victimes, souvent, d’un racisme endémique. Des sous-prolétaires, de la plèbe immigrée, donc, au point que, régulièrement la presse locale se fait l’écho de cas d’abus révoltants de la part d’employeurs ou intermédiaires sans scrupules – viols, confiscation de passeports, refus d’accorder les jours de congé légalement dus, etc. Ce n’est pas pour rien qu’à l’occasion de la fin du Ramadan, le ministère du Travail s’est fendu d’une déclaration, rappelant que ce jour-là, les employées de maison musulmanes avaient droit à un jour de congé.
En organisant cet événement officiellement défini comme « Muslim friendly », les autorités locales et gouvernementales taïwanaises ne se contentaient donc pas de donner libre cours à leur esprit de tolérance et à leur bon cœur. Elles mettaient en avant la « diversité culturelle » prévalant désormais sur l’île – un motif couramment utilisé par les actuels gouvernants pour tenter de marquer la différence entre Taïwan et la Chine continentale. Elles s’efforçaient aussi de promouvoir le motif néo-confucéen d’usage courant des « relations harmonieuses » entre employeurs et employé(e)s en encourageant les premiers à respecter les convictions religieuses des second(e)s. Il s’agissait donc bien, sous cet angle, de jeter un voile de généreuse convivialité sur l’exploitation domestique sans merci subie par ces femmes dépourvues de toute possibilité de faire valoir leurs droits élémentaires lorsque ceux-ci sont mis à mal.
Mais d’un autre côté, que le maire de la capitale de cet atypique Etat « de facto », rapidement relayé par la Présidente elle-même, Tsai Ing-wen, rende un hommage public, bien relayé par les médias, à une population immigrée occupant dans le pays une position distinctement identifiable comme celle de subalternes - un tel événement tend à prendre pour nous, Français, Européens, la tournure d’un rêve éveillé. Le jour de l’Aid, en effet, la Présidente, ne voulant pas être en reste sur son éventuel concurrent lors d’une élection à venir, a posté sur Facebook un message adressé aux musulmans de l’île, accompagné d’une vidéo dans laquelle elle remerciait les travailleurs musulmans de l’île pour leur contribution à la vie économique de l’île. Elle ajoutait que « la culture musulmane avait enrichi la société taïwanaise », que Taïwan « croit à la diversité culturelle et à l’égalité entre tous les groupes ethniques », que le gouvernement s’activait en vue de la création d’un « Muslim-friendly environment », en mettant notamment en place un système de certification halal, en promouvant la création de salles de prière et d’événements festifs pour les musulmans.
Quels que soient les motifs de Madame Tsai (qui, pour le reste, a les yeux de Chimène pour Trump et Abe et attise sciemment les tensions avec la Chine continentale), on ne peut ici que lui tirer son chapeau bien bas – et se prendre à rêver : et pourquoi ce qui est possible à Taipei ne le serait pas à Paris et dans toutes les grandes villes de France ? Et de quoi donc sont faites les prétendues fatalités et rigoureuses impossibilités qui ont pour effet qu’un événement comme celui qui vient d’être organisé par la municipalité de Taipei soit inconcevable dans la capitale française, sous le règne supposé éclairé de Madame Hidalgo ?
Pourquoi faut-il qu’il soit exclu par principe qu’en France, l’Etat, l’autorité puisse être, par quelque biais que ce soit, Muslim friendly ?