Demain, ils qualifieront sans doute les Aborigènes de "terroristes"
[Source : fondaskreyol.org, 15/10/2023]
J’habite, mon peuple et moi, une île, la plus vaste du monde, depuis 40.000 ans. Partis de la lointaine Afrique, mes ancêtres ont enjambé durant des millénaires, vallées, déserts, fleuves, détroits et océans furieux avant de s’y installer.
Vous autres n’êtes venus seulement hier (à partir du 18è siècle dans votre manière de compter le temps) dans mon pays que vous avez dénommé "Australie", me qualifiant mon peuple et moi d’Aborigènes. Ce nom à l’apparence comique, voire grotesque, dit pourtant la vérité puisqu’il provient d’une de vos anciens idiomes, le latin : "aborigène" de "ab origine" signifiant "depuis l’origine".
Or, vous nous avez chassés comme des bêtes sauvages, détruit nos campements, volé nos terres.
Nous avons failli disparaître. Dans l’indifférence générale. Nos langues et nos cultures se sont disloquées, nos divinités se sont envolées. Nous étions désormais seuls et n’avions d’autre ressource que de quémander des postes d’ouvriers agricoles dans vos fermes. Parfois, nous n’étions même pas payés. Le plus souvent nous étions sous-payés. Alors nombre d’entre nous sombrèrent dans l’alcoolisme pour nos hommes et la prostitution pour nos femmes. Tout cela vous indifféra ! Vous aviez grande hâte de nous voir, nous les Sauvages, disparaître de la surface de ce pays que vous considériez comme le vôtre. Comme votre propriété privée.
Votre violence brute alterna avec ce que vous avez appelé une "politique d’assimilation". Elle consistait à arracher nos enfants à leurs familles et à les faire adopter par des familles blanches pour pouvoir les transformer en parfaits petits Australiens certes basanés. Des milliers de nos enfants subirent ce que, dans votre propre langage lui-même, on peut qualifier de déportation. Il s’était agi pour vous d’éteindre à jamais les dernières lueurs de nos langues, croyances et cultures.
Nous avions failli disparaitre mais certains d’entre nous surent résister à la terreur et à l’extermination. Ils ont combattu, reconquis des pans de territoire, exigé ici et là quelques droits mais sans réussir pour autant à nous sortir de la géhenne (vous nous avez aussi imposé votre religion). Nos petits-fils en vinrent à apprendre votre langue et vos coutumes. A s’habiller comme vous et à écrire dans les journaux. A se présenter à des élections aussi. Ah, certes, avec environ 800.000 âmes, nous les Aborigènes, on ne pèse presque rien face aux 26 millions d’Australiens blancs.
Mais nous pesons sur votre conscience !
Alors, certains des vôtres se joignirent à nos luttes, se mirent à défendre notre cause. Cela nous renforça indéniablement. Ainsi, en juin dernier, suite à son classement par l’UNESCO au Patrimoine mondial de l’Humanité, l’île dénommé "Fraser", peuplée presqu’uniquement par nous autres, retrouva son nom aborigène : elle est officiellement redevenue l’île K’gari. Certains d’entre nous réussirent même à se faire élire au parlement australien. Depuis, le combat n’a jamais cessé. Sans arc ni flèche. Sans kalachnikov ni lance-roquette. Sans attentat. Vint alors ces jours-ci une proposition de loi visant à faire reconnaître par ce même parlement notre droit à l’existence. Notre droit de peuple premier.
Il n’a été question ni de réparations financières versées aux miens ni de restitution de nos terres volées.
Rien de tout cela !
Il s’agissait juste de reconnaître notre existence dans la constitution australienne. Juste ça !
Vous avez rejeté cette proposition de loi en votant "NON" à 60%. Cela a une signification très claire : n’importe quel Européen peut débarquer d’Angleterre, d’Allemagne, de France, d’Italie, de Russie, de Pologne et, au bout de deux ans, obtenir la nationalité australienne. Or nous qui sommes sur cette terre depuis 40.000 ans, nous continuerons à être des exclus, des barbares et des sous-citoyens.
Quand, fatalement, nos descendants décideront un jour de se révolter, nul doute que vous, les Australiens blancs et vous, le monde occidental si prompt à délivrer des leçons de "Droits de l’Homme", vous ne manquerez pas de les qualifier de "terroristes" comme vous le faites s’agissant des Palestiniens depuis trois-quarts de siècle.