Lettre d’un "sage birman" à nos universitaires français
Yangon, le 16 décembre 2007-12-06
Chers amis universitaires français
Je vous écris de Birmanie, m’interrogeant sur la situation dans vos universités, après l’arrivée de plusieurs d’entre vous demandant l’asile politique, ce que le Numéro 1 acceptera sans problèmes. Si un tel flux se confirme, peut-être pourrons-nous suppléer au déficit touristique créé par l’agitation désordonnée de ces derniers mois.
D’après vos compatriotes, vos universités souffrent d’un double déficit : en doctrine et en exogamie. Chez nous, c’est le Conseil des Sages (CS) librement élu par l’ensemble des moines qui décide de la doctrine d’un monastère. Ses membres, fort compétents, ne proviennent pas de son sein, un peu comme les condottieri de la belle Renaissance italienne. Ils mettent leurs talents au service d’une communauté étrangère et comme ils sont âgés, ils jugent avec beaucoup d’expérience et d’indifférence. Ce serait en effet une hérésie que de les voir, pour un temps, destiner ceux qui les destineront plus tard. D’après ce que nos disent vos collègues de « sciences humaines », le recrutement se ferait plutôt en fonction de lignages et de services rendus ou à rendre entre grandes familles, dans une sorte d’échange-don généralisé à l’échelle de votre belle nation : tu votes pour le fils de ma sœur à tel endroit et je te rendrai la pareille dès que possible pour le jeune frère de mon oncle. Ou alors, cet échange est si bien généralisé qu’il vous faut des réunions en cénacle de très haut niveau, entre prêtres de haut grade, pour adouber l’un, exclure l’autre pour un temps à l’aide de cabales, etc. Il est évident que le talent doctrinal n’est pour rien dans le recrutement de vos jeunes moines. C’est une affaire d’opportunité. Voilà qui est contraire à la vraie doctrine. Nous aussi avons été soumis à cette redoutable question : faut-il prohiber l’inceste ou non ? Nous avons décidé de l’interdire absolument au peuple et aux prêtres, en en réservant la possibilité aux membres de la haute caste des guerriers. C’est la garantie d’une dégénérescence certaine de la tête, ce grâce à quoi nous écartons toute modification de notre société ancestrale. Mais le respect de l’interdit n’est pas suffisant pour garantir la perpétuation de la doctrine : encore faut-il choisir celui qui occupera le bon poste au bon moment. Pour cela, nous nous référons à la position des astres : y a-t-il un plus bel ordre que celui du cosmos ? L’important est donc de transférer l’ordre des astres sur Terre. Nous avons résolu ce problème sans construire de coûteux vaisseaux spatiaux, grâce à nos astrologues, d’où une économie qui profite au petit peuple, qui vit selon le rythme lunaire et qui adore la Pleine Lune. D’après vos collègues, vos jeunes gens craignent de ne plus pouvoir accéder à la sainte doctrine dispensée dans nos monastères, les dons devenant trop élevés. Nous avons résolu là aussi le difficile problème de l’enseignement populaire et gratuit : les parents maintenus d’autorité dans l’indigence, voient comme un bienfait la possibilité de faire accéder leurs adolescent-e-s dans ces lieux reculés, loin de l’agitation profane où une saine nourriture sera distribuée régulièrement. Chaque enfant acquiert donc le seul savoir-faire qui compte dans une vie droite : la méditation et l’étude. Cette initiation, qui ressemble à ce que vous appelez « stage », peut durer plusieurs mois et les meilleurs y prennent goût et reviennent parmi nous, définitivement, à l’âge adulte. L’important, c’est que nos guerriers, si valeureux dans la lutte contre les minorités barbares des frontières, auront pris cette empreinte et il en restera toujours quelque chose. Même s’ils vivent dans la corruption et pensent qu’il y a quelque chose de durable ici-bas, ces guerriers oublieux continueront malgré tout de respecter l’habit safran. C’est l’essentiel d’un enseignement obligatoire : le respect de l’Incompréhensible. Vos collègues nous ont dit être très respectueux de l’Etat qui les nourrit : ils ne voudraient pas avoir à obéir à un maître privé. Mais l’Etat et l’étude ne peuvent aller ensemble ! Nous ne comprenons pas votre servitude volontaire à ce Léviathan qui ne peut vous proposer que de vils biens : honneurs, médailles, palmes académiques…. Comment peut-on sauver son âme à l’ombre d’une telle illusion ? Peut-on transmettre efficacement si l’on adore une idole ? Nos monastères se détournent radicalement de l’Etat des guerriers. C’est une voie certes difficile, étroite, et nos voisins Chinois ont choisi un tout autre véhicule, beaucoup plus large, mais ce ne sont que des marchands que la réussite matérielle rend avides. Cet attachement à l’Etat vous conduit, comme des bœufs sous le joug, à filer droit et profond, votre vie se résumant à être fidèle au sillon d’à-côté, que vous regardez jalousement de biais. Alors que nous allons de monastère en monastère, toujours à la recherche d’un maître qui Eveille. Il me semble que vous en faisiez de même dans votre sombre Moyen-Age, alors que nos empires étaient si resplendissants ! A force de vous attachez à un territoire et à votre domaine, on vous donne un seigneur qui exigera de vous obéissance et utilité. Mais, c’est qu’il fallait parcourir le monde avant !