(Re)lire Le corps d’exception – Les artifices du pouvoir colonial et la destruction de la vie

, par Julien Quelennec


Le corps d‘exception [1] a été édité une première fois en 2005. Dans ce livre, Sidi Mohammed Barkat réunissait une série d’articles problématisant la politique coloniale française et le corps indigène comme objet de la terreur d’Etat, le contexte historique privilégié étant celui de l’Algérie. A l’occasion de sa réédition en format poche, nous souhaitions proposer un compte-rendu, non pas un résumé ou une explication, mais une invitation à lire ou relire cet ouvrage. Ce dernier est non seulement un compagnon utile pour entamer une réflexion politique pertinente sur la permanence de problèmes issus ou associés à l’époque coloniale, il est également porté par une conception radicale de l’égalité politique qui conduit à réinterroger certaines évidences, par exemple sur l’origine, la signification et le fonctionnement de l’État de droit. Ce questionnement est d’autant plus nécessaire au moment même où le nouveau Ministre de l’Intérieur n’hésite pas à déclarer haut et fort que l’État de droit, « ça n’est pas intangible, ni sacré ». Cette formule scandalise mais est en réalité une pratique politique ancienne, issue de l’époque coloniale. Le corps d’exception le démontre.
Le traitement médiatique et politique de l’histoire coloniale française n’a pas beaucoup évolué durant ces vingt dernières années, malgré l’émergence académique des études postcoloniales et décoloniales. Ce livre est en ce sens toujours d’actualité puisqu’il pose précisément le problème de l’inefficacité de la production des savoirs sur l’histoire coloniale du point de vue politique. Cette connaissance existe, il n’y a rien de caché. Personne ne peut ignorer les crimes coloniaux, la terreur inhérente à ce régime d’exception. Et pourtant, le traitement politique officiel de cette histoire évolue peu ou pas du tout.
Dans cette nouvelle édition Kaoutar Harchi présente clairement en introduction les relations que l’on peut établir entre les analyses de Sidi Mohammed Barkat et certains événements politiques contemporains : de la situation en Kanaki, au vote de la loi « séparatisme », en passant par les différents épisodes de déclaration d’état d’urgence ces dernières années. Dans ce compte-rendu, je m’engage plutôt à relever quelques points clés de son analyse, en tout cas ceux qui me permettent de faire des liens avec un ensemble de concepts qui ne sont pas nécessairement ceux de l’auteur. Je serai loin d’être exhaustif et j’espère donc ne pas trop déformer ses pensées.

Transition et gouvernementalité coloniale

Sidi Mohammed Barkat n’utilise pas le concept de gouvernementalité, mais présente bien la politique coloniale comme un système de gouvernement élaboré contre les colonisés et fondé sur l’instauration du statut de l’indigénat en 1865. Il nous propose de questionner les continuités de cette politique et de problématiser sa rémanence pendant mais aussi après la période coloniale.
Le statut de l’indigénat a provoqué une rupture invisibilisée, une « transformation muette », dans et de l’Etat de droit. En analysant des textes juridiques de divers époques, l’auteur éclaire la manière dont l’ordre légal va prendre en charge une réalité présentée comme transitoire, et devenir de ce fait un outil fondamental pour le maintien durable des artifices du pouvoir colonial. La loi devient un opérateur de transition et constitue ainsi un outil de gouvernementalité susceptible de s’adapter aux circonstances. Le régime d’exception se présente en effet toujours comme une situation transitoire, avant le retour à l’État de droit « normal », entendons ici l’achèvement supposé du projet civilisationnel de l’Empire. L’histoire de la colonisation de l’Algérie par la France met en évidence la persistance de cette gouvernementalité fondée sur une exceptionnalité permanente garantie et justifiée par le droit. La transition instituée dans et par le système légal s’est avérée de ce point de vue une technique de gouvernementalité efficace contre des modes de vie et d’existences jugés incompatibles ou non conformes à la norme vers laquelle la loi était supposée guider les populations. La « mission civilisatrice », vitrine idéologique du projet colonial, avance certes par la force et la conquête, mais aussi par un droit paradoxal qui impose en définitive des barrières récurrentes à l’aboutissement de cette prétendue mission. L’arsenal répressif et policier est toujours déjà-là et prêt à pallier aux insuffisances intrinsèques et voulues de ce droit provisoire. La « destruction de la vie » n’est pas un accident, mais l’envers de ce système de gouvernementalité dont les techniques sont développées pour gérer un cas singulier dans l’Empire français, celui de l’Algérie.
L’institution du statut de l’indigène avec le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 constitue l’événement majeur mais minorée de l’histoire coloniale française. Sidi Mohammed Barkat démontre que son incidence est en réalité capitale d’un point de vue politique pour quiconque cherche à comprendre cette histoire et à s’en libérer. Ce n’est pas un commencement historique (conquête et mise sous tutelle de l’Algérie dans les années 1830, puis « intégration » au territoire français en 1848), c’est le point d’émergence au niveau juridique d’une suite de paradoxes modifiant la nature même de l’État. Cet ouvrage propose une généalogie de la politique coloniale plutôt qu’un travail historique de reconstruction de chaînes de causalités entre des faits de l’histoire coloniale. Il semble important en ce sens de souligner l’affirmation cruciale et déterminante pour l’ensemble de sa réflexion : le sénatus-consulte a opéré une « modification de la nature même de l’État et la transformation profonde de ses principes »(p.53). Du point de vue d’une histoire politique classique de l’État français, cet événement ne peut certainement pas être considéré comme ayant l’importance que lui donne l’auteur. Ce point de vue privilégiera le récit républicain de la lente et progressive « conquête démocratique » (c’est ce que l’on enseigne à l’école), ou de la succession des différents régimes politiques depuis la Révolution, le sénatus-consulte étant alors situé et attribué à la politique autoritaire du Second Empire, la IIIème République étant censée reconduire le pays aux principes révolutionnaires de 1789 et 1848. Il est évident que ce récit prend bien soin de masquer les continuités des politiques coloniales françaises derrière ces changements de régime. Il traite l’histoire coloniale à part, en marge, comme un supplément, une situation particulière, une exception dont l’importance est minorée eu égard à la Grande Histoire Républicaine de la métropole qui fait de l’État français le garant et le restaurateur des principes fondamentaux du Corps politique souverain autour des valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité proclamées par le peuple français. Tout l’intérêt de la brèche ouverte par Sidi Mohammed Barkat dans cette mythologie républicaine est de participer et contribuer à l’élaboration d’un contrechamp, autrement dit à une relecture politique de l’histoire de l’État français à partir d’un événement marginalisé par le grand récit républicain et en référence à un territoire, l’Algérie, dont l’histoire coloniale singulière est susceptible de mettre à jour les contradictions.
La modification de la nature même de l’État par l’instauration du statut de l’indigénat ne doit cependant pas être comprise comme un fait bouleversant le système de gouvernementalité du jour au lendemain. Il s’agit plutôt d’un événement dont les effets ne sont pas immédiatement visibles et perceptibles, du fait de l’éloignement des colonies pour le regard métropolitain, mais aussi et surtout parce qu’il s’inscrit dans un régime de temporalité différée. Ce qui s’instaure progressivement et par récurrence avec le statut de l’indigénat, c’est l’articulation paradoxale de la citoyenneté à l’identité culturelle. La notion d’origine acquiert au travers de cet événement juridique une valeur politique plutôt que descriptive. C’est ici que se joue « la transformation muette des fondements institutionnels »(p.66), la refondation de l’État et de la souveraineté politique sur un principe de séparation, de discrimination, d’inclusion exclusive, autrement dit la mise en place d’un régime d’exception qui se traduit juridiquement par la légitimation et légalisation de la terreur dans l’Etat de droit, une forme de thanatopolitique qui serait comme l’envers de la biopolitique modernisatrice et civilisatrice.
Sidi Mohammed Barkat aurait pu choisir de focaliser son attention sur les faits qui attestent de cette terreur. Ce n’est cependant pas suffisant selon lui pour rendre compte et problématiser ce qui rend possible sa résurgence par-delà l’indépendance algérienne. Les preuves ne suffisent pas constate-t-il dès le début du livre. Il privilégie dès lors l’analyse de deux épisodes juridico-politiques supposés être des mesures progressives tendant vers un assouplissement du statut de l’indigénat : le projet de loi Viollette en 1936 (abandonné) ; et l’ordonnance du 7 mars 1944 avec la circulaire Périllier, préfet de Constantine, qui la traduit administrativement pour les agents de l’État colonial. Dans les deux cas, l’acquisition et la reconnaissance de droits politiques pour certains indigènes est en réalité rendue impuissante et inefficace en ce qu’elle ne résout pas la contradiction inhérente au fondement de l’État. Le progressisme supposé confirme et prolonge même la logique du sénatus-consulte, celle du « report indéfini d’une pleine inclusion annoncée »(p.49) en articulant les droits politiques des nouveaux citoyens à un titre personnel non transmissible. L’auteur montre ainsi que la construction de barrages à l’égalité et aux droits politiques s’appuie sur un système de gouvernementalité qui ne peut pas ne pas perdurer au-delà de la fin officielle du statut de l’indigénat, puisque le questionnement politique sur l’État et les contradictions de la souveraineté politique qui le fonde restent ignorés même par les partisans du progrès et de l’amélioration des conditions de l’indigène. La prétendue adaptabilité de l’exercice du pouvoir à une situation transitoire s’avère ici un outil efficace de dépolitisation des populations autant que des récits, mais surtout d’instauration d’un système de gouvernementalité fondé sur la mise à l’écart d’un corps d’exception. Les contradictions inhérentes à cette gestion supposée transitoire deviennent alors les conditions pour le déploiement des appareils répressifs et le maintien du rapport de domination extraordinaire ne laissant aucune issue aux colonisés. Au-delà du jeu du rapport de force ponctuel, ce qui est à l’œuvre et perdure, c’est un système de hiérarchie qui sépare des populations en dotant certains d’une puissance d’agir et en créant pour les autres les conditions d’une privation de ces mêmes capacités existentielles.

Transmission et régime de vérité colonial

Le corps d’exception n’est cependant pas que le produit de textes juridiques. Son opposition au corps souverain, celui dans lequel les droits politiques du citoyen peuvent pleinement s’exprimer, ne peut pas se comprendre uniquement comme la conséquence de la mise en place d’un dispositif juridique. Ce dernier ne peut maintenir son efficacité qu’en fonction d’un régime de vérité qui le valide, le légitime et le rend acceptable. Le statut de l’indigénat est conditionné par la production de la vérité sur l’indigène, et son maintien passe par des mécanismes de transmission de cette vérité. C’est en ce sens qu’une grande partie du livre est consacrée à la problématisation de l’adhésion aux images et dogmes de l’État colonial. L’approche de Sidi Mohammed Barkat est originale en ce qu’elle ne va pas s’appuyer directement sur l’analyse de la production du savoir orientaliste, autrement dit sur la seule déconstruction des mécanismes d’objectivation de l’indigène. Son constat pourrait être traduit de la manière suivante : les faits de terreur coloniale sont établis, les historiens ont établis la corrélation entre production d’un savoir sur le colonisé et exercice d’un rapport de domination, mais il n’y a pas pour autant d’acceptation et de soumission des subjectivités aux évidences produites par les « experts » de la question. Il interroge donc cette insuffisance du point de vue de la production de ce qu’il nomme une « subjectivité de masse » et en explorant les ressorts de la persistance de « l’image de l’indigène », en tant qu’elle s’articule à une opération de différentiation culturelle.
Sur cette question, nous observons une légère évolution au cours du livre. Dans les premiers chapitres, il s’agit d’affirmer l’existence d’un lien fondamental et structurel entre un événement juridique (l’instauration du statut de l’indigénat) et le processus de subjectivation d’une masse se soumettant à l’image de l’indigène produite par l’État colonial et ses experts. L’enjeu est ici double me semble-t-il. D’un côté, il s’agit de montrer comment le bouleversement de l’État de droit masque ses contradictions en agissant sur les consciences au travers des représentations sociales de l’indigène. En bref, du fait de sa longue soumission aux supposées institutions du « droit musulman », l’image de l’indigène est marquée à jamais du sceau de l’immoralité et de l’irrationalité. Le dispositif juridique se dote ainsi des moyens de justification de l’exclusion pourtant contraire aux principes de l’État de droit. Mais d’un autre côté, ce qui intéresse l’auteur, c’est surtout l’adhérence de ces images et la manière dont elles informent les subjectivités à une échelle de masse. Le deuxième enjeu est ainsi, au-delà de l’acceptation et des processus de légitimation des diverses images de l’indigène, le fait qu’elle laisse comme une empreinte psychique et corporelle invisible, plus profonde et structurante, celle de l’origine imaginée comme marqueur d’identité, signe distinctif toujours prêt à être remobilisé pour rétablir une ligne de division, « redonner forme à la ligne de démarcation qui sépare le citoyen de l’indigène », même quand le statut de ce dernier aura été officiellement aboli.
La production d’une image de l’indigène et de ses institutions n’a donc pas pour but de rendre compte des modes d’existence réels des colonisés, mais bien de faire que les subjectivités opèrent conformément aux normes le partage entre le vrai et le faux, entre une filiation authentique et inauthentique, entre le citoyen évident et le suspect dangereux du fait de son origine supposée. Sidi Mohammed Barkat montre que ce régime de vérité colonial comme dispositif de pouvoir se consolide autour de l’image de l’indigène produite durant l’époque coloniale et se prolonge jusqu’à aujourd’hui sous des formes plus ou moins discrètes, celles par exemple de l’identité culturelle ou religieuse.
Cependant, à partir du chapitre 4, c’est-à-dire avec les réflexions sur la Guerre de Libération algérienne et le massacre du 17 octobre 1961, c’est comme si la réalité venait brouiller ce régime de vérité. L’image de l’indigène produite par l’époque coloniale devient inopérante dès lors qu’il apparaît comme « être de désir », être qui se donne à lui-même son propre nom, « foyer de subjectivation » manifestant sa capacité symbolique d’égal à égal. Le paradoxe est que ces derniers chapitres traitent frontalement de la terreur toujours sous-jacente à la politique coloniale, et donc d’une forme de permanence dans l’exercice du pouvoir et les manifestations de la domination, mais ils suggèrent également une modification de l’image de l’indigène à même de remettre en cause le régime de vérité sur lequel s’appuie ce même pouvoir. Des renversements s’opèrent et troublent les lignes de démarcation à l’intérieur du discours officiel : on fait appel à l’amour des colonisés pour la France, on reconnaît donc leurs puissances désirantes ; on constate l’irrationalité, le « trop d’amour » et l’irresponsabilité des agents de l’État dans la manière dont ils traitent les populations indigènes. La terreur surgit précisément au moment d’une remise en cause radicale de la vérité sur l’indigène et des partages dont elle découle. Un monde s’écroule. Pour les uns, cela ne peut conduire qu’à la haine et à la destruction de ce que l’on imagine être le symbole et la cause de cet écroulement : le corps de l’indigène. Pour les autres, une brèche s’est entrouverte dans le système d’exclusion invitant à de nouvelles expériences pour un corps s’émancipant de la logique coloniale, de son langage et des images qu’il véhicule.

Exposition des corps et brèches décoloniales

Tout au long du livre, Sidi Mohammed Barkat s’efforce de repérer un certain nombre d’impasses du discours contemporain sur l’histoire coloniale française. Comme nous l’avons déjà indiqué, il s’agit tout d’abord de prendre acte que les travaux historiques montrant la dimension systémique de la violence d’État, l’usage récurrent de la terreur, en bref l’évidence d’un racisme structurel de l’État français, ne produisent pas les effets escomptés de repolitisation. Il l’indique dès le début du livre, l’argument qui tend à innocenter l’État et à imputer les crimes commis à des individus isolés, à des minorités non représentatives, à des abus regrettables, des accidents, est très largement et facilement accepté. De même les enjeux de mémoire et d’oubli à travers la seule référence aux crimes commis par l’État colonial peut s’avérer être une impasse dans la mesure où cette dichotomie oubli/mémoire n’échappe pas nécessairement à la logique qui innocente l’État, en traduisant par exemple des criminels devant la justice mémorielle sans questionner pour autant l’État, et tout en enfermant le corps du colonisé dans une position victimaire. Rendre hommage aux victimes, s’indigner de la terreur d’État, c’est fondamental mais cela ne suffit pas dans la mesure où cela ne débouche pas nécessairement sur un questionnement des conditions qui ont rendu possible la terreur, ce déchaînement de violence, le surgissement d’une haine si profonde qu’elle s’accommode de la destruction de la vie d’un autre être humain en préparant les modalités de sa déculpabilisation. Pour sortir de ces impasses, il faut donc commencer par affirmer et accepter que l’histoire coloniale nous oblige à un questionnement politique radical de l’État et de ses fondements, et non à des réflexions morales sur l’absurdité de ces crimes et notre impuissance à saisir le sens de ces événements tragiques. Dans ce livre, cela se traduit par une généalogie de l’État français au travers du prisme de l’instauration du statut de l’indigénat.
Mais au fil de cette généalogie, une ligne de fuite semble prendre forme, une autre manière de sortir des impasses, celle qui s’engage avec l’apparition du concept d’exposition des corps entendu comme expérimentation de l’égalité et exercice des capacités politiques et symboliques. « Une fois exposés, les corps témoignent de l’égalité et doivent être reconnus en tant que tels ou supprimés » est-il écrit à l’approche de la conclusion. N’étant pas familier avec cette notion d’exposition qui fait explicitement référence à un ouvrage de Jean-Luc Nancy, il est difficile de saisir toutes ses implications. Elle est marquée par une ambivalence certaine, mais semble ici faire signe vers une forme de repolitisation non discursive surgissant au travers de l’expérience directe et souvent brutale de la confrontation avec l’État et ses appareils répressifs. Cette expérimentation rend visible et perceptible les limites et contradictions que l’État s’efforce aux contraires de masquer. Elle est révélatrice mais aussi une manière d’agir sur et modifier l’image de ce corps frappé par les stigmates du régime d’exception auquel il a été soumis. Mais elle est aussi la manifestation d’une puissance de vie, l’apparition d’une lumière au travers d’un mouvement des corps libérés des images produites par le régime de vérité colonial et son système de représentation.
Les témoignages des Algériens ayant survécu la nuit du 17 octobre 1961 sont sans doute d’une importance capitale pour comprendre les raisons qui poussent Sidi Mohammed Barkat à passer d’une perspective généalogique sur le corps d’exception à une forme d’expression non langagière et de nature plus expérimentale. Des photos des sourires et de ces corps joyeux exprimant leurs pleines puissances auraient certainement pu illustrer les propos du livre, en tout cas de ce que l’auteur vise quand il parle de « vie ». La repolitisation passe par l’expression pleine des affects en tant qu’ils sont les vecteurs d’une puissance d’agir, augmentation de la puissance d’affecter et d’être affecté en termes spinozistes. Le 17 octobre renvoie pour Sidi Mohammed Barkat à cette expression de la vie, à l’expérimentation des corps, à la découverte de nouveaux affects, pas seulement aux crimes et à la mort.
Au travers de l’exposition de leurs corps, ces hommes et femmes ont non seulement fait l’expérience irréversible de leur puissance politique et de leur égale capacité à l’exercer, se libérant ainsi pour et par eux-mêmes du régime d’exception, ils ont également, et bien souvent à leurs dépens, mis en évidence les failles d’un État en contradiction avec les principes dont il prétend être le garant. C’est dans cette brèche ouverte par le courage de ces corps que Sidi Mohammed Barkat nous invite à nous engouffrer pour penser et repenser les processus de conditionnement des subjectivités inhérents aux États fondés sur la mise en œuvre d’un régime d’exception.

Julien Quelennec

Notes

[1Sidi Mohamed Barkat, éditions Amsterdam