En hommage à Maurice Rajsfus – citations


Le chagrin et la colère, Paris, Le Cherche Midi éditeur, 2005

« La raison plutôt que la haine. La Libération venue, il ne pouvait être question de tuer les cent mille flics français qui avaient dégusté de bon appétit le pain des nazis – de 1940 à 1944. Un par un, cela aurait pris du temps et puis, les situations aidant, le phénomène de la génération spontanée nous met constamment en danger face à cette prolifération flicarde, source de tant de maux à travers les âges. Ce ne sont pas tant les flics qu’il faut supprimer mais l’institution qui suscite les vocations. Sans oublier les millions d’individus immondes, policiers par destination, les indics bénévoles, combien plus redoutables. »

« Comment vivre tranquillement dans un pays où il y a plus de policiers que d’assistantes sociales ? »

« A part quelques témoins directs, la tendance était à oublier que, du temps de l’occupation nazie, c’étaient des flics français, mercenaires ordinaires, qui livraient les Juifs à la Gestapo. Ces hommes qui avaient changé de maîtres faisaient régner l’ordre nouveau, très satisfaits de cette besogne qui leur permettait d’assouvir de bas instincts contre un salaire convenable. “Sale race !” disaient-ils en procédant à l’arrestation d’une mère de famille, hurlant au désespoir, et de ses enfants. Ces mêmes flics participeraient, quelques années plus tard, à la chasse aux collabos, à la chasse aux Algériens, à la chasse aux étudiants… 1942, 1961, 1968. Cela n’avait rien de contradictoire puisque le policier est payé pour matraquer ou assassiner sur ordre. Pas pour réfléchir. »

« Le préfet de police, Papon, n’a pas quitté son quartier général. Heure par heure, il est informé du déroulement des opérations. La terreur déferle sur Paris. Le ministre de l’Intérieur, Frey, “couvre”. Dans la soirée, nous savons déjà que le sang a coulé dans les rues de Paris. Le lendemain matin, nous apprendrons que des policiers “incontrôlés” ont froidement assassiné neuf personnes à l’une des entrées de la station de métro Charonne. A coups de grille de fonte. Comme on écrase des bêtes malfaisantes. »

La police de Vichy. Les forces de l’ordre françaises au service de la Gestapo 1940/1944, Paris, Le Cherche Midi éditeur, 1995

« En ces années 1990, certains policiers se comportent avec les Maghrébins et les Noirs, tout comme leurs anciens le faisaient avec les Juifs, en 1942. Certes, le danger n’est plus le même pour le paria, mais la pugnacité policière n’a pas varié. Et la population est toujours aussi indifférente… »

« L’Histoire récente nous démontre qu’entre la police d’un Etat démocratique et celle d’une dictature, la frontière est parfois bien mince. Dans les deux cas, c’est la police qui, peu à peu, infiltre et gangrène les organes de l’Etat, jusqu’à les inspirer ou les dominer. Il est certain que, dans tous les cas, l’Etat sous influence policière lance ses tentacules dans tous les espaces de liberté, jusqu’à suspecter ceux-là mêmes qui guident son action. »

« Analyser le comportement de la police française à l’époque du régime de Vichy peut aider à comprendre son attitude en toute période plus ou moins troublée. La traque aux Arabes et aux Noirs, en régime démocratique, ne lui pose pas davantage de problèmes que la chasse aux Juifs sous l’occupation nazie. L’ordre public n’a pas de morale. »

« La police française ne se contente pas de bien maîtriser les rafles. Il convient d’être bon dans tous les domaines du jeu. Ainsi, lorsque les nazis décident de fusiller 150 otages au Mont-Valérien, le 15 décembre 1941, la préfecture de police se chargera, la veille, de la sélection au camp de Drancy de 44 Juifs immigrés, soupçonnés d’être communistes ou sympathisants, qui seront ainsi envoyés au poteau d’exécution. »

« Les policiers ne font pas de politique. Ils obéissent aux ordres et exécutent la consigne, en éprouvant une certaine satisfaction. Bien souvent, ils sont capables d’initiative en dépassant la mission qui leur est confiée. Désir de bien faire ? Volonté d’être remarqués pour leur disponibilité ? d’être performants ? Haine de l’opprimé et plus sûrement encore si ce paria est étranger ? Ces interrogations ne sont pas incongrues car tout dans le comportement des policiers français, de 1940 à 1944, tend à vérifier leur rôle de chien de garde de la Gestapo ».

Quand j’étais Juif, Mégrelis, 1982

« J’ai surtout été Juif durant les cinquante mois qu’a duré l’occupation nazie. J’ai été Juif parce que les “bons Français” en avaient décidé ainsi. J’ai été Juif parce que l’administration française avait été au-devant des désirs de la section juive de la Gestapo installée à Paris dès le mois de juin 1940. J’ai été Juif parce que la police française, complice à 99,99% des nazis jusqu’en août 1944, veillait à faire appliquer les lois raciales édictées par le gouvernement Pétain/Laval. J’ai été Juif parce que ma poitrine s’ornait d’une magnifique étoile jaune grande comme la main d’un enfant. J’ai été Juif parce que ma carte d’identité portait le cachet “Juif” apposé par les soins du commissariat de police de mon quartier. J’ai été Juif parce que des flics, bien français, sont venus arrêter mes parents, à l’aube d’une nuit d’été, alors que d’autres partaient en vacances. Dès lors, j’ai été Juif parce que mes parents étaient destinés aux camps de la mort. J’ai été Juif parce que j’étais orphelin sans le savoir pendant deux ans. J’ai été Juif parce qu’à quatorze ans je n’avais plus le droit d’aller au cinéma, à la piscine, au musée ou même dans un jardin public. J’ai été Juif pour satisfaire la lâcheté de ceux qui pouvaient clamer à tous les vents qu’ils ne l’étaient pas ! Alors, j’ai été Juif au point de croire que je l’étais vraiment... »

Le travail à perpétuité – de la galère au journalisme, Manya, 1993

« On ne quitte pas facilement son enfance. Je crois même que l’on reste un enfant toute sa vie durant. Ceux qui échappent à cette dépendance juvénile deviennent généralement de tristes adultes. Mieux vaut rester un adolescent attardé que se transformer en un homme mûr insensible, persuadé de sa puissance, méprisant envers ses contemporains [...] Au bout du compte, la course contre le temps ne connaît que des vaincus. Reste la jeunesse du caractère qui permet de laisser libre cours à l’imagination, au rêve ».

Retours d’Israël, L’Harmattan, 1987

« Durant des années, on se préparait au travail de la terre (il ne pouvait être question de partir en Eretz Israel pour se livrer à des activités mercantiles). On imaginait les vergers et les potagers que le rude travail ferait surgir au milieu du désert et des collines plus grises de pierrailles qu’il n’est possible de l’envisager. Dans les cercles de jeunes révolutionnaires sionistes, on chantait, on dansait, en attendant l’heure du départ. On apprenait l’hébreu bien sûr ; pas celui du Livre mais la langue d’un peuple voulant être libre et qui, à cette fin, inventait des mots nouveaux pour les intégrer au vieux langage qui ignorait cette société moderne devant surgir en Palestine. On tirait des plans merveilleux sur un avenir qui ne pouvait qu’être radieux, car la liberté n’a pas de prix.
On n’oubliait qu’un seul détail : en Palestine, il y avait des Palestiniens ».

Jeudi noir, L’Harmattan, 1988
« Finalement, je suis un innocent, au sens angélique du terme. Je réclame justice contre un policier français alors que l’on a jugé un policier nazi. Comme si j’ignorais que tous les gouvernants, sous tous les régimes que nous avons connus, ont toujours fermé les yeux sur les exactions policières tant ils ont besoin de ces mercenaires fidèles. Que m’importe le procès Barbie, si l’on n’a pas jugé Mulot [le flic français qui a arrêté ses parents]. Tous deux ont commis les mêmes crimes contre l’humanité. Bien qu’ils soient intervenus à des niveaux de responsabilité différents, tous devraient être confondus dans la même opprobre ».

Sois juif et tais-toi ! – 1930-1940 – les Français “israélites” face au nazisme, EDI, 1981

« Aujourd’hui, la xénophobie des élites du judaïsme peut se défouler en toute quiétude contre d’autres immigrés que l’on peut considérer comme des intrus. C’est d’autant plus évident quand le gouvernement comprend en son sein un représentant tout à fait officiel du Consistoire. C’est le cas depuis 1977 avec Lionel Stoleru, descendant d’immigrés juifs roumains et secrétaire d’Etat au travail manuel ; à ce titre, c’était le véritable tuteur des travailleurs immigrés, qu’ils soient turcs, maghrébins ou maliens. Comment s’étonner de voir cet homme rédiger des décrets racistes pour le compte des gouvernements dont il fit partie et qui, cette fois, ne touchent pas les Juifs (Dieu soit loué) mais ceux qui ont la peau un peu plus basanée qu’il est nécessaire pour vivre en France en toute tranquillité ».

Drancy – un camp de concentration très ordinaire, 1941-1944, Manya, 1991

« Jusqu’à quand faudra-t-il attendre la publication d’un document émanant du ministère de l’Intérieur, dénonçant l’attitude des autorités policières aux ordres de Vichy et des nazis ? Cet acte capital pourrait être accompagné d’un manifeste des syndicats de police réputés “de gauche”, exprimant les regrets des policiers de cette dernière décennie du siècle face aux comportements de leurs anciens. Mieux encore, si ces policiers veulent rester crédibles, ils dénonceront également la répression raciste latente qui frappe au quotidien les immigrés, et particulièrement les jeunes Français d’origine maghrébine ».