Un Blanqui noir -1- Première parution : Cahiers de l’IRASCible, n°7, octobre 2018
Pour Jean-Gabriel Périot
I hope I have trained all of the slave out of me
(Lettre de George Jackson à Fay Stender, mars 1970)
Enfermé à la prison de haute sécurité de Soledad, Californie, où il a été expédié à l’âge de 18 ans pour sa participation à une attaque à main armée qui rapporta soixante-dix dollars à ses auteurs, George Jackson écrit à son père. Au détour de l’une de ses lettres, il s’interroge : « Pourquoi la peine est-elle si draconienne, et le prix de la défaite si élevé ? » [1]
Draconienne, en effet, la sentence à laquelle a été condamné celui qui est alors un jeune voyou issu des ghettos noirs – peine élastique pouvant s’étendre de un an à une durée indéfinie, reconductible d’année en année au gré des avis d’un « comité » (board) chargé d’évaluer la conduite en prison du détenu et l’état de son « redressement ». Lorsqu’il écrit cette lettre, Jackson est en prison depuis cinq ans, sans espoir de sortie. Il a, entre-temps, lu des livres, ; beaucoup de livres, toutes sortes d’ouvrages empruntés à la littérature révolutionnaire en vogue à l’époque, notamment, et qui lui ont permis de politiser sa révolte et d’entreprendre une totale réforme de sa vision des choses de la vie et du cours du monde, de sa trajectoire personnelle aussi, et du destin de la minorité noire aux Etats-Unis. Astreint la plupart du temps au régime du plus strict isolement, il médite, il « remet le monde sur ses pieds » par la seule force de sa pensée appuyée sur ses lectures. Il reconstitue la trajectoire qui l’a conduit dans cet enfer, y voyant comme un microcosme exemplaire, par antiphrase, de la chute de son peuple et de l’impasse historique dans laquelle l’esclavage et ses suites l’ont jeté. La cellule dans laquelle il se trouve enfermée, éclairée jour et nuit, devient une sorte de « poêle », moins cartésien que plébéien, dans lequel le délinquant précoce et récidiviste se métamorphose en penseur (autodidacte) de sa propre condition et de celle de ce qu’il nomme sa « caste » méprisée et maltraitée par l’Amérique blanche et, selon lui, intrinsèquement fasciste – les Noirs états-uniens, pauvres et marginalisés dans leur immense majorité.
Les lettres de George Jackson sont adressées pour la plupart à sa famille, notamment son père et sa mère avec lesquels il entretient une relation extraordinairement ambivalente, constamment sous tension, mais aussi à celle qui devint tardivement son avocate, Fay Stender, à Angela Davis avec laquelle il échange une correspondance passionnée avant sa fatale tentative d’évasion du 21 août 1971. Ces lettres sont écrites au gré très variable de l’état de ses affections et de ses relations à distance avec les uns et les autres – rares sont les visites qu’il reçoit au pénitencier. Elles forment une mosaïque où se dessinent les motifs d’un arrachement possible d’un sujet plébéien, par la grâce de la seule puissance de la pensée appuyée sur la lecture, à sa condition de marginal voué au plus ordinaire des illégalismes. Jackson reconstitue le trajet qui le conduit de son aversion pour l’éducation scolaire qui lui a été dispensée dans les établissements religieux à la « culture » de la rue dans les ghettos noirs, puis à ses premiers délits et à ses premiers démêlés avec la police, il reconstitue la généalogie de ce qu’il appelle le « néo-esclavage économique » auquel est soumise la grande majorité des Noirs états-uniens et qui a pris la suite de l’économie de plantation, après l’abolition en trompe-l’œil de l’esclavage dans les Etats du sud.
Ces lettres dessinent le tracé distinct d’une émancipation intellectuelle individuelle en forme de renaissance et de conquête, par la seule force de la réflexion (de la méditation), de l’autonomie. Elle ébauchent les grandes lignes d’un traité ou d’un manifeste virtuels, dont l’objet serait l’émancipation des Noirs aux Etats-Unis, dans le contexte général des luttes contre le colonialisme et l’impérialisme qui battent alors leur plein, en Asie du Sud-Est, en Amérique latine, en Afrique...
Dans leur succession, et pour autant qu’elles en viennent, rétrospectivement, à constituer un ensemble où chacune enchaîne sur l’autre sans en constituer à proprement parler une suite, les lettres sont rythmées par le plus violent des contrastes entre ce qui évoque la conquête d’une liberté intérieure toujours infiniment fragile, jamais acquise mais toujours en développement, et le régime terroriste de captivité auquel leur auteur se trouve astreint. Ces lettres ne sont pas en premier lieu un témoignage ou un document sur l’annihilation d’une fraction de la population états-unienne par l’incarcération, une pratique manifeste de la guerre des espèces mise en œuvre par l’Amérique blanche contre la minorité noire et qui, depuis les années 1960-70, a pris la tournure d’une institution de la violence organisée de l’Etat contre cette population [2].
Elle sont bien, en tout premier lieu un exercice d’émancipation par la pensée, à l’époque où les jeunes générations noires des Etats-Unis sont en pleine radicalisation, en rupture ouverte avec les générations précédentes, aussi bien dans l’espace politique que familial. Il s’agit bien de se déprendre, intellectuellement et affectivement, des dispositifs de capture des descendants des esclaves, tels qu’ils ont été redéployés et réactivés aux lendemains amers des lois anti-ségrégation, dans un temps où les Noirs américains font l’expérience des limites et des impasses des luttes non violentes pour les droits civiques ; dans un temps qui est aussi, bien sûr, celui de la guerre du Vietnam où les recrues afro-américaines paient un lourd tribut.
Ce qui fait la singularité de ces lettres, c’est précisément ce qui porte au-delà du témoignage sur l’horreur et l’iniquité aussi bien du régime de pénalité sous lequel George Jackson est tombé que de conditions d’incarcération constituant un condensé du régime de discrimination et de violence raciale propre à la société états-unienne. C’est la façon dont celui qui en constitue l’objet, la proie plutôt que « la victime », brouille le dispositif de son asservissement en en pensant les formes, la provenance et les mécanismes. C’est la façon dont la pensée du captif fait retour sur les conditions générales et particulières du dispositif de capture et en perce à jour le secret, dont il en expose les principes cachés. On retrouve ici, mais dans un contexte racialisé à outrance, un contexte dans lequel l’indice racial est, essentiellement, ce qui désigne le plébéien comme tel (un Nègre du ghetto) la veine des analyses que propose Foucault de la condition de l’infracteur qui pense ses propres illégalismes et qui, en publiant ces pensées, produit une entrave durable à l’exercice de la justice, empêche les juges de juger en rond, par le simple fait d’introduire cet élément de réflexivité insoumise à l’appareil de Justice dans l’espace du tribunal et, au-delà, dans l’espace public [3]. Fondamentalement, comme Foucault l’a parfaitement observé, ce qui, pour les gardiens de l’ordre des choses est proprement insupportable, ce ne sont évidemment pas les troubles et irrégularités produites par la plèbe, les illégalismes plébéiens, c’est la plèbe-qui-pense, cette pensée-monde de la plèbe qui, de la manière la plus inopinée et inattendue qui soit, est appelée à sourdre de la condition plébéienne elle-même, et des expériences qui s’y rattachent, ; cette forme de réflexivité, cet exercice de la pensée qui se tient hors de portée de la fabrique des discours.
En août 1970, Jon, le jeune frère de George Jackson (que ce dernier a plus ou moins distinctement intronisé comme son disciple et son légataire) entreprend d’obtenir la libération de son aîné par la force des armes : il fait irruption dans un prétoire où doit être statué sur le sort de trois détenus noirs de la prison de St Quentin (son frère ne fait pas partie de ce groupe), prend des otages, est abattu par la police alors qu’il tente une sortie en force. George, dans une de ses dernières lettres, salue la mémoire de « l’homme-enfant, l’homme-enfant noir armé d’une mitraillette » qui, du moins, en tentant le tout pour le tout, a été libre un instant durant. Et c’est, ajoute Jackson, « davantage que ce que la plupart d’entre nous peut espérer » [4]. Il sait que l’échec de l’entreprise conduite par son frère scelle son propre destin et éloigne définitivement toute perspective de libération par les voies légales. Il se prépare donc à son tour à « être libre un instant » et à, comme on dit, mourant debout, et les armes à la mains, plutôt que survivre indéfiniment captif, enchaîné, soumis au pire de la condition qu’il décrit comme celle du néo-esclavagisme états-unien [5].
La question – pourquoi faut-il que le prix de la défaite soit si élevé ? – s’écrit donc en lettres de sang sur le destin de George Jackson, comme sur celui de tous ces militants de la cause afro-américaine de toutes tendances et sensibilités qui tombent sous les coups d’une véritable campagne d’extermination plus ou moins directement conduite ou téléguidée par l’ « Etat profond » nord-américain – la CIA et le FBI en tout premier lieu [6]. Dans le cas de George Jackson, le prix de la défaite insurpassable (la mort violente) est indissociable d’un soulèvement microcosmique dans les conditions extrêmes de la prison de haute sécurité – une prise d’armes présentant toutes les apparences d’un geste désespéré – sublime et héroïque à ce titre – il y a longtemps que Jackson a fait le choix de l’ instant de liberté souveraine, celui dans lequel l’insoumission brille de tous ses éclats, celui du « non ! » définitif et strident à l’ordre néo-esclavagiste, plutôt que de la survie « à genoux », de la subalternité consentie. Mais d’un autre côté, la liberté absolue et intransitive qui se manifeste ici, dans la lumière éclatante de l’instant du soulèvement, est en quelque sorte préemptée par le calcul des exterminateurs – la puissance répressive qui prend toutes ses dispositions pour que les irréductibles et insoumis du genre de Jackson soient voués à être enterrés vivants sans terme dans les pénitenciers de Californie et ailleurs. Le « non ! » strident qui conduit à la mort jeune et belle du rebelle l’accule à ce geste ultime que le commentaire du journaliste qualifiera de « désespéré », forcément désespéré. Mais du tréfonds de ce désespoir supposé surgit l’étincelle de l’insoumission – il y a toujours ce « reste » des stratégies d’élimination, de la violence extrême de l’Etat lorsqu’elle entend « en finir avec » ou, en langue trumpienne, « régler le problème » de la plèbe insoumise – la possibilité, dans les temps les plus obscurs ou les circonstances les plus défavorables, de projeter un geste vers l’avant, en direction d’un avenir et de destinataires indéterminés – cette scène où un sujet ostracisé expose une dernière fois sa liberté en tombant sous les balles des agents de l’Etat entraînés à tuer sur commande [7].
Dans la philosophie du temps, passionnée et tragique, de George Jackson, l’instant fait face à la durée étale, liquide et exténuante de l’incarcération. Deux figures symétriques et opposées de l’instant où bascule le destin du sujet viennent s’entrelacer et former une boucle : l’instant de la chute d’une part, et celui de l’apocalypse finale de l’autre, du lancer de dés où la liberté et la mort se rejoignent. Instant de la chute : « Cela fait dix ans que je suis dans ce merdier, en fait, non, vingt-huit, mais j’étais trop abruti pour sentir les dix-huit premières années. Tout ça pour un accès de violence d’une journée, quinze minutes pour être précis » [8], écrit-il en 1970 à l’une de ses correspondantes. Et, à l’autre bout de la...chaîne, précisément, l’instant du double soulèvement, celui où la souveraineté reconquise de l’esclave se pare des couleurs de la mort. Un cri funèbre, une sorte de double suicide [9], mais en quête d’exemplarité : ce n’est pas le goût de la mort qui se célèbre ici, mais bien la persistance, envers et contre tout, de l’esprit d’insoumission aux conditions du néo-esclavagisme.
La mort violente de Jon et George Jackson constitue le contrepoint le plus abrupt qui soit à la question posée plus haut – pourquoi faut-il que le prix de la défaite soit si élevé ? Ce que montrent les lettres (dont la lecture est nécessairement intensifiée à l’extrême par la connaissance qu’a le lecteur de l’événement dramatique qui en interrompt le cours) est patent : il y a bien une spécificité du régime de la sanction infligée à la plèbe rebelle identifiée comme espèce insoumise en dangereuse. Ce régime est celui de l’attrition. Il peut aller de l’extermination pure et simple à toutes sortes de pratiques d’élimination sociale ou de neutralisation perpétuelle – l’incarcération sans terme infligée à George Jackson étant l’une d’entre elles, parmi tant d’autres [10]. Ce régime de l’attrition a simultanément une fonction d’élimination et de prévention (d’exemplarité négative) : son application vise d’une part à faire disparaître ceux dont les « forces de l’ordre », au sens extensif du terme, pensent qu’il sont « ingérables » et irrécupérables, perpétuellement dangereux, et, de l’autre à intimider et mettre en garde ceux qui seraient enclins à adopter les mêmes conduites d’insoumission.
George Jackson appartient à cette catégorie de la plèbe juvénile très tôt épinglée par les policiers et les juges comme unmanageable, ceci dans le contexte particulier des années 1960 : celui de la fixation et de la stagnation dans les ghettos qui se forment autour des grandes villes d’une plèbe noire vouée aux emplois subalternes, discriminée, violemment réprimée dès qu’elle revendique la liquidation des séquelles du système esclavagiste. Dans ce contexte, une proportions croissante de la jeunesse noire appartenant aux catégories les plus pauvres, les plus marginalisées et les plus précaires est en rupture ouverte et véhémente avec ce qu’elle perçoit comme l’esprit de résignation ou de soumission des générations antérieures – celle de pères et mères en premier lieu. Les illégalismes, sans dimension politique revendiquée, prospèrent dans ces conditions, une « délinquance juvénile noire » dont Jackson, adolescent, est un acteur des plus ordinaires. Evoquant, dans une lettre à son avocate Fay Stender, son parcours accidenté et méditant sur son destin social, Jackson écrit : « Je sais que ma mère aime raconter à tout le monde que j’étais un bon garçon, mais ce n’est pas vrai, j’ai été un bandit toute ma vie. Ce sont ces années en prison, avec le temps et l’occasion qu’elles m’ont donné de réfléchir et penser qui m’ont incité à remodeler mon caractère. Je pense que si j’étais resté dans la rue de dix-huit à vingt-quatre ans, je serais probablement un toxico ou un gagne-petit aux jeux d’argent, à moins que je ne sois déjà en train de bouffer les pissenlits par la racine » [11].
Le prix de la défaite so high fait donc partie intégrante du destin social du plébéien marqué au fer rouge de sa couleur, celle du post-esclave, et il est si élevé qu’il inclut toujours le risque extrême – celui de la mort violente, dans la configuration durable de la guerre des espèces – Amérique blanche contre minorité noire. L’incarcération perpétuelle est l’une de ces figures de « la défaite » perpétuelle, tout comme la mort par overdose ou par balles à l’occasion d’une escarmouche avec la police ou une bande rivale. Mais dans la perspective que dessinent les lettres de Jackson, il n’y a pas que cet éternel retour des fatalités socio-historiques, ce cortège des vainqueurs de l’histoire blanche qui, sans interruption, passe sur le corps de l’esclave noir illusoirement « émancipé ». S’il y a « défaite » – et les lettres reviennent avec insistance sur ce motif –, c’est bien qu’il y a eu combat, bataille. Son passé très ordinaire de voyou et d’asocial, tel qu’il l’a destiné à la prison de haute sécurité où les Noirs issus des ghettos suburbains sont en nombre, il le politise à outrance, respectivement, comme un soulèvement instinctif contre la condition de subalternité abjecte imposée par le pouvoir blanc à ceux de sa condition. Un rejet spontané et global des conditions de vie, d’emploi, des formes disciplinaires (l’éducation...) dévolues aux Noirs pauvres par ceux qu’il n’hésite pas à qualifier ironiquement de « fascistes éclairés », de « gentils fascistes » – le maître blanc devenu Etat, système d’institutions, puissance policière mais aussi idéologique. Au reste, la question de l’hégémonie, du pouvoir des mots, des discours, de la condition mimétique à laquelle sont astreints les Noirs aux Etats-Unis revient régulièrement dans les lettres [12].
La « chute » de Jackson cesse donc d’être, à ses propres yeux, et au fur et à mesure qu’il la met en perspective historique, culturelle et sociale dans ses lettres, un accident de parcours individuel, elle prend la tournure d’un concentré de l’ensemble des défaites accumulées par les Noirs américains depuis leur arrachement au sol de l’Afrique en général, depuis la fin officielle de l’esclavage en particulier. Cette stratification des défaites est, pour lui, ce dont est fait le destin historique des Afro-Américains, comme peuple et ce qui, non seulement sépare, mais oppose distinctement ce destin à celui de la majorité blanche, toutes catégories confondues. C’est d’ailleurs pour lui l’une des premières impostures qu’il convient de balayer, lorsqu’on entreprend de « remettre sur ses pieds » l’histoire des Noirs aux Etats-Unis : cette notion d’un peuple « américain », multicolore et multiculturel mais rassemblé et uni comme unique communauté de destin. Récit enchanté placé sous le signe de l’inusable « destin manifeste » de cette Amérique-là, dominante et conquérante, auquel il oppose, terme à terme, ce récit de facture objectivement benjaminienne, où il est question de l’affrontement immémorial des vainqueurs et des vaincus (de l’Histoire).
On identifie là l’un des traits récurrents de la pensée plébéienne comme puissance de création de concepts, d’images, de motifs intellectuels : sa capacité propre de problématisation de ce qui surgit dans le champ de sa propre expérience – ceci dans des termes qui, souvent, entretiennent des affinités électives avec ce qui s’est élaboré dans le champ de la critique intellectuelle ou académique – dans l’espace de l’auto-réflexivité critique ou dissidente du patriciat. Ce qui va nous porter, nous qui appartenons à cette sphère, à dire que Jackson « fait du Benjamin sans le savoir » – formule abusive s’il en est, pour autant qu’elle fait davantage que suggérer que le philosophe patenté, fût-il marginal dans l’institution philosophique de son temps, a déposé pour l’éternité le label de tel ou tel motif , notion ou image concept où il est question (ici) de l’histoire des vaincus... Comme si la version originale de l’intelligibilité de ce motif ne pouvait qu’avoir été élaborée par un intellectuel ou un philosophe en titre – dans la sphère du patriciat, donc... La pensée plébéienne se voit, de ce fait même, attribuer le statut de la copie imparfaite, comme dans la théorie des images de Platon – une « pâle » imitation du supposé original nécessairement élaboré dans la sphère de l’intellectualité professionnelle. Mais cette perception de la pensée plébéienne en tant que philosophie spontanée ne fait sens que dans l’univers de référence de lecteurs qui sont eux-mêmes des intellectuels, id est des patriciens de la pensée et qui sont portés à ce titre à considérer que la pensée plébéienne a vocation à démarquer ou imiter plus ou moins maladroitement ou approximativement les figures, formes et discours produits par la pensée patricienne, à plagier ce fonds original sans relâche, fût-ce involontairement. Ce qui se trouve du coup escamoté, du fait des contraintes imposées par ce système des références savantes (que l’on pourrait aussi bien appeler une « politique des auteurs »), c’est la puissance propre de la pensée plébéienne qui se forme et trouve son inspiration non pas en premier lieu dans un monde d’auteurs, de doctrines, de théories et de concepts légitimés, mais bien dans le double registre de l’expérience et de l’épreuve.
(à suivre...)
Illustration : tirée de "THE DEVIL" (2012), Jean-Gabriel Périot
https://vimeo.com/44974361