Éloge du pilori. Considérations intempestives sur les arts de punir

, par Tony Ferri


Parution effective du livre d’Alain Brossat, Éloge du pilori. Considérations intempestives sur les arts de punir - Entretien avec Tony Ferri (L’Harmattan, 2015).

Collection « Logiques des pénalités contemporaines » ISBN : 978-2-343-06985-2 • 12,50 € • 102 pages

Alain Brossat : « Droit de punir, pouvoir de punir... Je vais proférer une énormité : et pourquoi, pour une fois, ne pas tenter de bouleverser notre entendement de ces questions en parlant plutôt de la punition comme un art ou des arts de punir ? Pourquoi ne pas tenter de bousculer le régime des affects et sentiments auxquels s’associe le geste de punir et la punition, en les déliant de la tristesse, de la vindicte, du ressentiment, et en les associant plutôt au rire, au vital, à l’imagination ? Pourquoi l’action punitive et la représentation de la punition doivent-ils nécessairement être circonscrits dans le domaine des actions lourdes, sinistres, funèbres, au point que, d’une personne aussi sombre et revêche que possible, on dira : elle est aimable comme une porte de prison ? »

A.B. : « Il faudrait se demander sérieusement, bien sûr, pourquoi le domaine punitif est par excellence celui dans lequel nous nous accrochons à la fausse évidence de la naturalité des objets, au point que les têtes les mieux faites et les esprits les mieux avertis qui ont sous les yeux l’échec irrémédiable de la prison pénitentiaire depuis un siècle et demi s’avèrent tout à fait incapables d’imaginer un monde sans prison(s), et décrient comme des rêveurs inconséquents ceux qui prônent son dépérissement ou son abolition. Pour cette raison, leurs dispositions réformatrices demeurent engluées dans le discours de l’humanisation de la condition des détenus. Le contraste est saisissant entre cette tétanie et ce que nous savons par ailleurs : s’il est un domaine dans lequel l’imagination humaine n’a jamais été prise de cours, c’est bien celui des châtiments et des pénalités ! Une telle inventivité a d’ailleurs de quoi inquiéter : nous mettons manifestement, à toutes les époques et sous toutes les latitudes, bien davantage d’énergie et déployons beaucoup plus d’ingéniosité lorsqu’il s’agit de sanctionner, faire souffrir un coupable ou l’éliminer que lorsque, disons, il est question de faire une petite place au dernier venu, à l’étranger... », dans A. Brossat, Éloge du pilori. Considérations intempestives sur les arts de punir – Entretien avec Tony Ferri, Paris, L’Harmattan, coll. « Les logiques des pénalités contemporaines », septembre 2015, pp. 28-29.

EXTRAIT :

« La discussion courante, quant à la question de savoir si une société a « le droit » de punir, si le crime est l’effet de conditions sociales malheureuses, injustes ou bien s’il est « enraciné dans la nature humaine », toute cette discussion sur des généralités sans frais me paraît parfaitement oiseuse. Je partirais plutôt de cette solide évidence : toute société punit, et elle le fait dans des formes qui lui appartiennent en propre - celles-ci sont d’une infinie variété. Ce que nous savons moins bien, en revanche, c’est ce qu’il en est de la diversité des affects collectifs qui soutiennent et accompagnent les mille façons de punir, dans l’infinité des circonstances où elles se produisent. Quelles sont les dispositions affectives dans lesquelles une tribu amazonienne chasse un de ses membres qui s’est rendu coupable d’une grave infraction à ses règles ou destitue son chef ? Nous n’en savons évidemment rien, mais nous sommes en droit de supposer que le régime courant de la vengeance et du plaisir qui l’accompagne, motif qui nous est si familier (dans les conditions même où les Grecs sont censés nous avoir enseigné, il y a plus de deux millénaires, que la Justice est ce qui nous délie de la vindicte et interrompt la spirale vindicative...) est une production culturelle, et non un invariant anthropologique.
Rien ne nous interdit d’imaginer un régime d’association de la punition qui en lie la pratique à des passions moins basses. En punissant, le groupe, la collectivité, la communauté entend « se défendre », c’est entendu. Mais cela suppose-t-il nécessairement qu’ils le fassent en s’établissant sur des dispositions dont l’horizon est la mort (le plaisir de la mort infligée), plutôt que la passion du renouveau de la vie ? C’est plutôt du côté de l’art, de la littérature et du cinéma, que l’on trouverait, je crois, des exemples susceptibles de soutenir cette perspective et de montrer que cette autre sensibilité (disposition) au punir et à la punition s’ébauche dans des fragments narratifs, des images hétérotopiques. Il me semble me rappeler qu’à la fin du film de Jean Renoir, Le crime de Monsieur Lange, la punition de Batala, le patron véreux et vraiment odieux incarné par Jules Berry, s’effectue sur un mode collectif, communautaire, cathartique qui est plutôt joyeux et libérateur, associé au rire, plutôt que sombre, guindé et tout de noir vêtu, comme l’est toujours « la Justice », quand elle passe, comme un cortège funéraire... »

Voici également le lien vers le site de L’Harmattan qu’il vous est loisible de consulter :

http://www.editions-harmattan.fr/in...

Force est de reconnaître que ce livre donne authentiquement à réfléchir, et ne manque pas de secouer les plus sottes habitudes d’opiner sur le sujet...