La Société du cinéma, I, L’Ancien Régime et la Lutte du peuple de Julian Bejko
Julian Bejko, Docteur en philosophie et professeur à la Faculté de Tirana vient de publier un livre sur le cinéma. Il nous en fait la présentation.
Avant-propos
Un matin, illuminé par les belles couleurs des fruits et légumes de la vie, un enfant encore assez petit accompagnait son père qui avait pris son vélo chinois rouge. Il leur fallait descendre comme tous les jours où celui-ci travaille du troisième étage tout au long d’escales qui ne semblaient jamais finir. A chaque fin d’étage les roues touchaient doucement le pavement comment l’avion de papier qu’ils fabriquaient tous les deux le soir. Ils cheminaient dans les couloirs du bâtiment en silence, seul s’entendait le bruit typique de la chaine du vélo. L’enfant regardait son père et le vélo d’une telle façon qu’on pourrait dire qu’il cherchait à s’approprier cette sorte de métier qui consiste à faire descendre cette belle et précieuse invention. Une fois arrivés en bas, à l’entrée du bâtiment, l’enfant prit sa place en sautant librement, une main s’attachant au corps métallique quand l’autre atteignait le dos de son père qui s’apprêtait à pousser sur les pédales. La mère travaillait et en même temps elle donnait des conseils depuis le balcon de l’appartement mais sa voix commença à se perdre parmi les bruits magiques du vent, de la chaine et des pédales dans les oreilles des deux complices indifférents et tellement contents de l’aventure. Ainsi commença le voyage en ce dernier dimanche d’août plein de soleil.
Pendant les premiers 300 mètres, le voyage fut physiquement pénible à cause de la rue non asphaltée mais dans l’euphorie du moment toutes ces choses passaient inaperçues. Après un bout en terre commençait la route. L’enfant cherchait à ne pas approcher ses jambes trop près des roues. Le dos de son père l’empêchait de voir ce qu’il y avait devant eux. De temps en temps il se penchait sur le côté, au bout d’un moment il se fatigua de rester si mal assis, il n’avait de choix que de regarder sur les côtés à gauche et à droite, au fil des évènements intéressants. Alors, il regardait de tous ses yeux les images qui défilaient à la vitesse de projection des dessins animés : des bâtiments, de simples villas, des petits chemins, des arbres, des jardins, des vignes, des enfants qui jouent. D’autres cherchaient à récupérer leurs chaussures aspirées par l’asphalte brulante de l’été. Des femmes les accueillaient près d’une source d’eau publique dans un énorme vacarme qui cette fois-ci, se mélangeait au vent. Un peu plus loin apparait l’ilot des magasins d’alimentation avec la boulangerie et la boucherie. A l’intérieur il n’y avait personne et les boutiques étaient vides. Seulement deux chiens étaient là, à l’entrée et qui eux aussi les accueillirent paisiblement, on sentait l’odeur de la viande avariée datant d’il y a trois semaines. Puis de l’autre côté il y avait le lycée avec un grand champ noir au milieu duquel un jeune garçon sur un vélo cherchait à s’échapper d’un groupe d’enfants qui couraient après lui. En fait, peut-être celui-ci ne voulait-il pas s’éloigner mais juste faire une sorte de parade pour leur montrer sa magnifique machine. Même l’enfant derrière son père, un jour de printemps quand l’asphalte dégageait une délicieuse odeur de pluie, avait tenté de suivre le jeune garçon. Il avait réussi à l’arrêter et à le convaincre de lui prêter ce vélo spécial. Il semble que ce jeune était un peu naïf car une fois monté sur le vélo, l’enfant finalement avait dominé ce diable qui le poursuivait, respirant comme dans un marathon, et avait parcouru tout le quartier. Bien sûr, une fois revenu, épuisé par le manque d’oxygène, le jeune l’avait giflé mais l’enfant était resté debout et fier de cette plaisanterie.
Toute cette réminiscence intérieure arrivait vers la fin de la première étape quand son père lui dit de descendre car le chemin était devenu trop difficile. L’enfant continuait de courir dans sa tête comme si c’était encore après ce diable mécanique très spécial. Les deux personnages marchaient en paix sans communiquer entre eux. L’enfant avait du mal à suivre son père. Ses pas n’étaient plus du tout réguliers. Un, deux, puis trois, quatre pour diminuer l’intervalle. Le chemin du purgatoire est désormais derrière, ils continuèrent sur le vélo et entrèrent dans le parc de la ville. Là, il n’y avait que des photographes de l’Etat à la recherche de quelque visage ordinaire pour justifier leur dimanche de travail. Il y avait aussi une fontaine, quasi vide dans laquelle des insectes surnageaient. Un peu plus loin, c’était la place des jeux pour les enfants, une grande machine avec des cabines volantes qui hésitaient à se lancer avec deux enfants seulement, sans savoir pourquoi. Le monstre était triste comme ça, sans mouvement, sans bruit, sans vie. Plongé dans la monotonie, le technicien faillit le mettre en mouvement mais heureusement un grave problème technique accompagné d’une fumée quasi noire, avait mis fin à l’attraction du dimanche pour les enfants.
Dans le parc rien ne bougeait. Même pas un souffle du vent. Même pas des oiseaux. Le père pour faire plaisir à son fils, avait choisi de prendre un autre chemin jamais traversé auparavant. A côté du chemin se trouvait une colline sur laquelle circulaient d’étranges rumeurs. Les habitants disaient que dans les tunnels les gens jetaient les fils nés hors mariage mais aussi que des couples faisaient l’amour loin de l’ordre du monde. Quelle étrangeté ! Comment est-il possible de faire l’amour là où les gens commentent des crimes ?! – se demandait silencieusement l’enfant, sans pouvoir poser la question à son père. Celui-ci en même temps avait trouvé un jardin entouré d’arbres blancs qui donnaient l’illusion de la neige. Il posa le vélo et commença une petite sieste, avec un œil ouvert pour surveiller son fils. Après quelque temps – comment pouvait-il se rendre compte de l’heure ? – l’enfant lèva la tête pour regarder la vie de la forêt, le retour des oiseaux, le vent qui bruissait dans les arbres agitant des feuilles de différentes couleurs. Le grand retour de la vie avait bouleversé le plan de l’enfant qui s’approchait du vélo pour faire un tour sans permission, car le père avait ouvert les yeux. Il ramassa quelques rameaux morts et sortant un couteau de sa poche, commença à les couper symétriquement. L’un amène des rames, l’autre les coupe. Entre temps le soleil était passé d’un coté du ciel à l’autre. Les deux avaient fabriqué une vingtaine de treillages sans en savoir la raison. En paix, le chef de famille sortit le déjeuner, du pain avec du beurre qui sous la chaleur s’était répandu entre le pain et la feuille de papier journal. Il fallait manger le pain en regardant avec désappointement le beurre écrasé sur les photos du journal.
A l’aide des pièces de bois le père cherchait à apprendre à son fils à compter et à multiplier les chiffres, mais le garçon était indiffèrent. C’était le dernier jour d’août, le dernier jour des vacances, celui où on est encore libre d’être un enfant, le dernier jour, comme un anniversaire, avant que ne se déclenche le processus de l’apprentissage scolaire. Il ne pouvait pas comprendre comment il était possible de fêter ce jour à travers des calculs. Mais il n’était pas tombé dans la tristesse, en fin de compte, il était toujours possible d’inventer une maladie au dernier moment pour éviter le premier jour de la première classe élémentaire.
Après le repas il fallait rentrer à la maison en passant par le coiffeur de la ville, pas loin du centre-ville, là où se divise la route, l’une vers le bâtiment du comité central et l’autre vers leur maison, à la limite entre la vie urbaine et les champs. Les voisins de la maison avaient la chance en sortant sur leur balcon de pouvoir regarder la forêt, les montagnes et la ville et de l’autre côté, par les fenêtres de l’appartement, ils pouvaient sentir la campagne, le bruit des tracteurs, les charriots aussi bien que voir les jeux des enfants et ceux des amoureux, au-delà des murailles de la cité de fer.
La boutique du coiffeur cet après-midi là où il commençait à faire plus froid, était pleine de monde et des vélos étaient garés devant l’entrée, il en sortait une fumée de cigarettes épaisse, comme dans les films d’horreur où tout le monde attend l’apparition du monstre. A l’intérieur il y avait deux coiffeurs, vêtus de blanc comme les médecins, sans boutons, avec de grandes poches. L’un d’eux avait sorti de la poche droite son paquet de cigarettes, deux allumettes, deux paires de ciseaux, un journal abimé, une pomme consommée à moitié, et il y avait encore quelque chose dedans qui attirait l’attention de l’enfant. L’homme aux deux ciseaux était assez paresseux. Il commençait une coupe de cheveux, juste une seconde, puis s’approchait de l’entrée pour parler avec les passantes. L’autre avait pris quelques verres de trop pour remplir le ventre du néant. Son langage agressif et vulgaire faisait se dresser sur leur tête presque tous les cheveux des clients. Certains d’entre eux restaient un moment puis sortaient mis en colère par ce service très spécial. Même le père avait pensé à cela mais la voix de la mère ce matin « ne rentrez pas sans aller chez le coiffeur » se faisait entendre sans cesse dans sa conscience troublé.
Dans cette atmosphère la voix du père était devenue autoritaire, comme si la fumée des cigarettes allait engendrer un monstre humain. Ils se disputaient tous, au nom du Parti, de l’Etat, du Peuple et du Président. Puis au nom de l’honneur de la famille jusqu’au moment où le coiffeur était devenu tout vert devant le père. Ce n’est pas rien d’avoir un père avec une morale communiste – pensait le petit – qui sait aller vite sur le vélo, qui t’apprend l’anglais, qui fait parfaitement le narrateur des fables, qui t’explique le monde et l’univers, le bien et le mal, l’amour pour les animaux, et qui, quand la ville dort, toujours ouvre la fenêtre de la chambre pour faire sortir une antenne pour voir une chaine de télé interdite mais qui a préparé ces maudites pièces en bois pour savoir compter les choses ! Mais, le coiffeur aussi ne restait pas passif. Il avait le pouvoir sur les cheveux du fils, et pour se venger il fit la plus terrible des coupes. Il était déjà 20 heures et les deux se préparaient à rentrer chez eux.
La nuit était partout et quelques lampes seulement éclairaient le chemin qui sans personne, semblait le lieu le plus terrible du monde, comme un couloir d’hôpital, de morgue, d’usine de tuiles rouges mal placées. Même la lune semblait hostile avec ces tâches noires. Tout était laid, la ville, la lune, le monde. Après une longue journée de vie et de couleurs, il devait en être ainsi. Le fils pensait que les hommes étaient tous morts et que les bâtiments avaient été transformés en cimetières collectifs. Ils sentaient seulement l’odeur et le bruit de la fabrique de farine et de pain, dont personne ne savait pour qui elle fabriquait la vie.
Le chemin de la maison finissait dans l’obscurité. Sans arbres, sans trottoir, sans lumière. Un grand cauchemar. Le bruit de la chaine du vélo se répercutait sur les façades des cimetières. Les chiens étaient toujours là, indifférents à eux, ou bien ils n’avaient pas la force de les suivre.
A l’entrée du bâtiment, il y avait une odeur de latrines qui venait d’en bas, là où se trouvait l’abris antiatomique. Ils commencèrent à monter les escaliers. Puis la porte s’ouvrit et la mère commença à vérifier les travaux de la folie. De là, mère et fils allèrent dans la salle de bain, dans laquelle il y avait quelque chose sur le feu, des légumes. Elle avait mis de l’eau à chauffer pour se laver. La mère s’occupait de son fils pendant que lui, comptait les habitants perpétuels, les insectes, un, deux, cinq, cinq battons de bois. Après le nettoyage les deux entrèrent dans la chambre qui servait également de cuisine. Le père était en colère car la mère en faisant le ménage avait détruit tout ce qui représentait ses liens avec l’Occident. Puis la mère commença à préparer les livres pour l’école. La tradition était d’utiliser des morceaux de papier très fins pour couvrir les livres dans le but de les protéger. Après le papier blanc, on mettait une couverture en plastique transparent, très jolie, pour pouvoir lire le nom etc.
A ce moment, le père était de nouveau content, il n’était plus perturbé car l’écran de télé annonçait le début d’un film italien. Tiens ! Le film italien commence dit-il. Ils éteignirent la lampe et s’allongèrent sur le lit, comme toujours tous les trois, le père à gauche, la mère à droite et le fils au milieu. Des chauves-souris tournaient derrière la fenêtre.
Un, deux, trois…et une sirène d’alarme commença à retentir dans la ville ensommeillée. Un être suprême, infâme là-haut, le dernier soir avant le début de l’école pour le petit garçon, avait planifié par mauvais esprit de se moquer des habitants en simulant une alarme aérienne rappelant les angoisses dues aux ennemis de toujours.
Le père avait immédiatement fermé la télé. Puis dans l’obscurité de la nuit, ils avaient fermé aussi les yeux avec tristesse. Ils vouaient à l’enfer celui qui a inventé l’alarme qui détruit les espoirs, les passions et les vies du peuple qui ne lui appartiennent pas. Un film s’était terminé à peine commencé, et un autre passait ce soir-là, entre le 31 aout et le 1er septembre 1986. Les derniers moments avant la première année d’école, les derniers fragments de la liberté, devaient forcement être accompagnés par un film avec une alarme.
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Le film décrit dans ce livre est l’objet d’une étude sur ces films alarmants qui ont interrompu les rêves de l’enfant, de ses parents et du peuple. Ce livre intitulé La Société du cinéma, I, L’Ancien Régime et la Lutte du peuple paraît pour la première fois quand en même temps deux autres volumes sont en préparation.
L’idée est née en France il y a six ans, quand je poursuivais mes études en master sous la direction du professeur Alain Brossat, aussi directeur de mon doctorat en philosophie, connaisseur du peuple albanais. A cette époque-là, d’émigration et d’études, l’un des moyens pour survivre était pour moi le cinéma, la projection de films, surtout italiens. Puis, une fois devenu enseignant à la Faculté des sciences sociales de Tirana, j’ai commencé les projections de films avec les étudiants. C’était le début d’une tradition mêlant films, philosophie, sociologie et politique. La plupart des films étaient étrangers, mais par ailleurs l’idée principale était toujours dans ma tête de me demander si on pourrait analyser les changements de la société albanaise à travers les images cinématographiques ?
Le film est un gardien du passé, de l’évolution historique sous forme d’une représentation artistique qui matérialise la vie humaine de jadis. Parfois les gens pensent que la vraie activité académique se développe à travers les archives, les documents, les livres etc. Mais si on regarde de plus près le processus de création filmique, ce travail est aussi académique, le réalisateur et son équipe choisissent des livres, romans, histoires, objets, mots, phrases, ils exposent des idées pour construire une société. La majeure partie des films de l’époque est fondée sur ces romans qui avaient passé le seuil de la censure étatique en développant des critères réalistes-socialistes. L’image du film produit forcement des réalités, elle invente, elle falsifie, mais aussi elle représente quelque chose.
La société du cinéma, est un film littéraire plein de fractures, en trois actes, dans lequel j’analyse deux sociétés, celle du film et celle de la réalité. Le film est aussi une machine, une boite magique, un outil de pouvoir et de savoir, un moyen de parcourir le temps de jadis, de créer des liens et des rapports. Dans ce voyage, le chercheur doit conserver son calme, la clairvoyance, ne pas oublier le chemin de la vérité, penser qu’il s’agit d’un jeu, un test, une technique pour dire des choses qui sont là, qui refusent partialement l’ordre du grand architecte étatique.
Dans ces analyses, je cherche à prendre mes distances avec chaque interprétation partisane, à être loin des tranchées politiques, avec l’espoir que le lecteur ne sera pas déçu quand il va découvrir qu’il ne s’agit ni d’une nostalgique de l’ancien régime ni du progressisme d’aujourd’hui, ni du jugement d’un homme de gauche ou de droite selon les schémas de l’opinion publique. Comment donc, est-il possible qu’un homme ne soit ni de gauche ni de droite ? C’est tout à fait impossible de refuser une prise de position et de conviction, mais l’association aux fausses idées du public avec ces notions assez floues qu’on emploie couramment ne fait pas partie de ce livre.
Dans ce processus de travail, j’ai refusé de prendre contact avec les gens du cinéma, je ne voulais pas être influencé par des clichés et des opinions dont je ne suis pas certain qu’ils fassent partie d’un ordre étatique conscientisé. Il faut accepter que dans cette société, il n’est pas du tout simple d’écrire de façon indépendante par rapport aux sentiments et aux appartenances particulières.
La fatigue du travail, du contact avec les personnages du film, a été mêlée aux problèmes de la vie quotidienne. Mais heureusement, le film est un bon refuge pour voyager et pour connaitre le passé, pour résister au coté des personnages et pour revenir à la surface et dire les choses autrement. De nos jours, les opinions envers le cinéma de l’époque sont ambiguës. Ou bien il est considéré comme pur et simple outil de propagande, ou bien comme une œuvre artistique ayant une valeur sociale, morale et historique. Le but de ce livre ne va pas vers ces contradictions pour les résoudre car je pense que les deux perspectives peuvent cohabiter. Après chaque mécanisme politique et un régime sanglant on peut trouver des fragments de liberté qui résistent et que rien, même pas la plus grande fureur d’une guerre stupide ne peut anéantir. Il y a et il y aura toujours des traces et des signes, des lieux et des voix en faveur de la vie contre une fabrique de mort.
Je cherche à éclaircir les mythes, donner un diagnostique, établir les cadres de ce mythe qui nous concerne surtout nous, sur le sujet, et par conséquent, je veux toucher cette forme de manipulation qui réside en chacun de nous. Un travail un peu nietzschéen. La lutte dans la réalité que nous vivons, est d’abord contre le sujet qu’on représente comme le propre pour toucher les axiomes, les sentiments et les convictions qui ont été transmis aveuglement. L’envie de vérifier le sujet et l’affect n’a pas pour raison de produire un homme objectif, projet néfaste du sujet collectif totalitaire, la catastrophe de l’homme athéiste, nouveau, bref sans rien. Toucher les erreurs, les manipulations, placer le mythe en lumière produirait une honte comme celle d’un aliéné, de l’esclave qui se sent mal à l’aise sous le soleil brulant de la vérité.
Le terme « Lutte du peuple » a une allure un peu ironique et critique. Pour une partie de la société, la lutte antifasciste a été une invention de l’idéologie, du stalinisme etc. Ils pensaient peut-être que les fascistes et les nazis étaient les alliés du peuple ou bien un risque mineur par rapport à notre régime après la guerre. En effet cette justification ne tient pas à la logique cohérente des événements, comme une interprétation posthume du totalitarisme. Pour un autre groupe de gens, la lutte et la résistance est le signe le plus haut dans l’échelle des valeurs du peuple, mais eux aussi tombent dans l’erreur car ils lient la lutte pour la liberté au régime. Pour sortir de cette folie d’opinions ridicules, je propose d’examiner la lutte du peuple en dehors de toute idéologie possible, de voir dans le peuple une force et une volonté contre l’occupant, qui manipulé ou non, a combattu et perdu la vie. « La lutte du peuple » a été tellement utilisée au cours du régime qu’on a du mal à trouver les valeurs du héros simple. On peut résister et lutter contre l’occupant sans devenir disciple du totalitarisme. On peut crier au scandale d’un gouvernement corrompu sans vouloir un gouvernement dictatorial comme probable moyen de résoudre la misère une fois pour toutes. On peut être un révolutionnaire sans fonder un régime de terreur et de massacres.
Cette étude n’est pas une histoire du cinéma albanais. La production cinématographique ne répond pas au sens chronologique des choses, en quelques cas elle refuse la narration du présent et dans d’autres cas elle est anachronique. On n’analysera pas les formes et les techniques pour faire du cinéma, mais précisément sa représentation de la société monarchique et socialiste.
Tout ce travail sur le social et le cinéma a été possible grâce au travail entrepris par tous les gens qui ont passé leur vie à cette tâche : créer et représenter. Je voulais présenter plus de sept films mais il fallait en finir avec ce volume. Il est possible que d’autres puissent commencer à analyser ce qui manque ici. Je pense que les conclusions de ce livre seront assez amères. Le peuple a vécu dans une mascarade politique et il faut que de temps en temps, il regarde la réalité des choses de la façon la plus proche de la vérité possible, indépendante, non conditionnée par d’autres facteurs et besoins. J’espère vivement que le lecteur aimera ce travail pour approfondir les connaissances, d’abord sur le cinéma, puis sur les sujets et les auteurs, philosophes et sociologues qui peuvent servir comme guides de lecture des problèmes de jadis et actuels.
Bonne réception du film !
Dr. Julian Bejko
Tiranë, 31 gusht 2012
Julian Bejko, La Société du Cinéma, I, L’Ancien Régime et la lutte du peuple, Edlora, Tiranë, 2012 (Shoqëria e Kinemasë, I, Regjimi i vjetër dhe Lufta e popullit) Un grand merci à Sylvie Parquet pour la rédaction de ces pages.