Atelier de philosophie plébéienne - Spectres et médiumnité : une plèbe de la pensée
Gîte Le Closet Fertans (17-19 gde rue, 25330)
Samedi 19 octobre 2019
Atelier de philosophie plébéienne
Atelier... cela veut dire un essai d’abandon de l’autorité du maître et de la posture d’élève au profit d’une tentative de production en commun.
Centre de Réflexion et de Documentation sur les Philosophies Plébéiennes
de l’association « Voyons où la philo mène... »
Spectres et médiumnité : une plèbe de la pensée
Argumentaire :
Il y a un problème qui se manifeste fréquemment dans certains propos tenus par des scientifiques ou des philosophes : si certains phénomènes, certaines idées ne peuvent pas être expliqués ou compris dans leur cadre de pensée, eh bien c’est que ces phénomènes, idées sont des illusions dont il faut chercher la cause dans la tête tordue de ceux qui les défendent... Pas de savoir sans une forme de filtrage, ne retenant que ce qu’il pourrait expliquer. Pas de savoir qui ne soit un savoir-pouvoir. Ceci est patent dans le cas de la confrontation des expériences de médiumnité avec le savoir médical. Le sociologue Bertrand Méheust a bien montré les barrages que l’institution scientifique a fait au magnétisme, au somnambulisme, à la médiumnité au XIXème siècle, jusqu’à ce que le magnétisme soit reconfiguré, filtré, calibré par Charcot. Et la philosophie elle-même n’est pas en reste : témoin la correction professorale que Kant administre au « visionnaire rêveur » Swedenborg. Adonné tout entier à sa passion de délimitateur, Kant a peut-être identifié trop rapidement, ou trop violemment, le pensable avec le maîtrisable.
Nous voudrions donc interroger, lors de cet atelier, les ressorts de ce barrage-filtrage au sujet de la médiumnité, du magnétisme. Mais pas seulement. Car l’inexpliqué insiste. Nous n’oublions pas que certains philosophes comme Hegel, Bergson, William James se sont intéressés à ces phénomènes, pensant avec eux et non pas contre eux. Même le rationaliste Spinoza défend la médiumnité dans une de ses lettres. Nos grands philosophes grecs ne croyaient-ils pas aux oracles ?
N’en est-il pas de même avec les spectres et les fantômes ? Ces êtres virtuels (ou du virtuel) sont filtrés, rejetés par de multiples cadres de pensée, qui refusent d’y reconnaître des virtualités de l’être. Ils sont comme une plèbe de revenants qui n’a pas droit au chapitre dans les pensées dominantes (savoirs majeurs versus savoirs mineurs). Pourtant, nous savons bien que ça revient sans cesse. Socrate n’avait-il pas son daïmon ? Même Marx, le matérialiste, a ses spectres... La question des spectres n’a jamais quitté la philosophie, jusqu’à animer récemment la philosophie de Derrida. Car s’il y a parlêtre (Lacan), c’est qu’on peut parler de desêtre(s) : car les revenants sont toujours des contrevenants de l’être, et ils reviennent toujours nombreux. L’ontologie, depuis toujours, s’est doublée d’une hantologie (Derrida), à se demander si être n’est pas, en soi (hors de soi ?) être hanté.
Tout un « nouveau monde » s’ouvre à partir de là, où, entre spectres, fantômes, revenants, doubles et autres morts-vivants hors temps et entre deux mondes, un peuple des ombres dessine les contours d’une autre non-anthropologie des connivences, ainsi que d’une nouvelle politique des réapparitions. Il s’agira donc également de questionner dans la littérature et le cinéma, et dans d’autres cultures que la culture occidentale, les conséquences tant politiques qu’esthétiques de l’émergence de la thématique médiumnique et spectrale et son lien avec l’exploitation de l’homme et de la nature, ou les système de répartition des êtres.
Il nous importera donc de mettre au jour des enjeux, de pouvoir, mais aussi concernant nos manières d’être au monde, liés aux spectres et à la médiumnité.
9h Accueil
9h30-11h30 « Le tabou le plus profond du monde contemporain : les sciences psychiques » Bertrand Méheust
Comment détecter les tabous les plus profonds ?
Débusquer les tabous est une des activités les plus prestigieuses des intellectuels contemporains. En se livrant à cette tâche de démystification, l’homme moderne entend réaffirmer son autonomie à l’égard de tous les systèmes de normes et de conditionnement, qu’ils soient sociaux, philosophiques ou religieux. Dans les années qui ont suivi les événements de mai 68, cette activité a pris des proportions extraordinaires.
Cette tendance de la société contemporaine présente pour mon propos l’avantage de faire ressortir les tabous les plus profonds : ce seront ceux qui ont échappé aux chasseurs de tabous. Le simple fait que l’on ait « oublié » de les pointer, et que l’on ne s’étonne pas de leur persistance, soulignera mieux leur profondeur que tous les raisonnements.
Une fois ce principe posé, il apparaît que le plus profond interdit des temps modernes est celui qui pèse sur les sciences psychiques. C’est sur cette question que je vais me pencher.
Apéro puis repas
14h-15h30 « Ontologie de la médiumnité. Esprits frappeurs, machines nécrophoniques et autres grognements zombies » Joachim Dupuis
La médiumnité suppose une communication avec un au-delà. On associe d’ordinaire à cette médiumnité un double discours : celui du croyant qui semble affirmer l’existence d’un au-delà, habité par des spectres, et qui cherche à entrer en contact avec eux ; et de manière antagoniste, celui du scientifique, lequel cherche à grands renforts d’enquêtes, à la soumettre à la raison pour montrer son imposture. La science cherche à opérer la normalisation de l’invisible et procède pour cela à un « grand renfermement » de l’esprit. Ce qu’elle fait aux limites de l’esprit, d’autres le font, comme l’a montré Foucault, au niveau du corps. C’est l’ère du biopouvoir ou si l’on préfère du « dôme ». Il nous semble que c’est la mort qui est ici l’horizon problématique de ces discours : la science rejoint la croyance, car l’un et l’autre rejettent la mort. Le spectre est un « fantôme de vivant » que veut retrouver le croyant, alors qu’il est juste le signe d’un dérèglement social pour le scientifique. Le spectre fait donc problème pour la « raison sociale », dans son ensemble dès le XIXème siècle, car elle ne peut le « comprendre », l’identifier, le saisir autrement qu’en en faisant un vivant inaccessible ou le fruit d’un vivant à enfermer. La science en particulier condamne tout ce qui relève de cette médiumnité. Celle-ci est donc mise de côté comme une nouvelle espèce de plèbe, qui est pendante à la plèbe des reclus, délinquants. Ouvrir la pensée à la médiumnité, c’est mettre en péril l’intégrité vivante de la société. C’est permettre qu’il y ait de l’ingouvernable. Car c’est la définition de la plèbe : ne pas se laisser enfermer et donc être rejetée. Notre propos sera donc de proposer un éventail de conceptions possibles de la médiumnité, empruntées à la littérature, au cinéma et à l’art et aux techniques, au-delà de ce partage de la pensée, et montrer comment des artistes et autres créateurs sont parvenus à déjouer les logiques du pouvoir en inventant des médiumnités alternatives à la raison sociale.
15h45-17h15 « Le chuchotement de la disparue » Adam Pasek
« Toute forme est égale aux yeux de la nature ; rien ne se perd dans le creuset immense où ses variations s’exécutent ; toutes les portions de matière qui y tombent en rejaillissent incessamment sous d’autres figures » (Sade, La nouvelle Justine). Eh oui, non content des affres qu’il inflige quotidiennement à Justine, Bressac se met à lui assener une leçon de philosophie matérialiste. Tout se vaut dans la nature, puisque la nature fait naître tout corps avec la même aisance. « [Qu’est-ce que ça] peut faire [à la nature] que, par le glaive d’un homme, un autre homme soit changé en mouche ou en herbe » ? Ça ne lui fait rien, pense évidemment Bressac qui veut persuader Justine de commettre un meurtre. Jamais l’être ne devient non-être. Mais si l’être humain est devenu terre, vers et fleurs, qu’est devenu ce rien que sa parole, son visage et ses gestes suggéraient, projetaient et promettaient comme leur horizon intérieur, à savoir la personne ? N’ayant rien été, elle n’est rien devenue, elle est disparue. N’est-ce pas cette particularité de la personne que de pouvoir disparaître absolument, chose vue nulle part ailleurs dans la nature, qui fait qu’elle peut inversement revenir après et par-delà sa mort, non pas comme sa transformation naturelle mais dans son identité personnelle la plus propre ? Sa disparition appelle son retour. Ainsi chez les Asmat en Mélanésie les gens décédés au cours de l’année passée reparaissent lors de la cérémonie de jipae, avant d’entrer définitivement dans le monde des esprits. Il s’agit du paradoxe de l’adieu qui ne se laisse dire en toute rigueur ni avant, ni après le départ. Avant le départ, il est sans effet parce que celui qui part est encore là. Après le départ non plus, parce qu’il n’y est plus, évidemment. Il doit donc revenir. Ainsi à Taïwan revient l’esprit du décédé sept jours après la mort pour dire adieu une dernière fois, justement quand il n’est plus là. Aucune loi naturelle ne semble prescrire ce retour, il est simplement ce qui est dû. Le spectre est par là-même placé d’emblée dans la dimension de la justice et de la revendication de ce qui devrait être contre ce qui est. Ainsi, le retour spectral retrouve sa vérité profonde dans la revenance des opprimé.e.s, des trahi.e.s et des assassiné.e.s.
19h Apéro puis repas (avec petite surprise au coin du feu)
Tarif de la journée (interventions + repas midi, boissons comprises) : 20 € (15 € chômeurs, étudiants). Sans le repas du midi : 5 € par demi-journée.
Possibilité d’hébergement au gîte "Le closet" de Fertans. Repas du soir au gîte : 10 €. Nuitée du samedi : 20€. Week-end complet (avec repas et nuitée du vendredi soir) : 75 €. Réduction pour chômeurs, étudiants et enfants.
Possibilités de transport depuis les gares de Besançon le vendredi (maximum 20h), retour le dimanche (minimum 11h30).
Inscription et renseignements : crdpp25@gmail.com ou Philippe Roy 06 51 38 43 45 http://reseau.philoplebe.lautre.net/