Séminaire de doctorants « Technique(s) du cinéma, politique(s) par le cinéma ? » Première séance Vendredi 19 mars, de 15h à 17h
Coordonné par Roman Dominguez Et Adolfo Vera
Première séance
Vendredi 19 mars, de 15h à 17h
Introduction au programme par Adolfo Vera, présentation par Roman Dominguez, débat animé par un doctorant (encore à désigner)
Hobsbawm constatait déjà que le XXème était un siècle court : il s’inaugura avec la grande guerre de 14-18 et se s’acheva avec la disparition de l’Union Soviétique. Cette assertion supposerait qu’un âge, comme porteur autant d’un état de choses (époque) que d’un état d’esprit (Stimmung) plus ou moins constants, se définit moins par la suite chronologique que par des événements marquants. Mais si les événements eux-mêmes sont inséparables de la surface sur laquelle ils s’insèrent, se diffusent et persistent (puisqu’il n’y aurait pas d’événement brut, une épiphanie pure qui s’adresserait aux esprits : « la guerre est finie ! »), on peut aussi définir un âge à partir de ses techniques d’archivage et de diffusion. C’est-à-dire, on peut le définir, du moins en hypothèse, d’après la manière dont un événement est modulé dans la surface archivistique. Non pas, par exemple, que la chute de Ceausescu n’ait pas eu lieu dans les rues de Bucarest, mais que cette chute, comme le montrent Harun Farocki et Andrei Ujica dans Vidéogrammes d’une révolution, est inséparable de la création d’un événement télévisuel. Non pas que les bombes atomiques jetées au Japon n’aient ne l’aient pas été, mais que c’est comme défaite reconnue à la radio par l’empereur qu’elles s’inscrivent pour les japonais comme catastrophe ultime de la guerre, et comme démonstration visuelle de la puissance étatsunienne, qu’elles inaugurent une autre guerre, un autre temps.
En ce sens, et pour moduler la thèse de Hobsbawm, on dira que moins que représenter le XXème siècle dans une histoire de la civilisation, le cinéma est le XXème siècle, du moins au sein d’une certaine archive technologico-politique, comme la photographie serait en quelque sorte la Belle époque et la télévision la Guerre froide. Cela ne veut pas dire que la photographie est née et disparue avec la Belle époque, ou encore que celle-ci se définisse par le seul essor de la photographie, mais que la Belle époque apparaît, comme autant de petits clichés et d’images d’Épinal qu’on trouve dans les brocantes, sous la forme d’une dissémination photographique, comme événement épars et inséparable d’un certain âge de la photographie. Tandis que l’âge classique de la télévision se clôture avec la première des guerres du Golfe. Ce sera dorénavant, la télévision insérée sur le réseau informatique qui prendra la modulation de l’époque, de ses événements, en « temps réel » comme on dit (ainsi pour les récentes manifestations en Iran, qui se sont développées comme des événements sur la toile, avec tout son poids de manipulation et de « réalité »).
Quel est le but dès lors de s’attarder à analyser un appareil, tel le cinéma, déjà dépassé par des technologies plus puissantes, plus performantes, voire plus actuelles ? Il se trouve que le cinéma inaugure la généralisation du montage comme opération de modulation du temps. La télévision, Internet, sont de loin plus puissants que le cinéma en ce qui concerne la communication des événements, mais ils héritent de celui-ci le montage comme fonction qui crée des « réalités » à partir d’un certain découpage du temps. Aujourd’hui, le monde ne deviendrait plus ni cinéma ni encore un film, si mauvais ou néfaste que ce dernier pourrait l’être. Il deviendrait plutôt un montage généralisé qui entraînerait même la politique, quitte à faire de celle-ci la continuation du montage par d’autres moyens. L’état du monde se présenterait alors comme un anéantissement ou du moins une neutralisation du politique par l’image en tant que produit industriel, médiatique si l’on veut.
Il se peut que la tâche d’une pensée sur le cinéma soit alors de répondre par le biais d’une re-politisation par d’autres moyens que ceux de la philosophie politique, ceux mêmes qui renvoient à la conceptualisation des pratiques de l’image et du montage. À cet égard on dira premièrement que le cinéma est foncièrement anachronique par rapport à notre époque, en deux sens du moins. Il est anachronique parce qu’il renvoie dans son âge classique à des aspirations déjà révolues : « art de masse », « art industriel », et qui sait, « art » tout court. Mais il est aussi anachronique parce que son « essence technique », pour parler comme Simondon, est justement ana-chronique, c’est-à-dire il fonctionne par morcèlement et neutralisation du présent grâce au montage (même là où le découpage est absent, comme nous le verrons). En ce sens, le politique du cinéma passerait par l’établissement d’une anachronie supérieure. Par exemple, le cinéma de Haneke consiste, pour une grande partie, en l’insertion de la vidéo et des images télévisuelles dans un agencement qui les arrache du circuit de l’information (« Caché », « Funny Games »), pour les insérer dans un geste contre la violence (même si c’est au prix d’une grande contre-violence).
Notre première tâche sera alors, en reprenant quelques intuitions de Benjamin, Lyotard et Deleuze, ainsi qu’en montrant quelques extraits filmiques, d’esquisser le lien entre des procédés concrets par lesquels le montage redistribue et déterritorialise le temps (le champ-contrechamp chez Godard et Farocki ; le plan séquence chez Welles, Jancsò, Angelopoulos et Béla Tarr ; l’usage des écrans de télévision chez Haneke, Van Sant et Kaurismäki).
Roman Dominguez
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