Vidéos travailleurs africains en Italie

, par Reggente Savino Claudio


Boreano : un village d’une poignée de hameaux à côté d’une vieille église désormais en ruine, dans le territoire de la ville de Venosa. Une vaste plaine se dévide sous nos yeux et s’ouvre indéfiniment vers l’autre grande plaine, celle des Pouilles. À 20 kilomètres de là se trouve l’établissement national de production de voitures « Fiat », dans la plaine de San Nicola di Melfi. Le cadre ici décrit forme un véritable instantané qui recèle en soi toutes les contradictions des soixante dernières années d’histoire du Sud de l’Italie.
Encore vif, dans la mémoire collective de la ville, est le souvenir de la « damoiselle Rapolla », propriétaire de milliers d’hectares dans la zone, affrontant, fusil à la main, les centaines d’ouvriers agricoles qui, vers la fin des années 40, allaient occuper « ses » terrains. C’est aussi grâce à ces luttes que la Réforme agraire de 1951 a réussi à exproprier les grands latifundia. Propriétés qui, d’ailleurs, à travers des méthodes clientélistes, ont été tout de suite distribuées aux inscrits du parti de la « Democarzia Cristiana » (DC), alors que, pour les inscrits au Parti Communiste, ne restait que le choix de faire leurs valises et émigrer – au Nord de l’Italie ou en Europe. Selon l’idée des élus de la DC, les ouvriers, maintenant petits propriétaires, auraient dû s’établir à Boreano. Mais tant le village de Boreano que les hameaux épars autours des champs sont restés vides.
Vers les années soixante-dix, certains agriculteurs de Venosa et des villes proches, Lavello, Palazzo San Gervasio, Melfi, sous la pression de commerçants et des industriels de la conserverie de Campanie, ont commencé à cultiver des tomates. Si, au début, la main-d’œuvre utilisée pour la récolte des tomates était composée en majorité par des locaux, comme les ouvriers, les étudiants, les femmes au foyer, elle sera au tournant des années 90 de plus en plus remplacée par les immigrés, communautaires ou non. Le village abandonné de Boreano a été le premier site où ces nouveaux ouvriers, et leurs « caporali », se sont installés, l’utilisant aussi bien comme abri que comme base pour les mois de récolte – de début août jusqu’à octobre.
Toutefois, aucun type d’initiative n’a été pris, pendant des années, par les institutions. Puis, à partir de 1999, un Centre d’accueil a été mis en place à Palazzo San Gervasio, géré par la Mairie et les associations locales, qui a abrité chaque année plusieurs centaines d’ouvriers africains, à vrai dire dans des conditions assez critiques, jusqu’à sa fermeture en 2009. Cependant, certaines équipes d’ouvriers, pour la plupart burkinabés, ont préféré continuer à vivre dans le village de Boreano, celui-ci devenu, avec le temps, une copie mineure du Grand Ghetto de Rignano Garganico (Foggia). Tout ça jusqu’en 2009, quand le propriétaire de l’agrotourisme placé juste à côté de Boreano a tiré sur les travailleurs avec un fusil. Dès lors, les ouvriers burkinabés se sont déplacés d’une centaine de mètres, vers d’autres hameaux abandonnés, dans des situations encore plus pénibles qu’avant : sans électricité, sans eau, sans chauffage et encore plus loin de la route principale.
Pendant ce temps, certains burkinabés, s’étant installés dans les villes proches de Boreano, sont entrés en contact direct avec les agriculteurs locaux, et ont acquis, de ce fait, le rôle d’intermédiaires : les « caporali ». Ceux-ci organisent les équipes pour récolter les tomates et fournissent aux ouvriers, sous payement majoré, un abri et les services de base (eau, repas, déplacement vers les lieux de travail où ailleurs, recharges téléphoniques, prêt d’argent). De la même manière qu’en Capitanata (Foggia), la grande quantité de main-d’œuvre agricole présente dans la zone de Boreano, à bas prix et normalement disponible à tout heure, a permis aux agriculteurs de se passer de l’achat de machines pour la récolte des tomates. De fait, les ouvriers saisonniers sont payés à la pièce, entre 3 et 4 euros par une caisse de tomates de 300 kilos, et une partie de leur salaire est retenue par les « caporali », ceux-ci étant souvent des amis ou des parents. Certains parmi les travailleurs sont des ouvriers licenciés par les usines du Nord et des jeunes de deuxième génération – fils, eux-aussi, d’ouvriers –, qui arrivent ici par le système du bouche à oreille avec l’espoir de gagner un peu d’argent. D’autres sont réfugiés, souvent arrivés à Lampedusa, demandant une protection internationale, voire l’asile, dans certains cas. Et si certains possèdent déjà un permis de séjour court pour motif humanitaires, il y en a d’autres qui sont en attente d’une réponse par les autorités, et d’autres encore irréguliers.
Au début du mois d’octobre, quand la récolte des tomates vient à peine de s’achever, les uns retournent au Nord, pour chercher de meilleures opportunités de travail, les autres descendent en Calabre, essayant de décrocher quelques journées de travail dans la récolte des oranges. Dans les hameaux de Boreano restent encore une cinquantaine de personnes. Certains d’entre eux resteront ici pour tout l’hiver : ne sachant pas bien où aller, ils préfèrent plutôt rester là et essayer de trouver un boulot et un abri près des petites entreprises de la zone. Á partir du mois de mai, ceux qui sont restés avec ceux qui arriveront, vont reprendre le travail dans les champs, plantant les tomates (1).

C’est cette réalité – qui est à la fois le produit d’une réalité sociale, géographique, économique et historique – qui a donné l’idée d’intervenir à des associations des villes autour de Boreano, devant la totale absence des institutions. C’est à partir de et sur le modèle d’autres interventions menées, les années passées, par le réseau « Campagne in lotta » dans le Grand Ghetto (Foggia) et à Rosarno (Calabre), que cette intervention a vu le jour. Y ont participé, avec des militants faisant partie du réseau, un grand nombre d’associations locales et aussi d’autres personnes du territoire. La première étape de « L’école d’italien de Boreano » a été l’occupation de l’église abandonnée, distante d’un kilomètre des hameaux où les ouvriers vivent. Le fait de créer un lieu extérieur du reste du « ghetto » et plus protégé de la présence inhibitrice des « caporali », nous a permis de mettre en place des cours de langue, un cabinet légal et un support médical minimal, profitant d’une certaine liberté. Cela a été une condition nécessaire tout d’abord pour créer un rapport de confiance entre les volontaires et les ouvriers agricoles, et ensuite pour activer des parcours de libre confrontation où il était possible de discuter des problèmes liés au travail et aux conditions de vie, et d’où est parti une action commune de revendications politiques qui s’est achevé avec une rencontre entre ouvriers migrants et le Préfet, au mois d’octobre.
Le partage spatial entre « ghetto » et église-école n’a pas été pourtant si net. En fait, surtout dans la phase de démarrage de l’intervention, les visites que les volontaires faisaient dans les hameaux ont été fondamentales afin de « publiciser » l’école d’italien et aussi pour renseigner les ouvriers sur les services dont ils pouvaient bénéficier, et en ce qui concerne les droits prévus par le contrat provincial pour les travailleurs agricoles. D’autres associations, catholiques et laïques, étaient présentes sur le terrain depuis des années. La « Caritas », prêtant des services d’assistance élémentaires comme la fourniture de l’eau, des vêtements et des soins basiques ; et l’« OMB » (Observatoire Migrants Basilicata) qui donne des cours d’italien, des cours professionnels pour l’insertion au travail et aussi un cabinet pour le support légal. L’OMB a été dès le début un des promoteurs de l’intervention, avec son expérience pluriannuelle directe sur le terrain. Il faut signaler aussi le « CE.ST.RI.M », qui s’occupe d’aider les femmes immigrées victimes de traite travaillant comme prostituées dans le « ghetto ».
La continuité des cours d’italien a été fondamentale, mais c’est à partir du moment où des assemblés avaient lieu chaque semaine, qu’a été possible l’émergence d’un véritable parcours de revendications qui allait de paire avec un processus d’auto-organisation parmi les migrants mêmes. Malgré la discontinuité des présences liée évidemment à la fatigue au travail, malgré des difficultés liées à la condition précaire où l’on opérait, et malgré les tensions et les malentendus surgis inévitablement, plutôt entre ouvriers et volontaires eux-mêmes qu’entre les deux positions, ce parcours de connaissance et de confrontation réciproque a porté ses fruits. En fait, le parcours d’auto-organisation a abouti à l’écriture d’une lettre présentée par les migrants eux-mêmes au Préfet.
Les points critiques signalés par les travailleurs ont été les suivants : le travail au noir, c’est-à-dire sans contrat ou avec des faux contrats, chose qui, selon la loi italienne pour l’immigration, ne permet pas de renouveler les permis de séjour, ni d’avoir droit aux allocations chômage ; l’exploitation au travail, puisqu’on travaille à la pièce sans limites d’horaires et sans respecter le contrat provincial pour les travailleurs agricoles ; les conditions critiques de logement, qui, par ailleurs, ne permettent pas d’avoir le certificat de résidence, lui aussi indispensable pour renouveler le permis de séjour ; l’absence de transports publics, entre habitations, champs et centre ville, pour bénéficier des services fondamentaux ; la nécessité d’une école d’italien pendant toute l’année, indispensable pour une véritable intégration.
Ce sera à partir de ces points que les ouvriers africains et les volontaires italiens vont travailler dans les mois qui viennent.

(1) D. Perrotta, D. Sacchetto, « Les ouvriers agricoles étrangers dans l’Italie méridionale entre “séclusion” et action collective », Hommes et Migrations, 1, 2013, pp. 57-66.

http://www.youtube.com/watch?v=qVaz8NyqChM

Chaque été des centaines de travailleurs, venant pour la plupart d’Afrique occidentale, s’installent dans des hameaux abandonnés près de Boreano, dans la campagnes autour de Venosa, en Basilicata, à la recherche de quelques journées de travail, notamment comme ouvriers agricoles pour la récolte des tomates. Ils sont embauchés grâce à un système dit du « caporalato », ils travaillent à la pièce et, souvent, au noir.

Le vidéoclip présenté, tourné à Boreano en août 2011, naît grâce à la rencontre entre des jeunes originaires du Burkina Faso, qui se trouvent, plus ou moins par hasard à travailler dans le secteur agricole dans les campagnes du Sud de l’Italie, et de jeunes artistes, video-makers et chercheurs de Venosa.

http://www.youtube.com/watch?v=BYaHI999Heo

L’auteur du texte et aussi le protagoniste de ce vidéoclip est Daise B, étudiant dans un institut supérieur d’une petite ville située dans la région de l’Emilia-Romagna et, en même temps, jeune auteur de textes hip-hop.

La situation dramatique dans laquelle ces saisonniers vivent et travaillent a été dénoncée à plusieurs reprises (voir les liens www.terrelibere.org , www.osservatoriomigrantibasilicata.it ).

Dans ce vidéoclip, peut-être pour la première fois, c’est un de ces saisonniers qui raconte lui-même son expérience, simplement grâce à l’aide du montage. Ses mots nous parlent de l’émigration de l’Afrique, du colonialisme, de la désillusion après l’arrivée en Europe, de l’exploitation, du racisme, de l’envie de se racheter.