H - Hollande
Hollande, c’est... Hollande ! Joseph Prudhomme président
Il est des bons mots qui, parfois, reviennent en boomerang au visage de ceux qui les prononcent et y laissent des balafres sanglantes : dans l’une des scènes du film documentaire Le pouvoir, évoquant les premiers mois du quinquennat de François Hollande, on voit celui-ci présider dans une salle municipale de banlieue, une séance de signatures de contrats de premier emploi, avec des jeunes [1]. Devant les caméras, le Président invite un jeune à s’asseoir à côté de lui en vue de parapher le document ; et, comme celui-ci hésite, intimidé, de lancer une de ces boutades qui ont fait sa réputation de boute-en-train dans l’appareil du PS : « Assois-toi ici, Gaëtan – d’ailleurs dans quelque temps, quelqu’un dira : “Mais c’était qui [le type] assis à côté de Gaëtan ?” »
Il ne croyait pas si bien dire - tant cela est vrai à l’heure où son quinquennat s’achève : ce dont François Hollande est politiquement mort et bien mort, ce n’est pas tant de franche impopularité que de cette impressionnante obsolescence qui, à la fin, l’avait réduit à cette condition d’insignifiance, de transparence vaporeuse, pas même spectrale et dûment constatée tant par les gouvernés que par les observateurs patentés.
Comment comprendre cet effacement, ce lent et implacable absentement du « type assis à côté de Gaëtan » ? Un élément premier d’explication, pas le seul bien sûr, se détecte, me semble-t-il, dans la sphère du langage. Que l’on prête attention aux apparitions publiques de Hollande ou bien aux paroles prononcées au long du film de Rotman, dans l’exercice de ses fonctions ou bien les fausses confidences distillées à la caméra, une chose frappe, tant elle est constante : Hollande, c’est en tout premier lieu, la pensée du politique et, plus largement, la pensée humaine, réduite aux « éléments de langage » et aux paroles attendues, aux clichés politiques et autres - si stéréotypés qu’ils flirtent constamment avec la lapalissade et la philosophie de Monsieur Prudhomme.
Hollande, c’est le type qui, pour qui s’astreint un peu à l’écouter (ce qui demande un effort soutenu, tant sa parole est fuyante et donc propre à décourager l’attention), n’a manifestement jamais nourri une idée qui lui appartienne en propre.
Quand je dis « une idée », j’entends un énoncé, une proposition qui, tant soit peu ou alors de façon tranchante, se détache, se décale, donne à éprouver le pas de côté dans le flux des énoncés où les choses mille fois pensées et dites se ressassent, se relancent, circulent de bouche en bouche en mode automatique. Le propre de l’idée, entendue en ce sens, c’est d’interrompre le flot des discours et le bruit des paroles, de donner à entendre une dissonance, d’attirer l’attention, à ce titre. C’est une distorsion, une complication qui intervient dans l’ordre des discours et nous réveille en nous donnant à comprendre que les évidences dont sont tissées les discours sont révocables et que ce qui se dit et se répète comme vérité révélée, ad nauseam, est à chaque instant susceptible d’être révoqué et exposé dans son inconsistance même par une simple idée, avec la pleine capacité d’arrêt et la puissance de révocation de celle-ci.
Eh bien, je dis que ce qui caractérise Hollande en propre, c’est qu’une idée, entendue dans ce sens même, cela ne lui a jamais traversé l’esprit. Quand je dis « une idée », je ne veux pas forcément dire une idée lumineuse, une bonne et belle idée, une idée généreuse ou vertueuse, une idée grandiose. Je veux dire simplement une idée, fût-elle maligne, mal intentionnée, vicieuse, tarabiscotée – mais dont le propre serait de se planter des banderilles dans notre actualité et de nous conduire à exercer nos facultés critiques dans ce présent même, et sur lui. Il arrive à toutes sortes de salauds et de pervers d’avoir des idées qui, lorsqu’elles nous atteignent, nous ébranlent, contrairement à une simple insanité venimeuse.
Or, ce qui, tout au long de son interminable et calamiteux quinquennat a caractérisé l’insignifiance de ce spécimen rare de souveraineté bouffonne et grotesque, ce Hollande 1er roi des Hollandouilles, c’est la totale et définitive absence d’accès à ce domaine de l’idée, fût-elle la plus détestable. Hollande, ça restera dans l’histoire de la République comme ce type qui, en cinq ans d’exercice de la fonction présidentielle, n’aura pas proféré une phrase, un mot (qu’on l’approuve ou le désapprouve, là n’est pas le problème) qui soit susceptible de faire (se) lever l’oreille, car propre à véhiculer quelque chose qui se serait apparenté à « une idée ». L’autre, son prédécesseur, parlait comme une gouape, massacrait la syntaxe à l’oral comme à l’écrit, jetait à la volée des mensonges et des contre-vérités gros comme le Palais de l’Elysée, jouait les Rodomont avec un aplomb révoltant – mais à défaut d’idées (ce qu’il n’avait pas davantage que son successeur), il avait, disons, ce ton canaille, presque une ébauche de style, qui faisait lever l’affect de ceux qui l’écoutaient et les conduisait à s’exclamer : « Ah, le sale type que voilà ! ».
L’inconsistante, l’évanescente lissitude (pour le dire en langue royalienne) « hollandaise » nous prive même de cette faculté (ce droit ?) d’exécration : à l’entendre aligner les platitudes de ce ton de Snoopy mal doublé qui lui appartient en propre, on se sent envahi d’une immense fatigue et l’on se prend à murmurer : « Oh, le pauvre type, mais comment fait-il donc pour cultiver avec une telle constance le vide de la parole et l’absence de la pensée propre ?! [2]
La créature imaginée par Henry Monnier, Joseph Prudhomme, « illustre type des bourgeois de Paris » selon Balzac, proférait d’un ton sentencieux de ces fortes paroles qui lui ont ouvert les portes de la postérité : « C’est mon avis et je le partage », « Le char de l’Etat navigue sur un volcan », etc. Sans se hisser à ce niveau de perfection, le discours « hollandais » s’inscrit distinctement dans la même veine – à défaut d’être socialiste, Hollande est « prudhommien », mais ce n’est même pas son choix : il a fait du M. Prudhomme à longueur d’exercice de la fonction présidentielle sans le savoir.
Quand il réunit pour la première fois ses conseillers à l’Elysée, c’est pour leur dire d’un air pénétré : « Le Président, c’est le seul qui soit sûr de rester en place pendant cinq ans ! ». Quand il veut les mettre en garde contre l’ivresse du pouvoir, il énonce gravement : « C’est pas facile de vivre dans un palais – on se croit à l’abri de tout ». Quand il apprend que le PS est assuré d’avoir la majorité absolue à la Chambre des députés, il ponctue la nouvelle d’un pénétrant : « Avoir une majorité, c’est important pour gouverner ».
Une hypothèse pourrait être que la part de la fonction présidentielle consistant, selon l’usage « hollandais », à serrer des mains, toutes sortes de mains, pas seulement celles de ses ministres, hôtes et conseillers, mais aussi bien gendarmes, gardes républicains, agents de sécurité et d’entretien (etc.) est à ce point accaparante et incompressible (car comment « faire peuple », sinon ?) qu’elle est vouée à s’exercer drastiquement au détriment de la vie de l’esprit... Je ne la retiendrai pas. Nonobstant le fait qu’il n’est interdit d’avoir une idée tout en serrant une main, dans l’enchaînement des causes et des effets, il m’apparaît infiniment plus probable que c’est un certain état persistant de jachère de la pensée qui a orienté notre personnage (et comme à titre de compensation) sur les chemins de la compulsion du serrage de louches – la fonction présidentielle étant, par excellence, celle qui ouvre à qui parvient à y accéder, le plus riche champ des possibles en la matière.
Lorsqu’il s’essaie à énoncer une philosophie de son exercice du pouvoir, Hollande voit loin et « prend de la hauteur », comme il dit : « Il y a toujours un doute – est-ce qu’on ne va pas trop vite, est-ce qu’on ne va pas trop loin, est-ce qu’on ne va pas trop lentement (…) Si nous voulons être efficace, il faut agir vite et dans la durée » - Mais où va-t-il chercher tout ça ?
Parfois, l’originalité du propos vient s’habiller d’une langue plus, technique, disons – certains parleront de langue de bois, mais leur mauvaise foi saute aux yeux. Exemple : « Il y a dans la population une partie dynamique qu’il convient de stimuler, pas de décourager ». Ce qui, transcrit en langue profane, se dit : n’ayons garde de nous mettre à dos les patrons, petits et grands. Montrons patte blanche au MEDEF, au cas (improbable) où ils auraient pris au sérieux nos envolées contre la Finance – la campagne électorale est finie, passons aux choses sérieuses ». Pour être un histrion et un conformiste, Monsieur Prudhomme n’en est pas moins un homme d’ordre et d’intérêt : ce n’est pas avec lui que la chienlit ira s’installer sous les ors de l’Elysée.
Plus le quinquennat va vers son rythme de croisière, et plus le style prudhommesque s’affirme, rehaussé parfois de quelques couleurs flaubertiennes – M. Homais et les deux « cloportes » , Bouvard et Pécuchet . Ainsi, à l’occasion de la première conférence de presse du Président en fonction , cette superbe ouverture : « Une politique, c’est une réponse cohérente et forte à la situation du pays. Or, cette situation, quelle [sic] est-elle ? Elle est grave ! ».
Du premier au dernier souffle du quinquennat, le goût prononcé de Hollande pour la tautologie ronflante, en tant que degré zéro de la pensé, ne s’est jamais démenti. Dans son premier discours de victoire, prononcé à Tulle, il déclame : « Nous ne sommes pas n’importe quel pays de la planète, n’importe quelle nation du monde, nous sommes la France ! ». Et lorsqu’il reçoit le Président de la République italienne en visite officielle à l’Elysée, il ne peut se retenir de confier aux convives attablés dans la salle d’apparat son « grand bonheur » de les accueillir à cette occasion - « parce que c’est l’Italie » et « parce que c’est Giorgio Napolitano » - tant de belles et grandes choses dites en si peu de mots...
A ceux qui, dans quelques décennies n’auront pas encore tout à fait oublié son nom, viendra peut-être un jour cette pensée pleine de bonté : il fut si futile, incolore et passe-partout qu’il ne trouva pas même la force de se faire haïr des gouvernés – à la différence notoire de son prédécesseur. Son ciel était peuplé de phrases toutes faites, de formules ramassées dans les journaux et de bons mots glanés dans les couloirs de la rue de Solférino. Quelle vie – pas même de chien : tout juste de zombie de la démocratie d’ « éléments de langage », en pilotage automatique.