I - Indépendance (politique)
Une note brève, pour appeler à la critique et pour obliger à une suite.
(ce qui va se passer en Catalogne, l’Espagne tout entière et l’Europe, qui se cherche sans se trouver, peut y aider)
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Au cours de cette année 2017, il est difficile de faire porter la réflexion philosophique sur la question de l’indépendance sans considérer la situation en Catalogne, aujourd’hui. Il est même impossible de ne pas se référer à ce que l’histoire, a fourni, hier, comme enseignements durant le dernier siècle écoulé. Mais le futur aussi est concerné : une fois passée la tourmente catalane, on ne pensera plus, demain, en Espagne et ailleurs, l’indépendance politique comme on l’a pensée, jusqu’à présent.
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Le mardi 10 octobre 2017, le Parlement catalan avait eu à choisir entre trois options :
1 – Tirer les enseignements du référendum et annoncer au monde entier que la Catalogne avait décidé souverainement d’entrer dans une indépendance politique irréversible.
2 – Proposer d’ouvrir une négociation visant à créer, en Espagne, une « indépendance dans l’inter- dépendance ».
3 – Accepter un élargissement de l’autonomie de la Catalogne qui ne débouche pas sur l’indépendance.
A - Les objections qui sont faites aux partisans de l’indépendance étaient de nature très différente :
• L’indépendance serait une rupture dans la solidarité et une manifestation de l’égoïsme des habitants d’une province riche ne voulant plus « payer pour les pauvres ».
• L’indépendance de la Catalogne serait un refus, et un rejet anticonstitutionnels de l’unité du pays.
• L’indépendance de la Catalogne risquerait d’entraîner, en Europe, des sécessions en cascades (Pays basque, Flandre, Corse, Écosse, Lombardie...).
B - Les réponses et autres arguments des partisans de l’indépendance se fondent souvent sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, droit reconnu depuis longtemps au niveau international. Il s’y ajoute quelques autres considérations.
• En Afrique, à la suite du retrait des empires coloniaux anglais et français, et en Europe, après la chute de l’Empire soviétique et de la dislocation de la Yougoslavie, l’ONU a vu augmenter, sensiblement, le nombre de ses membres. Elle compte, à ce jour, officiellement, à ce 193 États-membres (plus les deux États-observateurs permanents : le Vatican et la Palestine, d’une part, et les Iles Cook et Niue, les deux États encore sous souveraineté néo-zélandaise, d’autre part,) soit 197 États reconnus [1]. Le nombre des États n’a donc cessé de croître sans que cela ait engendré de conflits majeurs (hormis Taïwan et le Kosovo qui n’ont pu rester ou n’ont pu entrer dans l’ONU par opposition entres autres de la Chine continentale et de la Serbie).
• Le catalan et l’occitan sont deux langues et deux cultures distinctes mais cousines. Le catalan est aussi la langue officielle de la principauté d’Andorre.
• Le castillan (l’espagnol) est une langue différente. L’histoire linguistique révèle des différences culturelles essentielle.
• La Catalogne a beaucoup souffert du franquisme. Les blessures ne sont pas encore toutes guéries.
• L’indépendance n’est pas la rupture, c’est la non-dépendance, l’autodétermination, l’auto-gestion.
• Un conflit ne peut, survenir qu’en cas de recours à la force pour interdire la volonté populaire.
C – Un conflit politique se noue qui ne concerne pas que l’Espagne.
Le mercredi 10 octobre 2017, au soir, la Catalogne, par la voix de Carles Puygdemont, son président, a affirmé que le processus d’indépendance était bien engagé mais prendrait le temps de la négociation afin que la violence soit évitée. Le Conseil des ministres espagnol par la voix de son président, Mariano Rajoy, a considéré, dès le lendemain matin du 11 octobre, que cette déclaration était ambigüe et demandait à être précisée.
En réalité, les deux parties sont bloquées, l’une par sa volonté d’aboutir, tôt ou tard, à une République de Catalogne, l’autre par sa décision de rejeter toute éventualité d’indépendance quitte à retirer au Parlement Catalan son pouvoir de gestion autonome. L’appel à une intercession européenne visant à obtenir un compromis n’est pas pris en considération au sein de l’union européenne et celui qui a le plus pris de distances, par rapport à cette proposition, est Emmanuel Macron pour qui un État et une région ne sauraient être mis sur le même plan. On reconnaît là, la doctrine traditionnelle de la France pour qui un État ne se divise pas et pour qui l’Europe est une Union ou une fédération d’États-nations. La solidarité avec le gouvernement de Madrid, celui de l’Espagne tout entière ne se discute donc même pas...
Et pourtant, de nombreuses questions de philosophie politique essentielles, directes ou connexes, sont posées par ce qui se passe en Catalogne et elles ne peuvent mener qu’à des modifications du statu quo. C’est de l’avenir de l’Europe, voire de l’ONU, de la place des régions dans chaque État déjà organisé par répartition des pouvoirs locaux, dont il va être question à échelle internationale. C’est dangereux mais inévitable.
D - Des questions redoutables sont, en effet, posées ou reposées ; elles sont ineffaçables ; il faudra bien y répondre.
Les mots mêmes du vocabulaire politique sont interrogés ainsi que les concepts les mieux établis :
• Qu’est-ce qu’un État au XXIème siècle, en ce temps « mondial » où les peuples se mêlent, parlent des langues différentes et occupent des territoires modifiés par l’économie et le climat plus encore que par l’histoire ?
• « L’état-nation » qu’inventa la France est une figure de l’État qui soude le territoire à sa population d’une façon indéfectible. S’agit-il, partout, d’une unité de gouvernement encore en rapport avec la gestion d’un pays moderne ?
• Est-ce le droit qui façonne l’organisation d’une communauté humaine ou la politique ? Le droit contient les règles et les lois qui résultent de rapports de forces mesurés au sein d’un Parlement ou suite à des manifestations de la volonté populaire exprimées autrement, et notamment par « la rue », comme il advint fréquemment en Europe.
• Les États qui ne reconnaissent pas ou ne respectent pas le droit international sont-ils sanctionnables ? Qui a autorité, alors, pour juger et punir les États fautifs ? Et par quels moyens ?
• Pourquoi des États qui « fonctionnent » ne sont-ils pas encore membres de l’ONU (Taïwan, Kosovo, Tibet, entre autres,) ? Qui l’interdit sinon un autre État qui s’estime en droit, « propriétaire » du territoire concerné ?
• Il est des régions plus puissantes que des États (la Bavière par rapport au Luxembourg, par exemple, ou encore, précisément, la Catalogne, par rapport à l’île de Malte ). Qu’est-ce alors que l’indépendance d’un État économiquement faible ?
• Il est, bien entendu, des entreprises privées plus puissantes que des « puissances publiques ». De tels constats ne bouleversent-ils pas les ordres nationaux et ou internationaux et leurs légalités ?
• Les 5 membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU : Chine, États-Unis d’Amérique, Fédération de Russie, France et Royaume-Uni sont les États les plus armés. Où est le siège des pouvoirs de ces États nucléaires dotés de l’arme absolue ? Ils figent, à leur profit, les relations internationales et bloquent toute évolution de l’ONU. Ce fixisme politique peut-il perdurer longtemps encore ?
E - L’indépendance est nécessaire au fonctionnement démocratique des sociétés humaines.
Le mot indépendance contient, à lui seul, depuis des décennies, et même des siècles, l’aspiration de populations entières à l’autodétermination, à la liberté.
Au cours du siècle passé, l’indépendance de l’Algérie, après plusieurs années d’une guerre qui fut, de fait, coloniale, déboucha sur un référendum d’autodétermination, le 8 janvier 1961 qui prépara le retrait de la France, au grand dam de l’extrême-droite française. La France-Afrique, celle de l’indépendance fictive, de la domination économique maintenue et de la manipulation des élites locales, dont Jacques Foccart, (1913-1997), très proche de De Gaulle, fut chargé, a succédé, de fait à la Communauté Française (article 76 de la constitution de 1958, devenue caduque dès 1960 [2]).
Ce vocable, indépendance, appartint au vocabulaire « progressiste » et fut une valeur politique dite « de gauche ». De nos jours, toute velléité d’indépendance est présentée comme une manifestation d’un séparatisme séditieux, voire d’un sécessionnisme nationaliste immédiatement condamnable. Cette condamnation est exprimée par des dirigeants politiques, eux-mêmes fort nationalistes et conservateurs, de droite comme de gauche, et qui ne supportent pas la contestation de l’État-nation centralisateur. Ce courant de pensée nationaliste s’étend et enferme les citoyens dans une appartenance territoriale dont ils ne peuvent même envisager de sortir ! (Ce qui les pousse à ne pas vouloir que de nouveaux venus y entrent !). La montée de l’extrême-droite en Europe peut trouver là l’une de ses sources.
Indépendance d’un peuple, indépendance de chaque citoyen : il n’est pas de démocratie sans liberté de penser et surtout sans prise en compte de cette pensée libre dans les décisions à prendre. Le référendum, à cet égard, semble plus simple et évident, pour exercer un pouvoir qu’une élection à mode de scrutin variable ne donnant que délégation. Il importe, cependant, que quelques conditions soient remplies avant vote : connaître, sans équivoque, qui est appelé légitimement à voter et savoir, avec certitude, si la question posée ne contient aucune ambiguïté. Autrement dit : s’entendre au préalable sur le juste territoire d’application, la détermination exacte des électeurs concernés et rédaction sans équivoque de la question soumise à ces électeurs. Le référendum confirme l’indépendance bien plus qu’il ne l’institue
Comme on le voit, l’indépendance n’est pas principalement la création d’un nouvel État, même si la décolonisation a permis l’émergence de nombreux États entre 1946 et 2002. C’est la politique qui. détermine les rapports de force, idéologiques d’abord, et secondairement militaires. La célèbre formule d’Edgar Faure (« l’indépendance dans l’interdépendance ») n’empêcha pas l’indépendance du Maroc, en 1956, et de la Tunisie, en 1957. Président du Conseil, alors, Edgar Faure accompagna, sans s’y opposer, la naissance de ces nouveaux États. L’indépendance de l’Algérie, en 1962, s’effectua, au contraire, dans la douleur et le sang. De Gaulle comprit, trop tard, qu’elle était inévitable et les effets de cette indépendance, arrachée au lieu d’avoir été, à temps, négociée, ont été immenses et pèsent encore sur la politique et les institutions de la France actuellement.
L’indépendance n’est jamais totalement acquise dans un monde qui « bouge ». Elle n’est pas davantage interdite au nom d’un droit qui serait intangible et qui, lui-même daté, résulte d’événements politiques antérieurs déterminants. La Catalogne, quoi qu’il arrive, donne et donnera à penser à tous ceux qui veulent, en ce siècle, par la pratique, organiser des communautés de destin, de type nouveau, paisibles et efficaces, où les conflits, inévitables, puissent se gérer autrement que l’arme au poing.