Z - Zeus

, par Joachim Dupuis


Les médias ont tout faux, ils l’appellent Jupiter. C’est lui donner une aura divine, une portée surhumaine, lui qui rêve d’être un marcheur d’exception. Macron ou Marathon Man. Il saute toutes les haies, portant avec lui un idéal sportif digne des Jeux Olympiques : gagner le coeur des hommes et leur donner une « vision » de la réussite. La marche de Macron a quelque chose du pionnier ou du prophète. Dans ses discours, il n’a de cesse de nous faire espérer. Espoir d’un autre monde ? Mais quel monde ? Que veut-il ? Un poste élyséen ? Un bain de foule présidentiel ? Rêve-t-il de décrocher la lune comme Caligula ? Non, rien de tout cela N’a-t-il pas la même ambition que les personnages littéraires du XIX e siècle, lui qui admire, se reconnaît en Julien Sorel ? A moins, à moins que ce soit Rastignac ? « A nous deux Paris ! »

La réussite de l’arriviste Macron ne peut pas signifier « convoiter une simple place » – dût-elle être celle de Président français. Macron veut créer une nouvelle place du pouvoir en faisant tabula rasa des précédentes. Faire place net, n’avoir aucun modèle, voilà le sens de ce nouvel arrivisme qui est en fait, il faut bien le dire, déjà ancien – celui du Self Made Man. Car c’est celle de l’entrepreneur. Et non pas de l’écrivain. Un premier essai de roman resté lettre morte. Il sait qu’il n’a pas le talent (et la chance) de Houellebecq, mais peut-être les idées.

Le choix de Macron sera d’arriver sur la capitale et d’y devenir une sorte de terroriste de la politique. Après tout Daech aura peut-être été un modèle politique inattendu pour les gouvernants occidentaux. Savoir placer les bombes là où il faut, là où ça fait mal, pour pulvériser tout le système politique. Faire éclater les blocs politiques.

En marche : c’est une bombe Manhattan jetée à la face des politiques par un jeune loup pragmatique et décomplexé.

De quoi Macron est-il le nom ?

Il est d’abord le nom d’une bombe. Blockbuster : c’est le nom de cette bombe créée par la R.A.F, qui, en son temps, a su modifier le paysage de la guerre, en lui donnant une portée aérienne dévastatrice (dont la bombe atomique a par la suite été le symbole). Aujourd’hui, Macron endosse à sa façon ce patronyme pour détruire, d’en bas (en ralliant à lui une grande partie de la société civile), et non du ciel, l’image de la politique et lui enlever sa monumentalité.Les médias, aveugles comme toujours, ne voient pas qu’il veut désormais être invisible pour agir n’importe où et n’importe quand, ils ne voient pas qu’il veut incarner une sorte de fluidité, pour ne pas être justement assimilé à un Président de plomb, statue ou colosse de Rhodes dans l’arène du pouvoir. Macron, c’est une vraie machine de guerre. Mais, ce que ne veulent pas voir les médias, c’est que cette machine en marche est dangereuse par sa volatilité. Nuage de poudre, il a le même effet qu’une drogue. Si nous n’y prenons pas garde, nous succomberons à son charme. La force du mouvement En marche, c’est de donner l’impression que quelque chose bouge en politique, qu’à nouveau tous les rêves sont possibles.

Mais si Macron se met en marche, c’est pour défaire les oppositions, « noyer » les esprits dans une métaphysique de l’intrication nécessaire. Car le pouvoir qu’il entend incarner veut porter au plus loin le capitalisme, en accélérant la transformation de la démocratie immunitaire, déjà installée, en un dôme. Le nom qu’il porte, c’est donc celui du processus de domisation. La démocratie par ce mouvement En marche va complètement se fermer hermétiquement ; le seul air respirable sera produit par les générateurs de la machine du Capital et par les leviers de travailleurs devenus des zombies, capables de tout accepter, même leur esclavage. Le monde de Macron, c’est de forger des bombes pour arriver à ce « nouveau monde » sans vie, sans singularité. Macron est porteur de mort, plus que de la peste ou du choléra (que nous réservons à Marine), il a amorcé le plus grand fléau de l’humanité : sa post-humanisation. Macron ou Metropolis.

D’où un ensemble de « bombardements » pour accomplir ce grand changement politique.

Premier bombardement. « En marche », c’est d’abord un mouvement qui met fin à la politique politicienne. La machine Macron est un geste d’asphyxie. Il veut briser l’échiquier politique, en faisant se dégonfler tous les partis, y compris les extrêmes. Macron n’est pas l’homme du parti ou d’un parti, c’est l’homme du management dans ce qu’il y a de plus terrible. Ce qui compose le tissu de ce parti ou de ce mouvement c’est essentiellement des personnes de catégorie sociale et professionnelle supérieure, notamment beaucoup des chefs d’entreprise. Etre en marche, c’est s’inscrire dans un mouvement qui, issu de la société civile, vient percer les bulles politiciennes détachées du réel. Le geste Macron, c’est de faire coexister dans un même « ensemble » des choses qui ont des modalités de vie différentes, ou comme dit Souriau des modes d’existences séparés. Ni hégélien, ni kantien, il articule les contraires, il fait feu de tout bois. Quand on le voit gauche, il se déplace à droite et constitue un gouvernement clairement marqué par des personnalités de droite, quand on le dit de droite, il rappelle qu’il a eu une grand-mère qui a su lui inculquer des valeurs de gauche. Sans cesse, il veut tenir les deux bras politiques, droite-gauche, mais ce qui compte pour lui, c’est ce nouveau tronc, cet arbre politique qui doit être fondateur.

Deuxième bombardement. Macron en fin dialecticien cherche à créer une sorte de pouvoir-Frankenstein, fait de diverses pièces, en les animant, en leur donnant une vie autonome. Macron n’est plus un homme d’Etat, qui verrait dans l’Etat le moyen de tout régler, il veut que l’Etat fasse corps avec le Capital, pour qu’il n’y ait plus de polémique, pour que l’on accepte l’autorité de l’Etat et la fluidité économique comme étant la même chose, l’expression du même corps. Ce que Macron cherche à faire, c’est au fond ce que Gilles Châtelet, dans un pamphlet, a décrit comme la « thermocratie », une espèce de pouvoir en miroir où les hommes sont comme pris dans les flux du pouvoir économique, cybernétique, politique, pris dans l’automutilation : automutilation par rapport à leurs valeurs habituelles, aux distinctions politiques qui ont du sens. Macron c’est l’homme de la « grande-équivalence » des valeurs.

En cela, Macron défait les anciens gestes présidentiels. Il va plus loin que la « vampirisation sarkozienne » (intégrer des gens de partis différents dans son parti) ; il refuse la stigmatisation de certains branches de la société - notamment des Banlieues (système Chirac) ; il refuse le geste de diabolisation de l’extrême-droite (système Mitterrand) ; il refuse d’être un président « normal » qui a à la fois joue la carte du consensus, à l’extérieur et celle de la division de son parti (système Hollande). Il cherche ainsi à porter le libéralisme jusqu’à son niveau de flexibilité le plus fort, pour donner les mains libres au capital en désossant le droit du travail et ainsi passer à la « grande centrifugeuse » (G.Châtelet) où chacun se sacrifiera pour le bien de tous les capitalistes du monde. Il opère même la refonte du rôle des députés en les renvoyant sur les bancs de l’école, celle de sa nouvelle République. Macron est satisfait : désormais personnalité de l’année, l’ancien banquier peut se voir en politique. Il produit en lui-même une image de la réconciliation : Macron banquier et Macron politique, c’est en fait la même chose, la même personne.

Troisième bombardement. Macron pousse la normalisation démocratique jusqu’au bout. Ce qui nous guette, c’est la domisation. Dans cette perspective, la démocratie n’aura plus à s’affirmer dans ses droits, car les droits ne seront plus un moyen de revendication. Chacun n’aura qu’à suivre ce que fait son voisin, comme dans l’Abbaye de Thélème. Au niveau sécuritaire, tous les pays européens seront bientôt unis et fonctionneront selon les mêmes données de surveillance, les mêmes normes sanitaires : les individus pourront ainsi être protégés le plus possible de toute menace extérieure au « grand dôme ». D’où la mis en place d’un système de cordons policiers de plus en plus invisible, virtuel, informatisé pour une nouvelle immunité. Le premier trait de la domisation du pouvoir En Marche : c’est la volonté d’instaurer un état d’urgence permanent, permettant de donner à la police plus de pouvoir, et à l’individu, moins de liberté. L’écol(ogi)e « verte » n’est pas en reste. Elle est aussi pour le Président un moyen de « domiser » l’Europe et le monde, car plus la normalisation commune sera étendue, plus pourront se créer des interactions fluides. L’image consensuelle de Nicolas Hulot en est la parfaite image. Face à la politique contre-productive de Trump en mettant en péril l’immunité de la nature tant désirée, Macron fut d’ailleurs le premier à mobiliser le monde. L’écologie est aussi un moyen, au niveau international, de modeler l’homme vers un devenir plus capitalistique : logique de gestion des ressources, de recyclage qui crée le moins de pertes possible et le plus de profit. L’espace aussi est une arme sophistiqué : on entend encore l’Homme-Président dire à Thomas Pesquet, au Bourget, qu’il ira bientôt sur Mars. Le geste en marche de Macron, c’est le geste en marche vers Mars : « orange mécanique » d’une politique de colonisation absolue (dominer Mars avant les autres, c’est imposer un type d’hégémon que l’on ne peut plus faire sur Terre, sans se mettre en danger).

Quatrième bombardement : Macron cherche à sortir de la phraséologie des médias et des politiciens (qui fonctionne de la même façon), il refuse la logique de l’audimat ou de son équivalent le couac politique (hommage à la reine Duflot qui l’a tant pratiqué !). Il faut sinon museler les médias, du moins les empêcher de suivre leur logique naturelle de la division. Macron invente des miroirs aux alouettes en les bombardant d’événements dont ils vont pouvoir se repaître.