Atelier de philosophie plébéienne - Samedi 22 octobre 2022 - de la fabrication du Monstre : Machination·s
Gîte Le Closet Fertans (17-19 gde rue, 25330)
Atelier... cela veut dire un essai d’abandon de l’autorité du maître et de la posture d’élève au profit d’une tentative de production en commun.
Centre de Réflexion et de Documentation sur les Philosophies Plébéiennes de l’association « Voyons où la philo mène... »
Jeux de glaces et galeries des horreurs (de la fabrication du Monstre : Machination·s, deuxième épisode)
Argumentaire :
À nos seuls risques et périls, cela va de soi, et à quelques jours à peine d’Halloween, nous allons tenter de cheminer du côté de l’abîme et des forces obscures ; prenant appui sur notre précédent atelier (le palpitant épisode des machinations-paranos), nous tracerons une ligne de suite vers une chambre noire et opaque, là où personne ne vous entendra crier. C’est là que se nouera un drôle de drame ; une Murder Party de pensée. Car dans ce noir profond, nous ferons, en infra-rouge (sang), un contre-zoom*, pour nous focaliser sur une figure du Mal des plus spécifiques : celle du Serial Killer, ou tueur en série – mais le choix de la langue a ici toute son importance.
Jeu d’optique s’il en est – tant la fabrication de nos légendes contemporaines est inséparable d’une autre fabrique, celle des temps dits modernes, industriels, de la reproductibilité technique, de la prolifération des images, du narcissisme et des miroirs, des médias, du cinéma… – et jeu de… pistes, tout à la fois : dans ce labo, fermé de l’intérieur et à double tour, nous développerons ensemble la photo, impatients de sa révélation comme la redoutant, car frissonnant d’y reconnaître, peut-être, dans un infime détail, quoi-que-qui dans un parc désert ou, dans le fleuve massif de la foule, qui-que-quoi tout flou et presque informe, qui sait ? notre propre visage…
Serait-ce là notre ultime cauchemar : celui d’un livre, d’une métaphysique, d’une banalisation ou pire d’une dé-banalisation, ou encore d’un film potentiel dont nous serions tous et toutes les protagonistes possibles, bourreaux ou victimes ? « De l’assassinat considéré comme œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique » en quelque sorte ? Âmes sensibles s’abstenir… ou pas !
*Le contre-zoom, ou travelling compensé (ou contrarié) est un effet cinématographique reposant sur la simultanéité d’un zoom arrière et d’un travelling avant – ou le contraire. (voir : Vertigo / Sueurs froides, Hitchcok, 1958)
9h Accueil
9h30 - 11h30 « Murder Park ou le frisson de l’homme blanc » Marco Candore
« Je » étant plusieurs autres, c’est par un cheminement diachronique et profane que nous explorerons quelques territoires-terriers, châteaux gothiques ou dômes high-tech du grand bazar des « beaux-arts » de l’assassinat sériel : des antres et des écrans, des « histoires vraies » et des fictions, toute une chimie/gastronomie/taxinomie aux ingrédients de Capital (colonial, impérial et d’industrie), de collections, de héros et de super-héros… Un Murder Park où s’épanouit le statut ambigu du lecteur-spectateur-consommateur dopé et addict au frisson de la chasse, aux jeux de codes et de masques, flattant et encourageant impunément, par procuration, voyeurisme et confortable sadisme soft.
Par le cinéma, la littérature et les coupures de presse, nous reviendrons sur les incontournables du crime en série – affaires des pères fondateurs en somme – pour esquisser un tableau, de mises en scène, d’espaces et de lieux où se superposent, intriqués, le regard, le pouvoir, les flux et les images.
Car au-delà d’une image biface de « monstre » (un Jack From Hell ennemi public invisible, insaisissable, façon Janus et Hyde) « petites » histoires de faits-divers et grande Histoire des grandes boucheries n’écrivent-elles pas, à l’instar de la machine de la Colonie pénitentiaire, le modus operandi d’un récit conjoint, dans lequel la violence ne saurait se penser sans interroger sa place et sa fonction dans les rapports de production et de domination ?
Apéro puis repas
14h - 16h « Le serial et le banal : banalisation et dé-banalisation du mal avec Arendt et Lang » Orgest Azizaj
En rendant compte du procès d’Eichmann (l’organisateur de l’infrastructure de la Solution finale), procès tenu à Jérusalem en 1962, après sa capture en Argentine par les services secrets israéliens, Hannah Arendt a jeté un pavé dans la mare de la philosophie morale et politique en parlant de « banalité du mal ». Ce concept, si c’en en est un, cette arme ou outil, cette espèce de canif conceptuel fabriqué pour ses besoins polémiques est resté depuis un héritage indigéré et peut-être indigeste de la philosophie, tout en étant un “objet” de fascination. Mais, est-il aussi, ou peut-il être un antidote, destiné à prévenir toute fascination envers le mal et ses figures ?
Cette hypothèse, qu’on peut essayer d’explorer, rejoint peut-être une autre : celle d’un cheminement semblable du cinéma de Fritz Lang, et de sa propre fascination pour le mal et le crime, de part et d’autre du crime nazi (avant et après la 2ème Guerre) et de l’Atlantique (entre l’Allemagne et Hollywood). De M le maudit à While the city sleeps, du procès populaire et politique du tueur pédophile, à la captation littéralement médiatique de l’incolore tueur en série et “mama boy”, une même dynamique de banalisation du mal semble être en œuvre.
Arendt et Lang ont-ils raté leur coup ? Le spectacle et le consumérisme opèrent/ils une dé-banalisation du mal, une re-fascination pour ses figures et leurs nouvelles profondeurs ?
16h30 - 18h30 « Les miroirs du Mal » Philippe Roy
Y aurait-il un rapport entre le Mal et le narcissisme ? Des psychiatres actuels l’associent au Mal pour analyser le passage à l’acte de tueurs en série en évoquant, entre autres, une orgie narcissique (Daniel Zagury). Pour Freud, narcissisme et pulsion de mort peuvent se confondre dans le Mal. « Là où la pulsion de mort survient sans visée sexuelle, y compris dans la rage de destruction la plus aveugle, on ne peut méconnaître que sa satisfaction est connectée à une jouissance narcissique extraordinairement élevée, du fait qu’elle fait voir au moi ses anciens souhaits de toute-puissance accomplis. » (Freud, Le malaise dans la culture) Bien plus, dans ce puissant essai de Schelling que sont ses Recherches philosophiques sur l’essence de la liberté humaine le philosophe montre que notre libre disposition au Mal s’appuie sur la passion pour notre volonté particulière et prend donc la forme d’une domination de notre amour-propre. Or, cette disposition est fondée métaphysiquement dans l’Être, elle est donc une possibilité pour tout homme et n’est pas seulement une caractérisation psychologique réservée à certains.
Cette disposition n’est-elle pas accentuée dans et par nos sociétés ? La lumière vide du narcissisme se propage par tous les miroirs que sont nos écrans, nos regards, nos désirs, nos dirigeants et nos politiques. Les eaux glacées du calcul égoïste sont de plus en plus subordonnées aux glaces du narcissisme. Les tueurs en série ne sont-ils pas les miroirs de nos sociétés, leurs sombres héros ? Eux-mêmes peuvent devenir le miroir incitant les passages à l’acte d’autres tueurs ? (Sérialité des tueurs en série…). C’est ce que montre bien le film visionnaire de 1995 d’Oliver Stone Natural Born Killers (Tueurs nés) qui met l’accent sur cette multiplication des miroirs-écrans des tueurs-héros. Malheureusement, ce film prouvera sa thèse en rendant possible le passage à l’acte d’un couple de tueurs...
Le narcissisme va-t-il continuer à nous vider, à nous tuer ou ne faudrait-il pas retrouver ce narcissisme maintenant trop enfoui qu’avaient en vue des philosophes comme Spinoza ? narcissisme de la Nature que nous pouvons éprouver et qui fait dire au philosophe : « L’Amour intellectuel de l’Esprit envers Dieu est l’Amour même dont Dieu s’aime lui-même. » Dieu c’est-à-dire la Nature. Deleuze, faisant écho à Plotin, pouvait affirmer joyeusement que le narcissisme est « le remplissement d’une image de soi quand on contemple autre chose […] Il y a une béatitude de la synthèse passive ; et nous sommes tous Narcisse par le plaisir que nous éprouvons en contemplant (autosatisfaction) bien que nous contemplions autre chose que nous-mêmes ». Comment avons-nous pu perdre de vue (de vie) ce narcissisme primaire et croire avec Freud qu’il ne renvoie pour nous qu’à notre petite enfance ?...
19h Apéro puis repas
Inscription obligatoire avant le samedi 15 octobre
Tarif de la journée (interventions + repas midi, boissons comprises) : 35 € (25 € chômeurs, étudiants). Sans le repas du midi : 15 € par demi-journée.
Possibilité d’hébergement au gîte "Le closet" de Fertans. Repas du soir au gîte : 10 €. Nuitée du samedi : 20€. Week-end complet (avec repas et nuitée du vendredi soir) : 85 €.
Inscription et renseignements :
crdpp25@gmail.com ou Philippe Roy 06 51 38 43 45 http://reseau.philoplebe.lautre.net/