Les chiens des rues d’Istanbul Récit d’une cohabitation urbaine homme/animal

, par Catherine Pinguet


Intervention à la rencontre de Fertans des 21 et 22 octobre 2017, "Faire la bête. La fabrique humaine des animaux"

Article publié en anglais et en turc dans le livre/catalogue de l’exposition :
The Four-Legged Municipality – Street Dogs of Istanbul
Istanbul Research Institute
2016
Illustrations : Collection Pierre de Gigord

Parmi les animaux qui peuplaient les rues d’Istanbul, les chiens, contrairement aux chats pourtant tout aussi nombreux, ont été abondamment photographiés par les voyageurs occidentaux, comme par les photographes locaux, soucieux d’accroitre leurs bénéfices en répondant aux attentes d’une clientèle étrangère. Le phénomène s’est accru lors de l’apparition de la carte postale, qui suscita rapidement un véritable engouement, avec des séries numérotées réservées aux chiens. En regardant celles-ci, ou encore en parcourant l’ouvrage en trois volumes de Mert Sandalcı consacré aux cartes postales de Max Fruchtermann, on constate que par le biais de ces « toutous », des voyageurs déclinaient leurs amitiés et leur « bon souvenir » sous des formes diverses et variées. D’autres déclaraient leur flamme avec une prédilection pour le mot « caresse ». [1] Les photographies de chiens paisiblement couchés suscitaient des commentaires sur les bienfaits du farniente, le fameux kief oriental, parmi tant d’autres clichés. La palme de l’image la plus copiée, différemment coloriée et retouchée, a été remportée par le studio Abdullah Frères. Il s’agit d’un chiffonnier entouré d’un groupe de chiens, des concurrents aux yeux de certains, des compagnons d’infortune pour d’autres. Cette photographie a d’ailleurs eu droit à la couverture d’un hebdomadaire français, le 12 janvier 1902, accompagné d’un article où il est indiqué que le chiffonnier vit en bons termes avec les chiens, « les seigneurs du pavé », « que le bonhomme est de la maison », glanant lui aussi de quoi survivre dans des « cloaques » et des quartiers où « règne une odeur à faire fuir un chacal ». [2]

Carte postale publicitaire pour les problèmes respiratoires

Chiens nuisibles et Aristochiens

Les raisons de ce « succès », le plus souvent exercé au détriment de l’animal, s’expliquent au regard des mesures prises dans les villes occidentales durant la seconde moitié du 19e siècle, à savoir l’élimination des chiens errants. Les seuls dorénavant autorisés à battre le pavé étaient des chiens dûment déclarés par leurs maîtres, ces derniers de surcroît obligés, sous peine d’amende ou d’envoi de leurs chiens à la fourrière, de veiller à ne pas les laisser vagabonder. Pour reprendre la formule du préfet de police de Paris, il s’agissait pour l’administration de tirer de leur détresse ces « parias », aussi laids que faméliques, « en les plongeant dans l’infini ». [3] C’est ainsi que les chiens errants disparurent de l’espace urbain européen et que le « spectacle » des chiens d’Istanbul gagna en pittoresque : « On n’imagine pas plus Constantinople sans chiens, d’après le Dr Camille Allard, que le désert sans chameaux ou une rue de Paris sans portraits photographiques. » Et d’ajouter : « Mais on ne peut pas nier que le pittoresque turc fatigue promptement, comme tout ce qui est exagéré. » [4] Les premiers guides touristiques, qui n’ont d’ailleurs pas manqué de les mentionner, classaient ces chiens tantôt à la rubrique « nuisance », tantôt à celle « curiosité ». [5]
L’aspect couleur locale était d’autant plus prononcé qu’en Europe, tandis que des chiens étaient considérés nuisibles, d’autres suscitaient des passions jusqu’alors inédites, comme le démontrent les premières expositions canines. Ces happy few étaient bien entendu dotés d’un pedigree en bonne et due forme car on se souciait dorénavant de la généalogie de l’animal, de la pureté de sa race, ceci dans le droit fil de considérations sur les races humaines. Ces spéculations, en pleine colonisation, ont donné lieu à l’exhibition de « spécimens » de peuples « exotiques » dans des espaces d’ordinaire réservés aux animaux, les jardins d’acclimatation, faisant office de zoos humains. [6] Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que des photographies dites « types », censées rendre compte de la diversité ethnique et religieuse ottomane, aient été particulièrement recherchées (parmi lesquelles Turcs, Circassiens, Kurdes, Albanais, Arméniens, hommes et femmes confondus, qui ont fourni matière à d’innombrables reconstitutions et mises en scène).

Le souci de classifier en races, de remonter aux origines, s’est bien évidemment étendu aux chiens d’Istanbul, malgré leur statut peu enviable de bâtard, donnant lieu à des thèses plus ou moins savantes, voire totalement farfelues : analogies avec les chiens d’Australie, croisement à expliquer en « remontant purement et simplement aux croisades ». [7] Car par-delà les multiples photographies, ces chiens ont surtout fait couler beaucoup d’encre. Comme le rappelle Paul de Régla dans Les Bas-fonds de Constantinople, ne dérogeant pas à la règle : « Il n’est pas d’auteurs ayant écrit sur Constantinople qui ne se soient cru dans la nécessité de consacrer quelques lignes à ces braves bêtes. » [8] Certains s’efforcent de se démarquer, tel Gaston des Godins de Souhesmes qui a vécu à Istanbul et écrit un guide de la ville. Pas question pour lui d’être associé aux « touristes qui ont discouru injustement au sujet des chiens, faute d’avoir suffisamment voisiné avec ses intéressants quadrupèdes ». [9] Le chapitre qu’il leur consacre n’a toutefois rien d’original, composé surtout d’emprunts à Paul de Régla, pseudonyme du Dr Desjardins qui avait ouvert un centre d’hydrothérapie à Kadiköy, lequel cite son « illustre confrère », le Dr Mavroyéni Pacha. La plupart des étrangers de passage, dont Mark Twain, considéraient que ces chiens galeux et pleins de puces (mangy and flee ridden street dogs) ne devaient leur survie, jugée le plus souvent déplorable, qu’en raison de la tâche qui était la leur (their official position), celle d’éboueurs et de charognards (scavengers of the city). Twain semble toutefois sincère quand il évoque la souffrance de certains chiens, y compris dans son journal, souffrance bien réelle dans bien des cas, qu’évitaient soigneusement d’immortaliser les photographes : « De ma vie, je n’ai jamais vu des roquets aussi misérables, affamés, tristes, avec un air aussi désespéré. » (I never saw such utterly wretched, starving, sad-visaged, broken-hearted looking curs in my life). [10]
Anonyme, chiens des rues, plaque de verre stéréoscopique, début 20e siècle

Cette réalité, trop souvent occultée, vient mettre à mal une vision idyllique de la capitale ottomane, autrement dit le parti-pris d’un regard nostalgique sur le passé largement mythifié, avec les simplifications et les déformations que cela suppose. Or, la cohabitation entre les citadins et certains animaux, en l’occurrence le chien, qui passe pour le meilleur ami de l’homme, est tout sauf simple. La question s’avère même à tel point complexe, n’en déplaise aux tenants d’un anthropocentrisme forcené, qu’elle permet de multiples approches. Celles qui prévalent encore largement, tributaires de formations en sciences humaines, s’intéressent moins à l’animal en tant que tel qu’aux représentations, aux discours et aux pratiques des hommes vis-à-vis de ce dernier. Il est incontestable que l’homme a un pouvoir de décision qui n’est pas réciproque, que le sort de l’animal dépend de l’homme, a fortiori dans le contexte d’animaux urbains. Cet aspect ne peut être passé sous silence, mais il convient aussi de se pencher sur ces chiens des rues en question, comme sujets à part entière, qui n’entrent dans aucune catégorie classique, rendant caduque la dichotomie qui oppose d’ordinaire l’animal sauvage à celui domestique.
Pour ce faire, il convient de se pencher sur les écrits de ceux qui ont observé les chiens des rues ou qui ont consigné des remarques offrant matière à réflexion, et il se trouve qu’il s’agit de deux médecins : Spyridon Mavroyéni (1817-1902) et Paul Remlinger (1871-1964). Le premier a occupé pendant un quart de siècle un des postes les plus élevés dans la hiérarchie médicale ottomane. Médecin privé du sultan Abdülhamid II, conseiller de celui-ci pour les questions sanitaires, notamment en cas d’épidémies et de maladies contagieuses, ce fut probablement Mavroyéni qui suggéra d’envoyer à Paris le Dr Zoeros (1842-1917) afin de s’informer des travaux de Pasteur. C’est à l’issu de ce séjour que fut fondé l’institut antirabique (Kuduz Enstitüsü), ainsi que l’Institut impérial de bactériologie (Bakteriylojihane-i Şahane), dont Paul Remlinger allait prendre la direction de 1900 à 1910. [11]
L’institut antirabique, carte postale, 2 novembre 1911

Considérations d’un cynophile enragé

Mavroyéni est l’auteur de Chiens et chats de bonne maison, en l’occurrence la sienne, texte d’abord publié dans la Gazette des hôpitaux, en 1893. Posséder un chien, ayant accès à l’habitation, était alors extrêmement rare à Istanbul, si ce n’est dans les couches supérieures de la société où certains s’inspiraient du modèle occidental en adoptant des chiens de race. Mavroyéni avait quant à lui jeté son dévolu sur les bouledogues, et plus encore les carlins (mops). Puis, en 1902, paraît en France, à titre posthume, un opuscule où sont réédités Chiens et chats de bonne maison, mais qui débute par Les Chiens errants de Constantinople, avec pour sous-titre prometteur, « Étude des mœurs canines ». [12] Les emprunts de Paul de Régla, que l’on retrouve dans la presse francophone de l’époque, attestent la circulation de cette brochure à la fin des années 1880, Mavroyéni l’offrant volontiers à certains de ses collègues et amis.
L’extrait le plus souvent cité est celui d’un chien estropié, qu’un médecin cynophile aurait soigné, et chez qui l’animal, un an plus tard, aurait conduit un de ses congénères pareillement blessé. L’anecdote est plausible, le chien pouvant très bien associer sa souffrance, sa guérison, à la personne et au lieu adéquat. En d’autres termes, le chien a fait preuve d’intelligence, il est sensible à la douleur (ce que de bon cartésiens niaient en bloc, notamment lors d’expérimentations), il est capable d’empathie et est doté d’un sens de l’entraide. Ce récit nous apprend également qu’il s’agissait non pas d’un vétérinaire, mais d’un docteur, qui pour soigner une fracture du tibia a utilisé le même traitement que pour des êtres humains, un bandage dextriné. Le détail a son importance étant donné qu’à Istanbul, comme dans les grandes villes d’Europe, les écoles vétérinaires n’avaient pas pour vocation de soigner les chiens, ni les chats d’ailleurs, mais les animaux de rente et plus encore les chevaux, surtout ceux utilisés par l’armée. [13]
Journaliste ottoman à sa table de travail, ca. 1900

L’étude des mœurs canines du Dr Mavroyéni, « cynophile enragé » auto-proclamé, n’est pas sans poser de sérieux problèmes, surtout quand évoquant une tentative d’expédier les chiens sur une île déserte, sous le règne de Mahmud II (1808-1839), il ne s’autorise pas la moindre critique. De même, lors d’une seule allusion aux mauvais traitements réservés aux chiens dans les quartiers chrétiens, surtout Péra, il se garde bien de dire que les chiens y étaient régulièrement empoisonnés. En fait, Mavroyéni idéalise l’existence de ces chiens qu’il humanise constamment, parti-pris d’autant plus surprenant qu’il avait présenté au sultan Abdülhamid un rapport sur l’hygiène publique, « remarquable » aux dires de Ch. Delmas, qui en rédigea un à son tour, « dans lequel S. Mavroyéni avait fait ressortir le danger que représentent les quartiers insalubres pour la santé publique ». [14] On comprend dès lors que son éloge unanime des chiens, pour le moins contraire à ce que professait le corps médical, n’ait pas paru dans les revues scientifiques où Mavroyéni avait pour habitude de publier ses travaux.
Son opuscule, malgré les réserves qui précèdent, n’est pas dépourvu d’intérêt, surtout quand la cohabitation chiens/citadins n’est plus envisagée d’un point de vue strictement utilitaire, c’est-à-dire en fonction des seuls besoins humains que les animaux sont censés satisfaire. Leur mode d’alimentation et leurs conditions de survie dépendaient effectivement de la distribution de nourriture et d’une quantité suffisante de déchets, d’autant plus vrai que le chien des rues d’Istanbul, contrairement au chat, ne chassaient pas, pas plus qu’il n’était enclin à voler la nourriture. Mais Mavroyéni, pour qui la relation homme/animal repose également sur la complémentarité, les échanges mutuels et une forme d’attachement, rappelle à juste titre que les chiens d’Istanbul, à l’instar de ceux d’Europe, auraient pu être utilisés à bien d’autres tâches, comme chiens de trait notamment, « mais les hommes d’ici ne leur ont pas imposé les différents services dont ils sont capables ».

Un touriste anglais, T. Wild, qui au début du 20e siècle s’est rendu à Constantinople à bord de l’Orient-Express, débute son « Photograms of an Eastern Trip » par trois vues de Bruxelles donnant à voir des chiens muselés tirant d’imposantes charrettes – pratique bannie à Londres, mais courante ailleurs, y compris en temps de guerre. Gaston des Godins de Souhesmes, citant le Dr Mavroyéni selon lequel les chiens des rues sont intelligents, dociles, industrieux, sociables, perfectibles, capables de rendre de nombreux services, s’étonne que « l’armée turque n’ait pas eu l’idée de les utiliser en les dressant ». [15]
T. Wild, Grande Rue de Péra, 1900-1910. L’hôpital français (à droite), l’actuel consulat de France

Une thèse de doctorat, Le chien de Constantinople. Son utilisation comme chien de guerre et sanitaire dans l’armée turque, soutenue à Paris, en 1932, par le capitaine Hikmet Chakir, le laisserait entendre. Le titre s’avère toutefois largement mensonger et les explications contradictoires. Au chapitre, « Le chien dans l’armée turque », il est écrit que durant la Première Guerre mondiale, à la frontière russe principalement (jury de thèse oblige), le chien aurait servi à la fois à rechercher les blessés et à démasquer les espions. Tout aussi incohérente, l’allégation selon laquelle, durant la guerre turco-grecque de 1919, les chiens de Constantinople auraient suivi silencieusement l’ennemi pour mieux l’attaquer, sans le moindre grognement. Plus sérieusement, dix ans plus tard, nommé vétérinaire du 5e corps d’armée à Konya, Hikmet Chakir écrit avoir créé un petit chenil au dressage et rédigé l’année suivante un modeste ouvrage, « unique dans l’armée turque », Harp ve Sihhye Köpekleri. Du chien de Constantinople en tant que tel, il est très peu question, si ce n’est au sujet de son origine supposée (d’Asie centrale affirme le capitaine Chakir) et concernant sa proposition de créer en Turquie une société de zootechnie afin d’améliorer la race, d’en faire un chien de guerre performant, à partir de croisement avec des bergers allemands. Sa conclusion se passe de commentaire : « Aujourd’hui, dans l’armée turque, l’organisation du chien de guerre n’existe que théoriquement. Je peux même affirmer que les essais de dressage tentés par quelques officiers cynophiles ne sont que des travaux rudimentaires, qui ne reçoivent aucun encouragement. L’ignorance, de la part des détracteurs, est assez grave ». [16]

Hygiène et salubrité publique

L’autre médecin, dont on pourrait s’étonner qu’il se soit intéressé aux chiens des rues en dehors de ses travaux sur la rage, est le docteur Paul Remlinger. En 1910, il publie dans la revue L’hygiène générale et appliquée un article intitulé « La Décanisation de Constantinople » – mot forgé à partir de dératisation auquel il octroie une majuscule. En guise d’introduction, le Dr Remlinger, comme le Dr Mavroyéni deux décennies plus tôt, minimise le danger de la rage. Ces observations sont à prendre au sérieux, le spectre de la rage ayant été brandi en Europe pour précipiter l’extermination de chiens errants ou jugés indésirables. Un adage français exprime d’ailleurs ce raccourci aussi pratique qu’efficace : « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ». Pour expliquer « le curieux paradoxe » que constitue la rareté de cette maladie dans la capitale ottomane, Remlinger, excluant toute forme d’immunité, avance l’argument de mœurs particulières, c’est-à-dire d’une stricte répartition en groupes distincts et d’un « instinct subtil » portant ces chiens à fuir l’animal atteint de la maladie, formant autour de lui « un véritable cordon sanitaire ».

Voyageurs européens au port de Karaköy et chiens dans une rue de Galata
Photographies prises lors d’une croisière en Méditerranée, février-avril 1910

D’un point de vue hygiénique, Remlinger attribue aux chiens qui « infestent » les rues trois méfaits : les kystes hydatique (maladie parasitaire due aux œufs de ténia), la tuberculose (des phtisiques jetant à la voirie des restes que les chiens engloutissent) et la gale (infection cutanée mal déterminée). Outre ces maladies transmissibles à l’homme, il reproche aux chiens d’être un obstacle permanent à la propreté de la ville, de souiller la chaussée de restes d’ordures ménagères et d’excréments chargés de parasites divers. Pour faire « œuvre de salubrité publique », Remlinger rejette des procédés déjà employés ou planifiés tels que l’empoisonnement à la strychnine, la déportation au large de la ville, la destruction des portées ou encore la castration des mâles. Compte tenu de « l’extrême indigence des finances municipales », il défend un projet rentable, le plus discret possible compte tenu de l’attitude hostile d’une partie de la population, surtout des « classes pauvres que des croyances conduisent à protéger l’animal faible et sans défense ». Aussi en vient-il à proposer de donner, après adjudication, la « décanisation » à un concessionnaire qui procéderait de la manière suivante : les chiens, capturés à la nuit tombée, seraient expédiés dans des clos d’équarrissage répartis en une dizaine de points, à la périphérie de la ville, chacun comprenant une chambre reliée à la canalisation du gaz de ville et des ateliers de dépècement. Avec une moyenne de cent chiens éradiqués par jour, en l’espace de deux mois, la décanisation serait achevé et celle-ci rapporterait à la municipalité un bénéfice avoisinant les 250.000 francs. Son projet lui semble tellement performant, que Remlinger conclut son article en proposant de « l’étendre aux autres villes de l’Empire ottoman qui, toutes, possèdent leur contingent de chiens errants ». [17]

Chambres à gaz et recyclage des cadavres

Que Paul Remlinger, plus de deux décennies plus tard, ait défendu son projet, le jugeant « moins barbare » que l’extermination au large d’Istanbul, laisse pour le moins perplexe. Mais voilà, ce dernier n’avait rien inventé. Comme le souligne Scott Christianson dans son ouvrage sur les chambres à gaz dans les prisons américaines, il semble difficile de concevoir, après les camps d’extermination nazis, que ce procédé ait débuté sous forme de « grand but practical utopian idea » [18], les bienfaits du gaz conçus comme symbole de modernité, ses vertus désinfectantes vantées par les services d’hygiène. En France, d’où était originaire le Dr Remlinger, un premier prototype de chambre d’asphyxie est présenté à l’Exposition Universelle de 1878, à la demande de la Société Protectrice des Animaux. Son objectif : mettre fin à l’abattage de chiens errants par des méthodes aussi « barbares » que la noyade et la pendaison, de cesser de recourir aux coups de massue et à l’assommement à la machette, fendant la boîte crânienne, « provoquant une mort brusque et sans douleur, mais un peu sanglante ». [19] Louis Andrieux, préfet de police à Paris de 1879 à 1881, précédemment cité, se félicite dans ses mémoires d’un procédé mis au point par un médecin, membre du conseil d’hygiène, afin « d’éliminer les êtres nuisibles dont la société est forcée de requérir le trépas ». Le procédé en question est une caisse à barreaux, montée sur roue et roulant sur rails, où les chiens, enfermés par trente ou quarante à la fois, sont conduits dans une chambre hermétiquement fermée, remplie de gaz, provoquant une agonie estimée à 10 ou 15 minutes. Louis Andrieux est tellement convaincu de l’efficacité du procédé dans « la douceur du trépas » qu’il propose d’en faire « profiter les bipèdes » dont « la destruction est nécessaire ». Au nom de la compassion, d’un souci d’adoucir les derniers instants, « pourquoi ne pas remplacer la guillotine par l’anesthésie ? » [20] C’est précisément ce que l’administration pénitentiaire américaine mettra en œuvre, dès 1924, et ce jusqu’en 1999, en brandissant des arguments similaires : euthanasie indolore (painless euthanasia), mieux et plus performant que les horribles pendaisons et la chaise électrique (better than the gruesome hanging and the electric chair). Là encore, les chiens et les chats errants ont précédé les êtres humains, l’Animal Rescue League de Boston ayant innové, en 1912, en introduisant les cages à électrocution : « absolutely nothing repulsive about it, unaccompagnied by any fear and pain », « animals perfectly confortable » ! Pour preuve, c’est bien connu, le recours au sacro-saint rapport d’experts : « the apparatus tested by many scientific and professional men has received their unquailed approval ». [21]
En Angleterre, les exterminations de chiens errants au gaz ont débuté en 1884, à l’association Dogs’ Home, pour laquelle Benjamin Ward Richardson (1828-1896), pionnier de l’anesthésiologie, mit au point une chambre à gaz (lethal chamber) afin d’éliminer « humainement » (humanly) et sans « douleur » (painless) des animaux « inférieurs » (lower animals). Précisons que cet éminent médecin britannique, qui occupa la première chaire d’hygiène publique, se réclamait d’Edwin Chadwick (1800-1890), dont il avait suivi les travaux sur la situation sanitaire de la population ouvrière, et que Chadwick se réclamait quant à lui du philosophe et réformateur Jeremy Bentham (1748-1832), l’auteur de cette phrase célèbre sur les animaux : « La question n’est pas peuvent-il penser et peuvent-ils parler ? Mais peuvent-ils souffrir ? ». [22] Cette filiation peut expliquer l’intérêt de Ward Richardson pour la mise à mort d’animaux errants, ainsi que pour celle d’animaux dans les abattoirs. Toujours est-il que même pavée des meilleures intentions, son invention a encouragé une mise à mort industrielle, ce dont il ne s’est d’ailleurs pas caché, fournissant le chiffre de 200 à 250 chiens errants ou abandonnés tués par semaine, et expliquant lors d’une conférence s’efforcer de mettre au point des « substances cheapest, more adaptable, more certain in action to carry out lethal death on the large scale ». [23]
Dogs’ Home à Battersea, Ilustrated London News, 2 janvier 1886

La proposition du Dr Remlinger de tirer bénéfice des cadavres n’avait également rien d’inédite. Le Dogs’ Home de Battersea était doté d’un four crématoire, mais les fourrières françaises se montrèrent plus pragmatiques en recourant à l’équarrissage, surtout après 1880-1890, quand l’hippophagie, tabou dans les pays anglo-saxons, s’est développée et que les chiens ont fait office de « nouveaux clients ». Il fallait aussi « rentabiliser l’industrialisation des procédés, avec la mise au point d’appareils stérilisateurs et dessiccateurs, d’autoclaves cuisant puis desséchant les cadavres afin de fabriquer des engrais, ou bien des viandes desséchées à destination de porcs, volailles, chiens, bien avant nos farines animales ». [24] En 1911, peut-on lire dans un ouvrage très détaillé sur l’abattage des chiens dans diverses villes d’Europe, le prix d’achat d’un cadavre à la fourrière était de 0,50 à 1 franc pièce, soit beaucoup moins que la valeur marchande estimée par le Dr Remlinger, 3 ou 4 francs. [25] Il faut dire que ce dernier entendait tirer profit de sa peau, ses poils, ses os, sa graisse, mais également de ses matières albuminoïdes et de ses intestins !

Quand les chiens défraient la chronique, 1909-1910

Peu de temps avant l’extermination des chiens d’Istanbul sur l’îlot d’Oxia (Sivriada), des bruits ont circulé dans la presse sur les profits que pouvaient engendrer l’opération. Une chanson a même été composée, jouant sur le rapprochement entre « chien » et « autrichien », publiée dans le journal satirique Kalem :

Paraît qu’pour boucler son budget
La municipalité a fait l’projet
De ramasser tous les cabots
Et de les vendre pour … leur peau
……..
On nous apprend que l’acheteur
Arrive d’Autriche, ce qui prouve sans erreur
Qu’on est trompé par les siens
Car l’acheteur est un Autr’chien !!! [26]

Un missionnaire, P. Colomban, qui enseignait à Istanbul, rapporte que « dès 1909, plusieurs projets furent présentés, plus beaux les uns que les autres, des étrangers proposant même d’acheter les chiens pour les transformer en je ne sais quels produits chimiques ». [27] Lors de l’extermination au large d’Istanbul, un correspondant de l’agence Reuter, qui prétend s’être rendu sur place, n’hésite pas à affirmer dans un journal australien qu’un « Français y a installé une usine pour extraire les os et les exporter avec les peaux en Europe ». [28] Un journaliste local confirme et précise que « l’exploitation de ce modeste français ne fut guère rentable », en raison des frais de combustibles et du transport difficile par ces temps de choléra. [29] Oxia/Sivriada n’est pas « a well-wooded little island, picturesquely situated », comme l’ont prétendu des correspondants étrangers, mais un simple rocher escarpé, sans végétation, qui a abrité un monastère – le byzantiniste Raymond Janin s’est d’ailleurs étonné qu’il y ait eu possibilité pour des hommes de vivre dans un lieu aussi hostile. [30]
Une telle entreprise de recyclage a-t-elle existé ? C’est peu probable, compte tenu du lieu excentré, et plus encore de l’aval nécessaire des autorités. L’expérience de Remlinger le prouve, son projet d’éradication rejeté par le conseil d’hygiène au prétexte qu’il aurait pu réclamer 10% des bénéfices. En revanche, qu’un étranger ait eu l’idée de tirer profit de l’hécatombe n’est pas exclu. En France, lors de l’instauration d’une taxe sur le chien, le nombre de cadavres avait été tel (les propriétaires se débarrassant de leur animal pour ne pas payer l’impôt ou par crainte de portée) que les mégisseries s’étaient reconverties en gants en peau de chien. Et d’après le Dr Remlinger, toujours attentif à l’aspect économique : « Chaque année, Constantinople exporte dans la seule Amérique, pour les besoins de l’industrie gantière, 12 000 sacs d’excréments de 60 kilos chacun, les 100 kilos payés 35 francs. Près d’un millier de personnes, ramasseurs et grossistes, vivent à Constantinople de ce petit commerce. » [31] Une destination aussi lointaine que l’Amérique laisse songeur et si la collecte de crottes de chien existait bel et bien en Europe, les excréments vendus à des tanneurs qui les utilisaient dans des bains afin d’assouplir et de blanchir les peaux, il est étonnant qu’une activité si pittoresque, et à tel point répandue aux dires de Remlinger, n’ait fait l’objet d’aucune photographie à Istanbul.

Le qualificatif turc « başıboş » (libre, indépendant, n’en faisant qu’à sa tête) appliqué aux chiens des rues comme aux démunis, a fortiori aux sans-abri, participe à la folklorisation d’une existence conçue aux antipodes « d’une vie de chien ». Concernant les mendiants, Mavroyéni a prétendu qu’à l’instar des chiens, ils menaient une « vie de bohème », vivaient de « la charité publique qui pourvoyait largement à leur besoin, sans les humilier ». Pourtant, de nombreux chiens étaient affamés, comme le prouvent « les corps étrangers, bouts de pierre, bois et brique » que le Dr Remlinger écrit avoir régulièrement trouvé dans leur estomac lors d’autopsies. De plus, la mendicité et le vagabondage constituaient pour le sultan Abdülhamid une menace potentielle à l’ordre public, ainsi qu’une atteinte à l’image « moderne » de l’Empire qu’il s’efforçait de montrer au monde extérieur. À titre d’exemple, un article du journal Sabah, déplorant des photographies de mendiants prises par des touristes sur le pont de Galata, a conduit le ministère de l’Intérieur à s’atteler au problème. [32]
Anonyme, Mendiants et chien sur le pont de Galata
« Le musée des horreurs », début 20e siècle

Dès leur arrivée au pouvoir, les Jeunes Turcs ont systématisé le contrôle et la répression de ces catégories sociales en promulguant, dès le printemps 1909, après d’âpres débats au Parlement, une « loi sur les vagabonds et les criminels potentiels » (Serseri ve mazanne-i sû’olan eşhâs hakkında kanûn). [33] Cette volonté politique de surveiller et de réprimer des individus « à risque », dont les activités étaient jugées suspectes et/ou obsolètes, allait bien entendu de pair avec des préoccupations d’ordre et d’hygiène. Il s’agissait d’assainir les rues de la ville, d’instaurer la sécurité et de veiller au respect des bonnes mœurs en renforçant la lutte contre les « déviants » et « les mauvais pauvres » (vagabonds, « paresseux impénitents », qui aggravaient leur cas en mendiant). Il suffit de lire la presse de l’époque pour constater combien des individus, souvent regroupés en corporation, ne cessaient d’être stigmatisés : portefaix (hamal), pompiers volontaires (tulumbacı), veilleurs de nuit (bekçi) qualifiés de « tapageurs », associés aux chiens, les uns comme les autres coupables de désordres urbains auxquels l’Etat et la municipalité étaient appelés à remédier. [34] Ces hommes, ainsi que les gardiens (kapıcı) qui en fin de journée ramassaient les ordures ménagères dans des boîtes en fer-blanc (teneke) dont le contenu était déversé sur le pavé, ou encore les bouchers, dont les étals se dressaient sur des marchés, étaient ceux qui côtoyaient le plus les chiens et connaissaient le mieux leur mode de vie.
Boucher en plein air, fin 19e siècle

Comme l’avait signalé à demi-mots Mavroyéni, les chiens étaient persona non grata à Péra, quartier qui se voulait modèle en matière d’urbanisme et d’hygiène, mais où les déchets étaient cependant plus nombreux qu’ailleurs en raison d’immeubles à étages. Un article publié dans The Levant Herald & Eastern Express, signé par un certain Jon Pipéra, est représentatif de l’opinion qui prévalait dans le centre-ville européen. Le prétexte à ce billet d’humeur aurait été la rencontre avec un chien horriblement galeux, devant Galatasaray. En abrégeant les souffrances de « cette pourriture ambulante », avance le journaliste, ne ferait-on pas une « œuvre méritoire », et plus encore une « œuvre d’assainissement » ? Puisqu’il est défendu d’y toucher, poursuit-il, pourquoi ne pas créer une administration chargée de prendre soin d’eux, « ils en ont bigrement besoin », et pourquoi pas un hôpital pour chiens ?! Mais trêve de plaisanterie, cette « Causerie canine » vise à alerter l’Etat et la municipalité sur l’urgence, au nom de l’intérêt général et de la santé publique, de faire disparaître « ces bandes de chiens efflanqués, pelés et rabougris ». [35]
Dans les mois qui suivront, ce vœu sera exaucé, et le sombre épisode de « l’exil » des chiens (pour reprendre un euphémisme largement répandu) ne manquera pas d’être « immortalisé ». Contrairement à l’allégation du Dr Remlinger d’après lequel « personne n’osa fixer ces scènes d’horreur par la photographie », les images furent nombreuses, diffusées par le biais de cartes postales comme dans la presse. La photographie la plus souvent reproduite est celle signée Jean Weinberg, qui paraît dans le journal L’Illustration le 16 juillet 1910, similaire aux photographies publiées un mois plus tôt dans la revue Servet-i Fünun (Le Trésor des arts) et le 23 juillet dans The Illustrated London News en illustration d’un article intitulé, “A veritable isle of dogs : a canine devil’s island”. Tous ces clichés ont été pris au tout début de la déportation, les trois articles mentionnant deux hommes (visibles sur certaines images) chargés de puiser de l’eau dans un puits et de distribuer « une maigre pitance vers laquelle les chiens se ruent avec avidité, au point que les gardiens doivent les écarter à coups de bâtons ». [36] Nous ne savons pas qui avait été recruté pour une tâche aussi périlleuse, mais vraisemblablement s’agissait-il de la même catégorie d’hommes à laquelle avait été confiée la sale besogne de capturer les chiens : individus « appartenant à la lie de la population » selon le Dr Remlinger, « vagabonds, bohémiens et bandits » aux dires de Pierre Loti, « brutes sordides, terribles Kurdes à tête d’égorgeurs » d’après le caricaturiste Sem. [37]
Carte postale, « L’exil des chiens de Constantinople »

La presse étrangère révèle, sans grande surprise, que ce n’est pas tant l’éradication des chiens qui posait problème que le procédé choisi par les autorités jeunes-turques, lesquelles ne l’avaient toutefois pas inventé, mais qui passèrent à l’acte. De la part d’adeptes du positivisme, dont le pouvoir n’était plus d’essence religieuse, il ne fallait guère s’attendre à des états d’âme concernant la souffrance infligée à l’animal, ni à prêter une oreille attentive aux musulmans brandissant le spectre d’un châtiment divin. [38] Pour faire place nette, les autorités allèrent au plus simple et au plus pressé, laissant un temps entendre que les chiens étaient nourris au frais de l’Etat. Des Européens se sont chargés de démentir cette version, le plus connu d’entre eux étant le caricaturiste Sem, de son vrai nom Georges Goursat, qui s’est rendu sur place le 12 juillet 1910 et dont l’article, « Les chiens d’Oxia », parut le 15 octobre dans The Levant Herald & Eastern Express. Cet article sera réédité dans un recueil de textes, avec de légères modifications et des dessins, Sem comparant « l’île aux chiens » à « une sorte de Stromboli vomissant des plaintes et des râles », vision cauchemardesque qui, une dizaine d’années plus tard, lui soulevait encore le cœur. [39]
Sem, « L’île aux chiens », La Ronde de nuit, 1923

Dans The Illustrated London News, les récriminations ont débuté avant la déportation, lors du parcage des chiens aux portes de la ville, comme l’atteste la légende d’une photographie : « A canine enclosure on the Byzantine walls of Constantinople where 600 dogs (2 5000 chiens au total selon l’article) are piled into a space of 40 feet square for 3 weeks, which led to scenes of incredible suffering among the animals ». Le journaliste écrit espérer « that some more human method may be found than that which has been first adopted ». [40] Plus explicite encore, un article intitulé « Les parias de Constantinople », avec pour sous-titre, « Une nation sans pitié », dénonçant « une ignoble boucherie, indigne d’un peuple civilisé ». Le journaliste reconnaît qu’un « sacrifice s’imposait, comme toute ville moderne, la capitale ottomane aspirait à la propreté et à la netteté de ses rues ». Mais, interroge-t-il, « plutôt que d’exposer ces chiens aux affres de la faim et aux atrocités de la misère sur un îlot désert, n’eût-il pas été préférable de les faire mourir sans souffrance ? La science moderne est riche en moyens rapides ». [41]

Grande Rue de Pera, carte postale avec message manuscrit
« Récemment disparus », 6 août 1910

Un journaliste local n’entend pas s’embarrasser de ce type de considération. Il félicite chaleureusement la municipalité, « pressée par les plaintes des habitants, dont les journaux s’étaient fait les interprètes », d’avoir ordonné le transport des chiens à Oxia, puis leur hécatombe. Sa répulsion pour ces créatures est telle qu’il pousse la mauvaise foi jusqu’à prétendre que les chiens ont dédaigné le pain, préférant s’entredévorer ! « Ces malheureux qui ont intéressé le monde entier ont terminé leur existence à la manière d’un drame » poursuit-il, raillant « les quelques sentimentalistes » qui ont conté les souffrances des « exilés », sous-entendu des individus que la sensiblerie conduit à négliger les lois élémentaires d’hygiène publique et le bien-fondé des tendances progressistes du nouveau régime. [42]
L’expérience de l’îlot désert ne fut toutefois pas renouvelée, malgré le manque d’effet escompté. Le Dr Cemil Pacha, élu maire d’Istanbul en 1912, mentionne dans ses mémoires la présence d’environ 30 000 chiens lors de sa prise de fonction. Et il n’est pas peu fier d’assurer qu’ils ont été progressivement éliminés, sans préciser le procédé adopté, et que dans la foulée, les mendiants ramassés ont été conduits à Dârülaceze (Maison des pauvres), fondée en 1896 pour lutter contre la mendicité dans la capitale. [43] C’est également en 1912 qu’est créée la première Société Protectrices des Animaux (Istanbul Himâye-i Hayvânât Cemiyeti), comptant parmi ses membres honorifiques Tevfik Bey, qui avait précédé Cemil Pacha à la tête de la municipalité, et qui s’était félicité de l’extermination des chiens au large d’Istanbul. Son adhésion prouve qu’à l’instar de la protection animale à travers le monde, celle-ci n’est pas intégrale, mais sélective (des souffrances animales suscitent des réactions, d’autres pas). En d’autres termes, tous les animaux ne sont pas logés à la même enseigne, y compris au sein d’une même espèce, et les chiens en sont la meilleure illustration.

Flashback sur « ces braves chiens »

Vingt-deux ans après son article, « La Décanisation à Constantinople », le Dr Remlinger, dorénavant en poste à l’Institut Pasteur de Tanger, revient très longuement sur le dossier « chiens des rues » dans la revue Mercure de France. Il brosse dorénavant de ces derniers un portrait très flatteur, vantant leur solidarité, leur intelligence, leur respect de la propriété humaine, un amour maternel à toute épreuve, les stratagèmes déployés pour tisser des liens avec certaines personnes, y compris des marques de sympathie ne passant pas nécessairement par une récompense (nourriture, caresse). Remlinger reconnaît bien avoir quelques centaines de cadavres sur la conscience, besoins de la recherche obligent, et précise avoir toujours pris soin de prélever ses « sujets d’expérience » loin de l’institut antirabique, afin d’éviter tout litige avec certains habitants. Ce qui semble relever de l’aberration, et plus encore de la schizophrénie, n’a rien d’inédit, comme le souligne l’éthologue Marc Bekoff témoignant de l’attitude de scientifiques qui, en dehors de leurs travaux, peuvent attribuer volontiers aux animaux des facultés et des émotions qu’ils refuseront systématiquement à ces mêmes créatures sitôt franchies les portes de leur laboratoire. [44] Tel est le cas du Dr Remlinger, qui se laisse même aller à un anthropomorphisme démesuré, ne se contentant pas d’observer que les chiens ont leur propre langage (aboiements porteurs de signaux distinctifs), mais transcrivant un long dialogue canin ! Il faut dire qu’il s’adressait dorénavant, non plus à des hygiénistes, mais aux lecteurs d’une revue littéraire.

Bien des estimations ont été avancées sur le nombre de chiens peuplant les rues de la capitale ottomane en 1910. Remlinger, se basant sur le taux de mortalité quotidienne enregistré par les services municipaux, avance le chiffre de 60 000 et 80 000. Il omet toutefois de préciser qu’Istanbul était une métropole de près d’un million d’habitants, en pleine croissance démographique, seulement dépassée par Londres, Paris, Pékin et Calcutta. Tous les chiens n’ont pu être capturés car alertés par leurs congénères, ils se sont défendus, enfuis ou cachés, aidés dans certains cas par les habitants. Le missionnaire assomptionniste, P. Colomban, rapporte qu’il y eut de véritables bagarres, notamment vers Sainte-Sophie où la foule ouvrit les cages et rendit la liberté aux chiens. Remlinger mentionne l’imam d’une petite mosquée de Péra conduit manu militari au commissariat de Galatasaray. Pierre Loti cite en exemple son ami, le capitaine Tewfik Bey, qui désarma les attrapeurs, les jeta hors de sa caserne, acte de rébellion qui aurait permis aux « braves bêtes » d’avoir la vie sauve, mais qui lui aurait valu un mois de prison.
On a dit et répété, y compris dans la presse satirique, que des hommes s’opposaient à la capture des chiens par crainte de perdre de précieux gardiens et des auxiliaires dans le nettoiement de la voirie. [45] Cette conception simplificatrice de la relation homme/animal passe sous silence le poids des croyances : tuer une bête inoffensive était conçu comme un péché, une atteinte à la Création. Il faut également tenir compte d’un rejet des autorités, dont la légitimité était bien souvent contestée, qui s’arrogeaient le droit de condamner des créatures sans défense et familières auxquelles des habitants attribuaient des noms. Or, nommer l’animal revient à l’individualiser, à favoriser des interactions plus ou moins développées (nourriture, soin, attachement réciproque). Des éthologues en ont fait les frais, parmi lesquels la célèbre primatologue Jane Goodall, s’étonnant au début de sa carrière que «  naming animals and describing their personnality was taboo in science ». Malgré les critiques de collègues, elle a continué à nommer les chimpanzés étudiés et a refusé de dire « it », au lieu de « she » ou « he ». [46]
Chienne d’histoire, court métrage d’animation de
Serge Avédikian. Peintre : Thomas Azuelos

En 1906, témoin d’empoisonnements massifs à Péra, Remlinger rapporte que les personnes qui firent preuve d’une véritable empathie étaient de pauvres gens, des cafetiers ambulants, des hamals, qui s’efforcèrent de faire ingurgiter aux chiens du yaourt, à titre d’antipoison, malgré des morsures, l’animal ne comprenant pas qu’on tentait de lui porter secours. Le poison en question, la strychnine, agit en tétanisant les muscles, puis s’attaque rapidement à la moelle et aux nerfs moteurs, provoquant de violentes douleurs, des convulsions et la mort. Moins d’un siècle plus tard, cette « bonne vieille méthode » était toujours employée par la municipalité. Sa dernière utilisation à grande échelle, toujours à Beyoğlu, date de 1996, peu avant le sommet mondial des villes, Habitat II, quand les gamins des rues furent également sommés de quitter le secteur, les récalcitrants ramassés par des policiers, conduits dans les faubourgs reculés ou dans des villes de province.
Une autre anecdote rapportée par Remlinger a trait au stratagème d’un gardien (kapıcı) pour mettre fin aux hostilités des chiens du quartier vis-à-vis d’une congénère avec propriétaire qui ne pouvait sortir sans être violemment attaquée. L’idée consista à rassembler chaque soir les teneke, à faire sortir la chienne, et à ensuite seulement vider le contenu sur le trottoir. L’effet escompté, couronné de succès, est un bel exemple d’interaction astucieuse entre l’homme et l’animal. Des scientifiques auront beau jeu de prétendre que ce brave gardien n’y connaissait rien, mais contrairement à eux, il côtoyait les chiens au quotidien, ne les observaient pas en situation de complète soumission, ni ne réduisait leur comportement à une simple mécanique. Nous sommes donc très loin des fameux chiens d’Ivan Pavlov, prix Nobel de médecine en 1904, qui ont donné lieu à l’expression « chien de Pavlov », prototype de l’imbécile conditionné, incapable de discernement, ne réagissant que par « instinct » (notion pratique pour nier toute intelligence à l’animal).

Une créature hybride ?

Encore à l’heure actuelle, rares sont les études consacrées aux chiens des rues. Cette absence peut s’expliquer par le fait qu’ils ne peuvent être considérés comme domestiques, les interactions avec l’homme ne passant pas par le dressage ni par la propriété. Dans un même temps, il ne s’agit pas de chiens sauvages, ni de chiens marrons (feral dogs), et dans bien des cas, pas même de chiens errants (stray dogs). Malgré la terminologie qui prévaut dans les textes juridiques comme dans le registre de la protection animale, les chiens errants ne sauraient être confondus avec ceux des rues. Ces derniers, qui tissent des liens avec certains habitants dont ils dépendent, restent rattachés à un ancrage précis (une rue, une place, un pâté de maison, un parc). A l’inverse, les premiers fuient l’homme et chassent volontiers, vivant sur des étendus périphériques plus vastes et souvent difficiles à délimiter.
Ces distinctions apparaissent dans les travaux d’une équipe de biologistes russes qui étudient depuis une vingtaine d’années 30 000 chiens qui vivent en meutes autonomes dans les rues de Moscou. D’après leurs observations, chaque meute a une organisation qui lui est propre, et pour accentuer la difficulté d’opérer des généralisations trop simples, aucun de ces chiens n’a la même vie qu’un autre. Certains sont occasionnellement nourris par des humains à qui ils rendent certains services (gardien de parking par exemple) ou parce qu’ils savent se positionner de façon astucieuse (comme ceux qui se posent au milieu du flux de voyageurs dans le métro et qui attendent tranquillement d’être nourris) alors que d’autres fuient tout contact avec l’homme, en particulier ceux qui vivent dans les friches industrielles. Un chien trop stupide ne survit pas longtemps dans un milieu aussi hostile : il passe vite sous une voiture, se fait capturer ou meurt de froid. Un chien agressif se fait repérer et tuer. La sociabilité de ces chiens atteint parfois une complexité étonnante, qu’ils entretiennent à travers un jeu d’attitude d’une incroyable diversité. Le dominant de chaque meute est loin d’être toujours un mâle, des femelles montrant régulièrement les qualités d’intelligences requises pour vivre dans un milieu aussi complexe. [47]

Dans tous les écrits sur les chiens d’Istanbul, le dominant est invariablement présenté comme le plus fort, le plus valeureux, baptisé Capitaine Pacha quel que soit le quartier. En réalité, cette soi-disant prédominance du mâle doit beaucoup à une conception patriarcale de la société ainsi qu’à une conception de la survie basée sur la loi du plus fort. Des études en éthologie, sur le terrain et sur le long terme, ont toutefois démontré que la coopération et l’entraide peut l’emporter sur le combat. Le premier scientifique à avoir exprimé cette thèse, dans un ouvrage intitulé Mutual Aid, était un révolutionnaire anarchiste russe, Piotr Kropotkine (1842-1921). Cette théorie, dans un contexte favorable au darwinisme social, a tôt fait d’être reléguée aux oubliettes de l’histoire naturelle, son auteur longtemps présenté comme « un de ces penseurs sots et nébuleux », qui aurait laissé ses espérances personnelles et son projet social s’introduire dans la rigueur de l’analyse… [48]

Chiennes de vies

Les chiens des rues d’Istanbul, contrairement à ce que prévoyait Paul Remlinger aux débuts des années 1930, n’ont pas fini dans des collections de zoos. L’éradication, spectaculaire et hautement symbolique de 1910, démontre qu’en l’absence de juridiction sur l’errance canine en milieu urbain, elle était vouée à l’échec. Le modèle européen avait ses limites, et tel est toujours le cas à l’heure actuelle. Dans les pays anglo-saxons où les débats sur la libération animale et le droit des animaux sont plus anciens et mieux répandus qu’ailleurs, des militants dénoncent régulièrement les mauvais traitements infligés aux chiens des rues en Turquie. Ces activistes, qui recourent aux pétitions en ligne, devraient toutefois veiller à mieux formuler leurs accusations qui, mal documentées, risquent de discréditer la légitimité de leur cause. Autrement dit, ne pas omettre qu’à partir du moment où les autorités turques adopteront des lois sur les chiens errants, telles qu’elles prévalent en Occident depuis un siècle et demi, ces créatures disparaîtront du paysage urbain.
Dans la mégapole qu’est devenue Istanbul, où l’automobiliste est roi, où urbanistes et promoteurs immobiliers ont la folie des grandeurs, on peut se demander si les chiens des rues sont appelés à disparaître. Révolu le temps où tuer une bête inoffensive était considéré comme un péché, une atteinte à la Création ; l’islam réformiste et politique a désacralisé l’animal, au même titre que la nature, la protection due à l’un comme à l’autre étant intimement liée. Les rares espaces verts des centres villes sont menacés, tout comme les forêts de Belgrade et de Beykoz où des municipalités abandonnent à leur sort des chiens des rues stérilisés. Il serait tentant et pratique de voir dans cette relégation d’un nouveau genre un retour de l’animal à son « habitat naturel » (doğal hayat), mais il va de soi qu’il n’en est rien. Les seules chances de survie de ces chiens, que des chasseurs prennent volontiers pour cible, dépendent de responsables de chenils, d’associations et de bénévoles qui leur portent secours et nourriture. Dans cette lointaine périphérie, comme en ville, la protection de ces chiens relève d’un travail à plein temps, voire d’un combat quotidien, doublé dans certains cas d’un véritable sacerdoce. La tâche est d’autant plus ardue qu’à ces cohortes de chiens des rues viennent s’ajouter, dans des proportions inédites compte tenu de l’engouement relativement récent pour les chiens de compagnie, ceux que les maîtres abandonnent. En tête des « heureux élus », qui font le bonheur d’éleveurs et de pet shops, mais engendrent déception chez certains acheteurs dès lors que l’adorable petite boule de poils devient adulte : le golden retriever, régulièrement présenté comme « la crème des chiens ». Ce dernier, soit dit en passant, est un animal réputé sociable et équilibré, qui a fait ses preuves comme guide et compagnon d’aveugle.
Taşkafa (Pigheaded) and his friends in Galata
Catherine Pinguet (phot.) 2008

Un des chiens les plus célèbres du centre-ville européen, qui a donné son nom au documentaire d’Andrea Luka Zimmerman, Taşkafa (Tête de mule) Stories of Street, avait élu domicile au pied de la tour de Galata où, peu après sa mort, une sculpture de chien a été érigée. Cette statue peut passer pour un hommage, mais on peut aussi y voir un signe de mauvais augure, surtout sachant qu’un siècle plus tôt, on parlait déjà d’animaux « historiques », ou pire encore de créatures « anachroniques ». Le documentaire est ponctué par la voix de John Berger lisant des extraits de son « roman des rues » (A Street Story), King, nom du chien qui raconte 24 heures de la vie de ses compagnons d’infortune, maîtres et amis relégués au fond d’un terrain vague, au milieu des déchets abandonnés par la société de consommation. En 1999, la publication de King a coïncidé avec celle de Tombouctou de Paul Auster, récit d’un bâtard errant dans les rues de Baltimore, ville où a été menée une des rares études consacrée à l’errance canine, The Ecology of Stray Dogs – A Study of Free-Ranging Urban Animals. Son auteur, Alan M. Beck, avait constaté que le plus grand nombre de chiens vivaient dans les quartiers pauvres, qui dans leur grande majorité se trouvaient être des quartiers noirs, où les chiens étaient mieux tolérés qu’ailleurs. [49] Mais inutile de dire que depuis cette étude, publiée dans les années 1970, ces quartiers ont changé de couleur et de statut social, que les chiens ont disparu comme les taudis et les anciennes friches industrielles où ils avaient trouvé refuge.

Pourtant, et tel est le propos de John Berger, les chiens des rues sont de retour dans nos « belles » villes européennes, avec une ampleur inégalée, sillonnant les rues aux côtés d’hommes et de femmes marginalisés, partageant un dur quotidien fait de misères et de discriminations. Pour les sans-abri, l’animal est le compagnon, le confident, une source de chaleur, symbolique et réelle, une béquille sociale, une manière de sortir de l’anonymat du bitume (des passants, surtout ceux possédant un animal de compagnie, enclins à l’empathie). Alors qu’on pourrait imaginer ces chiens efflanqués, maladifs, pleins de puces, ils sont au contraire le plus souvent vigoureux, équilibrés, et surtout extrêmement autonomes, devant s’adapter en permanence au milieu urbain et jouissant d’une grande liberté d’action au sein de leur environnement. [50] Mais qu’à cela ne tienne, de « braves gens » ne manquent pas de s’offusquer : « pourquoi avoir un chien, alors que sans toit ni emploi on est incapable de subvenir à ses propres besoins ! »
Quand on aborde la question de l’errance, mieux vaut tenir pour suspecte la position doloriste qui consiste à s’apitoyer sur le sort du pauvre animal car, à l’instar de ce qui guette son maître, une telle attitude tend plutôt à renforcer la stigmatisation, l’exclusion, avec son lot de mesures coercitives. Pour conférer dignité aux « parias » canins comme humains, John Berger se garde bien de tomber dans le misérabilisme. Il incite à un geste simple, nettement moins courant qu’on ne le croit : se poser et regarder. Un regard qui peut également transcender l’être humain, à quoi invite son recueil de textes, Why look at Animals ? Et pourquoi tant de considérations pour l’animal interrogeront certains, sempiternel reproche adressé à ceux qui prennent la question animale au sérieux, lieu commun que les amis et défenseurs des chiens des rues d’Istanbul ne connaissent que trop bien. La réponse, pour reprendre la formule du héros d’un roman de Romain Gary, Les Racines du ciel, dans sa lutte pour les éléphants d’Afrique : « parce que leur liberté est le gage de la mienne ».

Catherine PINGUET

Notes

[1Mert Sandalcı, The Postcards of Max Fruchtermann, Istanbul : Koçbank, 3 vols, 2000.

[2Edmond Neukomm, « Les capitales de l’Europe. Constantinople », Journal des voyages, n°267, 12 janvier 1902.

[3Louis Andrieux, Souvenirs d’un préfet de police, Paris : Jules Rouff & Cie, vol. 2, 1885, p. 90-91.

[4Camille Allard, Souvenirs d’Orient. Les échelles du Levant, Paris : Adrien Le Clere & Cie, C. Dillet, 1864, p. 248 et 250.

[5Par exemple Frédéric Lacroix, auteur du premier guide français, cite parmi les inconvénients qui « auront pour le voyageur le piquant de la nouveauté, les chiens, qui pullulent dans tous les quartiers ». Guide du voyageur à Constantinople et dans ses environs, Paris : Bellizard, Dufour & Cie, 1839, p. XI.

[6Catherine Pinguet, « Batılı Kilmliğinin Oluşturulmasında Öteki’nin Sergilenmesi : Insanat Bahçesi ve Uğradığı Değişimler », Cogito, Istanbul : Yapı Kredi, sayı 44-45, Kış 2006, p. 73-103.

[7Dr. P. Remlinger, « Les chiens de Constantinople. Leur vie, leur mort », Mercure de France, n°25, juillet 1932, p. 25. Paul Remlinger se moque « d’un des membres les plus distingués de la colonie anglaise, Mr Whittol » (sic), Whittal, ainsi que de « certains touristes à qui il faut absolument qu’une chose en rappelle une autre ».

[8Paul de Régla, Les Bas-fonds de Constantinople, Paris : Tresse & Stock, 1892, p. 188.

[9Gaston des Godins de Souhesmes, « Les chiens des rues », Turcs et Levantins, Paris : V. Havard, 1896, p. 339. En 1887, il a fondé l’éphémère Revue française de Constantinople et en 1891 publié un Guide de Constantinople et ses environs, A. Zellich Fils.

[10Mark Twain, The Innocents Abroad or The New Pilgrims’ Progress, San Francisco : Hartford, American Publisher Company, 1869, p. 871-872.

[11Paul Remlinger, Débuts et tribulations de l’Institut Antirabique de Constantinople (Comment j’ai été forcé de me spécialiser dans l’étude de la rage), tiré à part de 32 pages publié en 1934.

[12Spyridon Mavroyéni, Les Chiens errants de Constantinople, Paris : Jean Maisonneuve, 1902.

[13L’intérêt pour les pathologies canines et les moyens d’y remédier n’ont débuté que durant l’entre-deux-guerres, pour devenir réellement performants dans les années 1950-60.

[14Ch. Delmas, L’hygiène publique à Constantinople. Assainissement des habitations et de la voie publique, Constantinople : Zellich, 1890, p. 6.

[15Gaston des Godins de Souhesmes, Turcs et Levantins, p. 346.

[16Thèse de doctorat à l’Ecole vétérinaire d’Alfort soutenue à Paris en 1932 par le capitaine Hikmet Chakir, Paris : Vigot Frères, 1932, 46 pages, conclusion p. 41-42. A l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, de remarquables ouvrages ont été publiés sur le lourd tribut payé par les animaux (chevaux, chiens, pigeons) durant le conflit.

[17Paul Relminger, « La Décanisation à Constantinople », L’Hygiène générale et appliquée, Paris : Octave Doin & Fils, 1910, p. 153-157.

[18Scott Christianson, The Last Gasp. The Rise and Fall of the American Gas Chamber, Berkeley – Los Angeles – London : University of California Press, 2010, p. 4.

[19Henri Martel, L’industrie de l’équarrissage, Paris : Denot, 1912, p. 25.

[20Louis Andrieux, Souvenirs d’un préfet de police, p. 309-310. Louis Andrieux était le père naturel du poète et romancier Louis Aragon.

[21En 1912, 23 000 chats et 5 454 chiens y sont tués dans des cages à électrocution. Voir l’article édifiant et consternant de W. F. Morse, illustré de photographies, « The Humane and Sanitary Disposal of Superfluous Animal Life », The American Journal of Public Health, 1913, p. 1226-1234.

[22Jeremy Bentham, An Introduction to the Principle of Morals and Legislation, J.H. Burns & H.L.A. Hart, Athlone Press, University of London, 1970, p. 282-83

[23In 1884, Benjamin Ward Richardson delivered a lecture to London’s Society of Arts entitled « On the Painless Extinction of Life of the Lower Animals”, abstracts published in Popular Science Monthly, vol. 26, March 1885, p. 641-652.

[24Eric Baratay, “Chacun jette son chien. De la fin de vie au 19e siècle », Romantisme, n°153, 2011, p. 161.

[25Henri Martel, L’industrie de l’équarrissage, p. 59.

[26Chanson Rosse (alaylı şarkısı) d’Henri Yan, « La question des chiens » (köpekler sorumu), Kalem, 29 Mayis 1909, p. 11.

[27P. Colomban, « Les chiens de Constantinople », Missions des Augustins de l’Assomption, n°173, septembre 1910, p. 141.

[28« Suffering dogs. The canine exiles from Constantinople », The Advisor, 3 October 1910, p. 5. (An industry has been started on the island by a Frenchman, who skins and boiled the dead carcasses, both, skins and bones being exported in Europe).

[29Stélio, « Les chiens d’Oxia », The Levant Herald & Eastern Express, 15 octobre 1910, p. 367-68.

[30Raymond Janin, « Les îles des Princes », Écho d’Orient, octobre décembre 1924, p. 435.

[31Dr P. Remlinger, « La Décanisation à Constantinople », p. 155, et « Les chiens de Constantinople. Leur vie, leur mort », p. 65.

[32“Dilenci Kalktı”, Sabah, n°10787, 19 décembre 1907, article cité et commenté par Nadir Özbek, « “Beggars” and “Vagrants” in Ottoman State Policy and Public Discourse, 1876-1914 », Middle Eastern Studies, vol. 45, n°5, September 2009, p. 78.

[33Noémi Lévy-Aksu, Ordre et désordre dans l’Istanbul ottomane, Paris : Khartala, 2013, p. 184-189.

[34« Les bekçi tapageurs », Stamboul, 7 septembre 1908. Représentatif de l’association hygiène et police des mœurs, un article publié dans Stamboul, le 23 août 1896, réclamant le rejet des maisons closes de Galata aux barrières de la ville. Dans The Levant Herald, « Edilité, Fındıklı », le 10 octobre 1910, vœu de transformer ce cloaque (peuplé pour les trois quarts de pauvres) en un quartier le plus luxueux et le plus sain de Péra.

[35Jon Pipéra, « Causerie canine », The Levant Herald & Eastern Express, 16 avril 1910, p. 140.

[36« Les chiens de Constantinople condamnés à la relégation par les Jeunes Turcs », L’Illustration, 16 juillet 1910, p. 45. Article signé Karabatak (Cormoran) publié dans Servet-i Fünun le 17 juin 1910, cité par Ümit Sinan Topçuoğlu, Istanbul ve Sokak Köpekleri, Istanbul : Sepya, 2010, p. 62-65.

[37Pierre Loti, Suprêmes visions d’Orient, Paris : Calmann Lévy, 1921, p. 20-21. Sem, “L’île aux chiens”, La Ronde de nuit, Paris : Arthèmes Fayard, 1923, p. 50.

[38Voir à ce sujet le pamphlet d’Abdullah Cedvet, Istanbul’da Köpekler, Egypt : Matbaa-i Ictihad, 1909 [en ottoman].

[39Pour une citation complète, Catherine Pinguet, Les chiens d’Istanbul, Bleu Autour, Saint-Pourçain-sur-Sioule, 2008, p. 17-18 ou encore le documentaire de Serge Avédikian, Histoire de chiens, Sacre Bleu production, 2011.

[40“The Scavanger-dogs of Constantinople and their cruel fate”, The Illustrated London News, 9 July 1910, p. 53.

[41Eugène Beylier, « Les parias de Constantinople », Le Journal des voyages, 13 novembre 1910, p. 411-412.

[42Stélio, « Les chiens d’Oxia », p. 367-68.

[43Dr Cemil Topuzlu, 80 Yıllık Hâtıralarım, Istanbul : Güven, 1951, p. 121.

[44Marc Bekoff, Minding Animals. Awareness, Emotions and Heart, New York : Oxford University Press, 2002, p. 47-49.

[45Sur la presse satirique ottomane, voir Palmira Brummet, « Dogs, Crime, Women, cholera, and Other Menaces in the Streets », Image and Imperialism in the Ottoman Revolutionary Press, 1908-1911, Albany : State University of New York Press, 2000, p. 259-287.

[46Jane Goodall, Reasons for Hope, citée par Marc Bekoff, Minding Animals, p. 46.

[47Alexandre Bourtine, « Ma vie de chien errant à Moscou », initialement paru dans la revue Ogoniok, traduit en français dans Courrier International, n°786, 24-30 novembre 2005, pp. 56-57.

[48Stephan Jay Gould, « Kropotkine n’était pas cinoque », La Foire aux dinosaures – Réflexions sur l’histoire naturelle, Le Seuil, Paris, 1993, p. 403-422.

[49Pour plus d’informations sur cette étude d’Alan M. Beck, Catherine Pinguet, Les chiens d’Istanbul, p. 179-185.

[50Christophe Blanchard, sociologue qui a étudié les liens entre de jeunes SDF et leurs chiens, Les maîtres expliqués à leurs chiens, Paris, La Découverte, coll. « Zones », 2014, p. 85.