Témoignage d’un gilet jaune bisontin
Atelier de philosophie plébéienne – Fertans, Samedi 16 février 2019
Remerciant l’association "Philosophie plébéienne" de m’avoir invitée à cet atelier, je me présente : Laurence Striby, institutrice et gilet jaune.
Comme la plupart des gens, je ne savais pas le 17 novembre ce qu’étaient les gilets jaunes. Des routiers, ou autres professionnels de la route, peut-être, manifestant contre la hausse des taxes des carburants.
Puis, bloquée le soir même sur un rond-point, j’en ai profité pour parler avec eux. Non seulement leurs revendications étaient beaucoup plus larges puisqu’ils se mobilisaient en fait contre l’étendue importante de la pauvreté en France, tout à fait d’accord, mais j’y retrouvais aussi des camarades syndicalistes que je suis aussi.
Pour poursuivre les informations et les discussions, je me suis rendue régulièrement les semaines suivantes, avec café et petits beurres, à un lieu de blocage de camions d’une grande entreprise, situé près de mon lieu de travail. J’y ai rencontré surtout des travailleurs pauvres et des retraités.
J’ai trouvé également sur le net des revendications écrites, comme celles de Saint Nazaire (voir en annexe 1), avec lesquelles j’étais en grande partie d’accord.
Je me suis rendue ensuite régulièrement aux manifestations du samedi où se trouvaient d’ailleurs en grand nombre des femmes, retraitées en grandes difficultés financières. Car si les différences de salaires sont d’environ 20% entre les hommes et les femmes, elles sont de 40% pour les retraites.
Si les manifestations étaient au début déclarées à Besançon, elles ne le sont plus maintenant, car déclarant le parcours, des colonnes et camions de policiers attendaient les manifestants à des lieux stratégiques, dans des rues étroites, comme devant la préfecture, pour les gazer copieusement, pour refus de dispersions après sommations inaudibles.
La violence policière, aux ordres bien entendu, est un fait. Lors d’une manifestation en approche du rond-point près d’une grande surface, la police, avec les chiens, et la gendarmerie, a chargé les manifestants avec gazages et tirs de flashballs, sur un bon kilomètre pour éviter tout blocage d’accès au grand magasin.
Le nombre de blessés graves par centaines sur tout le territoire n’est plus à démontrer.
Le nombre d’arrestations arbitraires non plus d’ailleurs, et par milliers.
Je devais venir avec un autre gilet jaune aujourd’hui, mais il est en garde à vue, sa compagne et son fils aussi. Il avait d’ailleurs reçu une lettre du préfet le classant "leader", ce qu’il a nié bien entendu, pétition à l’appui, car les gilets jaunes ne veulent pas de chefs et n’ont pas besoin de meneurs.
Des assemblées se tiennent ainsi régulièrement en semaine dans des salles communales autour de Besançon, où tout le monde a droit à la parole et où sont votées les décisions diverses de revendications et d’actions.
Des syndicalistes s’y présentent aussi en tant que tels et proposent des actions communes.
Comme le soutien des Gilets jaunes à une manifestation syndicale de retraités, voté pour en assemblée et mise en acte le lendemain.
Comme la journée de grève générale du 5 février proposée aussi par une intersyndicale et votée aussi en assemblée GJ. Le départ de la manif s’est tenu entre syndicats et GJ devant me Medef.
Dans ces assemblées sont également discutées les liens et actions pour fédérer le mouvement. Une première assemblée des assemblées s’est tenue fin janvier à Commercy. Un appel commun a été élaboré et diffusé (annexe 2). La prochaine se tiendra à Saint Nazaire.
Une conscience politique au sens noble du terme, sans parti, s’est mise à jour et s’organise. D’autres groupes s’y associent, comme les Blouses Blanches, les Crayons Rouges et les Robes Noires et Jaunes. Rien ne permet d’affirmer un quelconque essoufflement. Sans prédire l’avenir, je n’y vois pas la fin de l’Histoire, bien au contraire.
ANNEXES
1/ Revendications des Giles jaunes de Saint-Nazaire :
• Zéro SDF : URGENT.
• Davantage de progressivité dans l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire davantage de tranches.
• Smic à 1 300 euros net.
• Favoriser les petits commerces des villages et centres-villes. Cesser la construction des grosses zones commerciales autour des grandes villes qui tuent le petit commerce et davantage de parkings gratuits dans les centres-villes.
• Grand plan d’Isolation des logements pour faire de l’écologie en faisant faire des économies aux ménages.
• Impôts : que les GROS (MacDo, Google, Amazon, Carrefour...) payent GROS et que les petits (artisans, TPE PME) payent petit.
• Même système de Sécurité sociale pour tous (y compris artisans et autoentrepreneurs). Fin du RSI.
• Le système de retraite doit demeurer solidaire et donc socialisé.
Pas de retraite à points.
• Fin de la hausse des taxes sur le carburant.
• Pas de retraite en dessous de 1 200 euros.
• Tout représentant élu aura le droit au salaire médian. Ses frais de transports seront surveillés et remboursés s’ils sont justifiés. Droit au ticket restaurant et au chèque-vacances.
• Les salaires de tous les Français ainsi que les retraites et les allocations doivent être indexés à l’inflation.
• Protéger l’industrie française : interdire les délocalisations. Protéger notre industrie, c’est protéger notre savoir-faire et nos emplois.
• Fin du travail détaché. Il est anormal qu’une personne qui travaille sur le territoire français ne bénéficie pas du même salaire et des même droits. Toute personne étant autorisée à travailler sur le territoire français doit être à égalité avec un citoyen français et son employeur doit cotiser à la même hauteur qu’un employeur français.
• Pour la sécurité de l’emploi : limiter davantage le nombre de CDD pour les grosses entreprises. Nous voulons plus de CDI.
• Fin du CICE. Utilisation de cet argent pour le lancement d’une industrie française de la voiture à hydrogène (qui est véritablement écologique, contrairement à la voiture électrique.)
• Fin de la politique d’austérité. On cesse de rembourser les intérêts de la dette qui sont déclarés illégitimes et on commence à rembourser la dette sans prendre l’argent des pauvres et des moins pauvres, mais en allant chercher les 80 milliards de fraude fiscale.
• Que les causes des migrations forcées soient traitées.
• Que les demandeurs d’asile soient bien traités. Nous leur devons le logement, la sécurité, l’alimentation ainsi que l’éducation pour les mineurs. Travaillez avec l’ONU pour que des camps d’accueil soient ouverts dans de nombreux pays du monde, dans l’attente du résultat de la demande d’asile.
• Que les déboutés du droit d’asile soient reconduits dans leur pays d’origine.
• Qu’une réelle politique d’intégration soit mise en œuvre. (cours de langue française).
• Salaire maximum fixé à 15 000 euros.
• Que des emplois soient créés pour les chômeurs.
• Augmentation des allocations handicapés.
• Limitation des loyers. Davantage de logement à loyers modérés (notamment pour les étudiants et les travailleurs précaires).
• Interdiction de vendre les biens appartenant à la France (barrage, aéroport…)
• Moyens conséquents accordés à la justice, à la police, à la gendarmerie et à l’armée. Que les heures supplémentaires des forces de l’ordre soient payées ou récupérées.
• L’intégralité de l’argent gagné par les péages des autoroutes devra servir à l’entretien des autoroutes et routes de France ainsi qu’à la sécurité routière.
• Le prix du gaz et l’électricité ayant augmenté depuis qu’il y a eu privatisation, nous voulons qu’ils redeviennent publics et que les prix baissent de manière conséquente.
• Fin immédiate de la fermeture des petites lignes, des bureaux de poste, des écoles et des maternités.
• Apportons du bien-être à nos personnes âgées. Interdiction de faire de l’argent sur les personnes âgées. L’or gris, c’est fini. L’ère du bien-être gris commence.
• Maximum 25 élèves par classe de la maternelle à la terminale.
• Des moyens conséquents apportés à la psychiatrie.
• Le référendum populaire doit entrer dans la Constitution. Création d’un site lisible et efficace, encadré par un organisme indépendant de contrôle où les gens pourront faire une proposition de loi. Si cette proposition de loi obtient 700 000 signatures alors cette proposition de loi devra être discutée, complétée, amendée par l’Assemblée nationale qui aura l’obligation, (un an jour pour jour après l’obtention des 700 000 signatures) de la soumettre au vote de l’intégralité des Français.
• Retour à un mandat de 7 ans pour le président de la République. L’élection des députés deux ans après l’élection du président de la République permettait d’envoyer un signal positif ou négatif au président de la République concernant sa politique. Cela participait donc à faire entendre la voix du peuple.)
• Retraite à 60 ans et pour toutes les personnes ayant travaillé dans un métier usant le corps (maçon ou désosseur par exemple) droit à la retraite à 55 ans.
• Un enfant de 6 ans ne se gardant pas seul, continuation du système des aides PAJEMPLOI jusqu’à ce que l’enfant ait 10 ans.
• Favoriser le transport de marchandises par la voie ferrée.
• Pas de prélèvement à la source.
• Fin des indemnités présidentielles à vie.
• Interdiction de faire payer aux commerçants une taxe lorsque leurs clients utilisent la carte bleue. Taxe sur le fuel maritime et le kérosène.
2/ Appel de Commercy :
APPEL DE LA PREMIERE ASSEMBLEE DES ASSEMBLEES DES GILETS JAUNES
Commercy, dimanche 27 janvier 2019
Nous, gilets jaunes des ronds-points, des parkings, des places, des assemblées, des manifs, nous sommes réunis ces 26 et 27 janvier 2019 en assemblée des assemblées, réunissant une centaine de délégations, répondant à l’appel des gilets jaunes de Commercy.
Depuis le 17 novembre, du plus petit village, du monde rural à la plus grande ville, nous sommes soulevés contre cette société profondément violente, injuste et insupportable. Nous ne nous laisserons plus faire !
Nous nous révoltons contre la vie chère, la précarité et la misère. Nous voulons pour nos proches, nos familles et nos enfants, vivre dans la dignité.
26 milliardaires possèdent aujourd’hui autant que la moitié de l’humanité, c’est inacceptable.
Partageons la richesse et pas la misère !
Finissons-en avec les inégalités sociales !
Nous exigeons l’augmentation immédiate des salaires, des minimas sociaux, des allocations et des pensions, le droit inconditionnel au logement et à la santé, à l’éducation, aux services publics gratuits et pour tous.
C’est pour tous ces droits que nous occupons quotidiennement les ronds-points, que nous organisons des actions, des manifestations, et que nous débattons partout. Avec nos gilets jaunes, nous reprenons la parole, nous qui ne l’avons jamais.
Et quelle est la réponse du gouvernement ? La répression, le mépris, le dénigrement.
Des morts et des milliers de blessés, l’utilisation massive d’armes par tirs tendus qui mutilent, éborgnent, blessent et traumatisent.
Plus de 1000 personnes ont été arbitrairement condamnées et emprisonnées.
Et maintenant, la dite loi "anti-casseurs" vise tout simplement à nous empêcher de manifester.
Nous condamnons toutes les violences contre les manifestants, qu’elles viennent des forces de l’ordre ou des groupuscules violents. Rien de tout cela ne nous arrêtera ! Manifester est un droit fondamental.
Fin de l’impunité pour les forces de l’ordre !
Amnistie pour toutes les victimes de la répression !
Et quelle entourloupe que ce grand débat national qui est en fait une campagne de communication du gouvernement, qui instrumentalise nos volontés de débattre et décider !
Après nous avoir insultés, traités de moins que rien, voilà maintenant qu’il nous présente comme une foule haineuse, fascisante et xénophobe.
Mais nous sommes tout le contraire : ni racistes, ni sexistes, ni homophobes, nous sommes fiers d’être ensemble avec nos différences pour construire une société solidaire.
Nous sommes forts de la diversité de nos discussions, en ce moment même, des centaines d’assemblées élaborent et proposent leurs propres revendications.
Elles touchent à la démocratie réelle, à la justice sociale et fiscale, aux conditions de travail, à la justice écologique et climatique, à la fin des discriminations.
Parmi les revendications et propositions stratégiques les plus débattues, nous trouvons : l’éradication de la misère sous toutes ses formes,
la transformation des institutions (RIC, constituante, fin des privilèges des élus),
la transition écologique (précarité énergétiques, pollutions industrielles...),
l’égalité et la prise en compte de toutes et tous quelle que soit sa nationalité (personnes en situation de handicap, égalité hommes-femmes, fin de l’abandon des quartiers populaires, du monde rural et des outres-mers...).
Nous, gilets-jaunes, invitons chacun avec ses moyens, à sa mesure, à nous rejoindre.
Nous appelons à poursuivre les actes (acte 12 contre les violences policières devant les commissariats, actes 13 et 14...),
à continuer l’occupation des ronds-points et le blocage de l’économie,
à construire une grève massive et reconductible à partir du 5 février.
Nous appelons à construire des comités sur les lieux de travail et partout ailleurs pour que cette grève puisse être construite à la base par les grévistes eux-mêmes.