Kanaky

, par Jérôme Ferrand


Le cynisme politique n’a pas de bornes : alors qu’ont été constatées des fraudes aux inscriptions dans les commissions administratives spéciales chargées de l’établissement et de la révision des listes électorales, la question des inscriptions irrégulières - reconnues par l’État français lui-même - a été considéré, en février 2016, comme « politiquement close » par le 14e comité des signataires du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.
Aussi, depuis mars 2016, une mission d’observation mandatée par les Nations unies a-t-elle été chargée de jeter un œil sur les pratiques de révision des listes électorales qui permettront aux néo-calédoniens de se prononcer par référendum sur leur autodétermination (ne parlons surtout pas d’indépendance) à la fin de l’année 2018.
Le 4 octobre 2017, et alors que plus de 23000 kanaks n’étaient inscrits sur aucune liste électorale, certains acteurs du jeu politique néo-calédonien plaidaient devant la commission de décolonisation de l’ONU pour que le référendum à venir soit « sincère et incontestable ». Au même moment, une synchronicité étonnante présidait à la désignation d’un ancien premier ministre français à la présidence de la mission d’information parlementaire sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Chacun en appréciera le beau sourire, au centre de la photo, ici.
Autant de signes continus et manifestes de la vitalité néocoloniale d’une république française qui, n’ayant plus guère l’occasion de maintenir son empire territorial par la force comme le fait aujourd’hui l’Espagne à l’encontre de la Catalogne, use des pratiques douteuses, pour ne pas dire mafieuses, qui ont fait la gloire de la françafrique…

Il faut certes avoir un peu de mémoire pour se rappeler qu’au moment même où les kanak avaient souhaité associer à leur destin toutes les « victimes de l’histoire » (descendants de bagnards et de communards, mineurs asiatiques soumis au régime de l’indigénat, immigrés du pacifique, etc.), le premier ministre français, Pierre Mesmer, affichait ouvertement sa volonté de submerger les kanak par le nombre en surfant sur le boom économique du nickel pour accompagner une nouvelle vague de peuplement de la Nouvelle-Calédonie : « La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones, appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique. À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer devrait permettre d’éviter ce danger, en maintenant ou en améliorant le rapport numérique des communautés. À long terme la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire ». No comment ! Françafrique a toujours rimé avec France à fric.
Mais ce n’est pas parce que la Calédonie (nouvelle) est loin de nous qu’il faut oublier le geste d’Eloi Machoro brisant, en 1984, l’urne électorale du statut Lemoine et recouvrir d’un silence complice les pratiques de l’état néocolonial français qui souillent chaque jour une démocratie morte avant d’être née, en France comme à l’étranger. Comme si le rêve de la Kanaky, république indépendante imaginée dans les années 80 par des indépendantistes, était destiné à rejoindre le cimetière des utopies forgées au feu des expériences révolutionnaires pour être ensuite sacrifiées sur l’autel des intérêts de la puissance (néo)coloniale française…