Clément est amoureux - Journal


On trouvera ci-dessous l’intégralité du Journal de Clément. Nous nous sommes efforcés de retranscrire le plus fidèlement possible la version papier : ont donc été laissées telles quelles les rares erreurs d’accent ou les quelques négligences de ponctuation. L’ensemble des papiers épars retrouvés avec le Journal sera publié prochainement. Pour une présentation de l’ensemble, se reporter à la "Préface", publiée ici.

Vendredi 1° Mars 1935
Aujourd’hui, premier jour de la rédaction de ce journal, peu d’événements marquants. Une interrogation en récitation et le soir la composition trimestrielle de littérature : sujet sur La Bruyère. Je ne sais trop ce que j’ai fait. Quelques vers pour Elle m’auraient plus tenté.
Le soir, grande discussion de 3/4 d’heure à propos de la vente des billets de Loterie. Résultats : 0. Aucune entente.
Samedi 2
C’est le jour du départ : vacances du Mardi gras. Beaucoup d’agitation. Je suis heureux d’aller à la maison.
 
Dimanche 3
Vers le soir nous avons été nous amuser sur l’Avenue où l’on bataillait ferme. J’espérais La voir mais hélas : je n’ai rien vu.
Le soir avec Olga j’ai été à la jetée Promenade où l’on donnait : la Fille de Madame Angot. Jolie représentation.
 
Lundi 4
Je peux faire grasse matinée. Sur la Promenades des Anglais le soleil est bon. Après-midi ennuyante. Je pense à Elle mais je ne la vois pas.
 

Mardi 5
La matinée va se passer sur une Composition de Philo. Peu réjouissant. Le soir nous sommes allés sur l’Avenue lancer des confettis. Je croyais La voir mais rien.
Acheté un bouquin : Boutades Rimées
 
Mercredi 6
Ce soir il faut de nouveau rentrer. Mélancolie. Combien je voudrais La voir et lui parler aujourd’hui. Ma tristesse augmente vers le soir. Oh ! que pourrais-je faire pour La voir un instant. C’est mon unique pensée véritable accablement.
 
Jeudi 7
Ce matin réveil triste parce que dans un dortoir, puis parce que j’ai rêvé à Elle cette nuit. Encore une journée où cette pensée sera maîtresse de mon esprit. Quand La verrai-je ? Que le travail me paraîtrait doux si cette pensée ne m’obsédait sans cesse, si je pouvais la posséder. Je languis d’être à dimanche.
 
Vendredi 8
Je rédige cette journée le samedi pendant l’heure de lectures personnelles car il y a eu Composition de Philosophie jusqu’à 8 heures du soir portant sur : l’idée que l’on se fait de la vie morale. Encore une chose que je sens fort bien mais qui est trop intime et inexprimable.
A part cela rien de marquant dans la journée.

 
Samedi 9
Que l’heure d’arpentage m’a paru longue. Dehors le thermomètre est à 5°. On est mieux autour du poële. Je me plonge dans la lecture de Vigny. Longue après-midi sans histoire.
Demain c’est enfin dimanche
 
Dimanche 10
Le temps est plus que maussade mais je suis heureux quand même.
J’ai acheté : Les Trophées.
L’après-midi petite fête agréable.
Mais le soir il faut encore rentrer.
 
Lundi 11
Que je suis triste ce matin.
Cette tristesse est augmentée par des remarques que m’a fait le prof. de français sur ma C. F. Cela m’a irrité.
Je voudrais partir, aller je ne sais où mais dans une autre atmosphère. Ô ! combien ces remarques me sont pénibles. Que ma sensibilité en est froissée !
Et puis il y a tj Son image qui accroît ma tristesse.
Ce passage de Jules Lemaître m’est tombé sous les yeux : « tout amoureux passionné s’il n’est pas nécessairement un monstre de sottise, il sera du moins, à coup sûr, un monstre d’injustice et de déraison » Il est à méditer.
 
Mardi 12
Ma tristesse ne peut me passer car maintenue par une note médiocre en C. F. et par certaines injustices. Je souffre de cela. Tout sourit à certains, rien à d’autres. Lamentable natation de Ch. en art nautique. Ô !.... que tout cela n’est pas beau à voir. Je préfère m’arrêter pour ne pas aggraver mon dégoût, devant certaines choses.
 
Mercredi 13
Ma tristesse s’est un peu dissipée. Rien de marquant dans cette journée.
 
Jeudi 14
Rien à signaler aujourd’hui.
Ô ! que je voudrais La voir. Mais hélas !
 
Vendredi 15
Aujourd’hui prise des consignes pour le stage. Je le fais dans un cours préparatoire : peu de travail.
Toujours Elle….
 
Samedi 16
Aujourd’hui révolution dans l’école : la loi portant le service militaire à deux ans a été votée. C’est une belle perspective après trois ans de boîte. Je ne me sens de goût pour rien. Je suis ennuyé. Le B.S. me tracasse.
 
Dimanche 17
Journée de pluie et par conséquent d’ennui. Le seul délassement réside dans la lecture. A table on a parlé d’Elle. Ça n’a fait que raviver ma tristesse.
 
Lundi 18
Fort mauvaise nuit car j’ai mal digéré quelque chose. Le matin je suis peu dispos. L’estomac me pèse, la bouche est amère. J’ai pensé de Lui écrire mais faut-il encore que je trouve son adresse. 1° jour de stage aujourd’hui. Ça n’a pas mal marché.
 
Mardi 19
Peu de choses dans cette journée. 2° jour de stage. On a commencé à publier un bulletin de santé du Père Cent.
 
Mercredi 20
Une heure d’ennui excessif en physique. Le stage marche bien. J’ai une douleur au côté droit du ventre qui m’inquiète. Ô ! puisse-t-elle passer ?
 
Jeudi 21
J’ai remarque que des gens critiquant tj les autres sont pires qu’eux.
Je pense toujours à Elle. J’ai comme une intuition que je la rencontrerais dimanche. Je le voudrai bien afin de tranquilliser mon âme.
 
Vendredi 22
Grande activité dans la préparation de l’incinération du Père Cent, cérémonie qui aura lieu demain soir. On se promet de rire.
Rien de marquant par ailleurs.
 
Samedi 23
J’ai tj cette douleur au côté droit du ventre. Le Père Cent est mort. Ce soir nous devons l’incinérer avec toute la pompe à lui dire. On m’a dévolu le rôle de pleureuse. Pourvu que le Directeur n’intervienne pas.
Le Directeur a donné son autorisation et la cérémonie a eu lieu. Réussie en tous points. Un évêque en mitre et chasuble (descente de lit et rideaux) Andréotti ; un curé Anda (blouse noire, chemise par-dessous, barrette en tête) ; quatre enfants de cœur : Bérard, Andran, Recours, Féraud ( blouse et chemise encensoir), la veuve (moi-même), un membre de la famille Fancion noir avec gibus-carton, l’autorité Poggia : gibus et canne, un ramasseur de cendre : Vahre deux bourreaux avec couteaux : Ladret, Pascal, les bras tachés de sang, le Père Cent porté par 3 porteurs, Bauret, Delache, Luciani, en casquette et blouse noires enfin trois soldats : Marcailloux, Guillemenot, Ozanneand. Toute la cérémonie réglée par le Suisse Giordanno aux magnifiques guêtres de carton blanc.
Messe, bénédiction, séance de pleurs, lecture du discours par Laffaille coiffé d’un gibus-carton et enfin incinération avec Marche funèbre chantée en chœur, telles sont les différentes phases e la cérémonie.
Ensuite a lieu l’inhumation des cendres recueillies dans une boîte de conserve.
 
Dimanche 24
Ce matin nous prenons des photos dans le jardin en costume d’hier soir. Je vais à un beau concert qui me transporte dans un monde supérieur. L’après-midi : rien de marquant.
Nous allons à un enterrement.
Je L’ai vainement cherchée durant l’après-midi mais Elle reste invisible.
Ce n’est pas pour m’ôter le cafard.
 
Lundi 25
Je croyais avoir fait une C. F. déplorable le compte-rendu avait lieu ce matin et ma foi, j’ai une note moyenne avec de bonnes choses dans l’appréciation. Cela me rend plus content. Si les photos prises hier sont toutes réussies je vais en prendre. Le stage se continue. Enfin à partir de demain matin lever de nouveau à 6 heures. Ce n’est pas pour me réjouir. Mais bientôt les vacances de Pâques… Et puis Elle.
 
Mardi 26
Ce matin lever à 6 heures. Réveil par le directeur. Des bruits circulent que nous iront visiter les Châteaux de la Loire en voyage pédagogique. Beau circuit mais encore faut-il l’argent.
Cette après-midi, en stage j’ai été embarrassé sur l’explication du mot poursuivre. Non pas que je ne sache le sens du mot mais l’expliquer aux enfants est une autre chose.
 
Mercredi 27
Qu’il est doux de lire une Revue des Deux Mondes pendant que les camarades sont attelés à une composit. d’histoire. Deux articles fort intéressants : l’un sur les pratiques religieuses hindoues ; véritable idiotie ; l’autre sur la lutte anti religieuse en Russie, chose affreuse.
 
Jeudi 28
Ce matin presque tous les copains ont été à une séance de cinéma. Moi je suis resté à l’école et je m’y suis ennuyé.
Cet après-midi bataille de fleurs : de belles voitures fleuries et de jolies femmes à l’intérieur. Il vaut mieux se battre avec des bouquets qu’avec des obus et des gaz.
Ma joie est grande car j’ai vu quelqu’un de la famille d’Elle et j’ai appris du nouveau.
 
Vendredi 29
Le stage m’a fatigué. J’ai mal à la tête. Ce matin j’ai fait quelques vers sur Elle mais ce soir je suis incapable de faire un travail et pourtant j’en ai.
Je reste là, mon esprit rêve….
 
Samedi 30
Ce matin Compte rendu de la CT. de Philo sur le sujet : la vie morale. J’ai obtenu 7. Aujourd’hui fin du stage. Par bonheur le Directeur n’est pas venu m’inspecter.
 
Dimanche 31
Dernier jour du mois. Il fait beau. J’ai l’âme en joie ce matin en gagnant la maison. Bon dimanche. Le soir à 5h. 1/2 nous avons été entendre chanter la Maîtrise russe. Tout à fait beau.
Mais hélas ! le dimanche est court et il faut rentrer à nouveau. Pendant que j’attends le tram je vois des lumières dans les maisons. Oh ! qu’il serait bon d’être ainsi au foyer. Et mon idée va vers Elle qui doit être à cette heure autour de la table familiale. Et ma tristesse augmente et mon humeur aussi par suite de la suppression du tram que je prenais habituellement. Tout est à refaire. Le soir je suis long à m’endormir et vingt, trente idées me traversent la tête
 
Lundi 1° Avril
Ce matin avec le changement d’heure nous nous levons alors qu’il fait encore nuit. Ce n’est point gai. Elle doit encore sommeiller. Qu’elle doit être belle dans son sommeil.
Aujourd’hui il y a un mois que j’ai commencé la rédaction de ce carnet
Déjà.
Rien de marquant si ce n’est quelques farces à l’occasion du 1° Avril.
 
Mardi 2
Je sens les débuts d’un rhume de cerveau. Aujourd’hui Conseil des professeurs afin de donner les notes de conduite et de travail à chacun de nous. C’est tout. (Toujours Elle)
 
Mercredi 3
Une heure d’horrible ennui en séance de physique (pour ne pas changer)
Je viens de terminer une Composition de Sylviculture (6 pages) Ça, en moins à faire.
Je ne me sens pas bien. J’ai l’estomac chargé, le ventre douloureux. Quelque aliment a du me faire mal.
 
Jeudi 4
Mon malaise a disparu. Je pense à Elle, je connais son adresse et probablement pendant les vacances de Pâques la verrais-je
C’est vers là que tendent tous mes désirs.
J’ai lu aujourd’hui sur le journal qu’un concours de poésie était ouvert. Je sens que je vais y prendre part. Cela me réjouit.
 
Vendredi 5
Peu de choses dans cette journée. Une interrogation en récitation : 12. J’ai commencé une C. F. sur Vigny. Mais que mettre ? Je me suis amusé à faire quelques vers.
 
Samedi 6
Je deviens incapable de réflexion. Mon esprit s’évade toujours vers d’autres buts. Cela m’irrite pour faire ma C. F.
 
Dimanche 7
O joie ! Vision sublime et magnifique. Bonheur pour les yeux, les oreilles et pour l’âme aussi. C’est la Damnation de Faust, de Berlioz que j’ai vu hier à l’Opéra avec Yvonne Gall, Beets et Beckmans. Spectacle admirable où le chant et surtout la musique m’ont détaché de la terre pendant 3 heures
Et puis….. triste rentrée
 
Lundi 8
Ce matin en me réveillant j’ai pensé que lundi prochain je me réveillerai dans mon cher lit à ma chère maison et non à 6 heures. Journée d’ennui et d’irritation. Les heures me pèsent. Certains ont droit aux meilleures notes, d’autres non. Cela me mécontente.
 
Mardi 9
On a fini de faire les moyennes trimestrielles. Ceux qui ont manipulé cela ont certes fait ce qu’ils ont voulu. Aussi je me vois une moyenne assez singulière. Que faire ! Qu’y comprendre. Tout à certains, rien aux autres. Vite les vacances pour se désintoxiquer.
 
Mercredi 10
Cette après-midi jolie promenade en car. Départ à 1 heure, nous passons à la Lanterne, Fabron, St Isidore Gattières St Jeannet où nous dégustons un petit vin agréable, Vence, ville admirable et chère à mon cœur, St Paul où nous visitons l’Eglise et les antiques remparts, Cagnes et Nice (EN) où nous arrivons à 6 heures passées. Bonne après-midi.
 
Jeudi 11
Rien d’important dans cette journée. Je croyais La voir mais hélas !
 
Vendredi 12
Vers le matin j’ai rêvé à Elle. Je l’ai vue comme si elle avait été devant moi. Mais ce n’était que fiction !
Aujourd’hui grande agitation au réfectoire, en étude. C’est veille du départ en vacances.
Ce soir je vais à l’EN d’Institutrices assister à une représentation de chansons « La Chanson française à travers les âges » Mais j’ai peur d’avoir froid car j’ai laissé mon pardessus à la maison.
Jolie soirée, pleine de gaieté
 
Samedi 13
Jour du départ. Agitation intense dès le matin. Joie de tous. Moi aussi je suis content.
 

Dimanche 14
Aujourd’hui dimanche et premier jour des vacances, journée bien remplie. Le matin au Temple où l’on célébrait les Rameaux, l’après-midi à une fête scolaire de gymnastique, enfin le soir dans une loge de l’Opéra pour écouter le Mariage de Figaro, soirée d’ailleurs assez peu intéressante et enfin la nuit j’ai abondamment rêvé à Elle. Pourrais-je la voir ?
 
Lundi 29
Bilan des vacances :
1) Passées trop, trop vite.
2) Quelques bonnes journées
3)Souvent abondante tristesse car si j’ai vu ses parents je ne l’ai point vue mais j’ai appris deux nouvelles choses sur Elle.
Cette journée est sans histoire et je vis dans le souvenir des belles heures passées. La tristesse, mieux la mélancolie est en moi en ce jour.
 
Mardi 30
J’ai repris le courant de vie normal. Journée sans histoire si ce n’est la question du voyage de fin d’année qui donne sujet à des discussions épiques et divisant la promotion en deux clans : ceux qui veulent faire le voyage et ceux qui ne veulent pas.
 
Mercredi 1° Mai
C’est décidé. Je ne ferais pas de voyage.
 
Jeudi 2 Mai
Ce matin Composition d’Hygiène de 3 heures : c’est le prix Bellan. Drôle d’épreuve.
Cette après midi sortie d’été à 3h 1/[ ?] Je suis heureux car je puis coucher à la maison ce soir. Je n’ai plus à penser à rentrer.
 
Vendredi 3
Je rédige cette journée après avoir terminé une Composition de Philosophie. Ce matin j’ai dit au revoir à papa qui part demain pour Royat. Cela m’a attristé car la séparation est longue : 5 mois
Puis j’ai pensé à Elle que je n’arrive pas à avoir. Oh ! si j’osais lui écrire maintenant que j’ai son adresse. Toujours cette idée obsédante. toujours – Oh ! Oh ! ne l’obtiendrais-je jamais celle que j’aime tant, celle pour qui je souffre et je peine.
 
Samedi 4
Je pense tj. à Elle. Oh ! que je voudrais qu’elle devint ma femme. Que nous nous aimerions, que nous serions bien tous les deux. Pourrais-je au moins la voir ?
 
Dimanche 5
Triste dimanche en vérité. Journée de pluie et par suite de tristesse. Le matin j’espérais la voir à son Eglise. Hélas ! rien.
L’après-midi : tristesse. Tous les autres amours que je pourrais avoir je ne les considère pas. Il n’y a qu’Elle et mon violent amour pour Elle. Oh ! que je suis malheureux ainsi loin d’Elle.
 
Lundi 6
Il pleut encore ce matin et je suis encore triste.
Le reste de la journée est sans histoire
Je n’ai qu’Elle par la tête.
 
Mardi 7
Je m’ennuie horriblement en Art nautique
Aussi j’y lis Baudelaire au lieu de perdre mon temps.
Je voudrai commencer mes revisions mais je ne sais par quoi débuter. Aussi je suis énervé.
 
Mercredi 8
On n’a plus le temps de penser.
J’ai touché aujourd’hui 115fr, 1/2 produit des versements effectués pour la caisse des voyages.
 
Jeudi 9
Je ne me sens pas bien cet après-midi
J’ai l’estomac pesant.
Oh ! que je voudrai que la maman puisse rencontrer Maman et qu’elles parlent d’Elle et de moi. Ce serait une de mes plus grandes joies.
 
Vendredi 10
Il y a des camarades que, une fois sorti de l’Ecole, je ne regarderai plus. Ils n’en valent pas la peine. Par contre d’autres garderont mon amitié.
Oh ! que le vœu que j’ai fait hier puisse se réaliser. Comme je serais heureux !
 
Samedi 11
Je viens de terminer une C. F. J’ai aussi terminé la lecture des Fleurs du Mal. Ce Baudelaire m’a bouleversé et m’a charmé à la fois. Quel poète !
Que demain je puisse apprendre que mon vœu a pu se réaliser.
 
Dimanche 12
En vain ai-je essayé de la voir. Aussi tristesse, tristesse.
 
Lundi 13
Quelle lugubre tristesse ce matin.
Le ciel gris, un mauvais rêve, des pensées de toute sorte, le désir ardent de la voir, tout cela fait cette tristesse. Elle est un peu dissipée par une bonne note en Composition française.
 
Mardi 14
J’ai attaqué sérieusement mes revisions
Mais il y en a tant !
Toujours Elle. Je me figure que je l’ai épousée. Oh ! cela pourra-t-il se faire ?
 
Mercredi 15
Ce matin, en me réveillant, ma tristesse m’est revenue car la nuit j’ai rêvé à Elle et à sa famille. Oh ! un triste rêve : Elle était malade. Quelle peine j’ai eu. J’en est presque pleuré. Puis il faut reprendre sa tache quotidienne. Pauvre être que je suis en proie à la souffrance. Quand pourrai-je être heureux auprès d’Elle.
Cette après-midi nous nous sommes rendus à l’Observatoire. 12 kilom. aller et retour. Je ne sens plus mes jambes. Beaucoup de choses sont restées obscures pour moi mais j’applaudis pourtant aux beautés de la Science.
Cet Observatoire est tout entouré de bois. Je pensais alors à Elle avec qui j’aurais tant aimé me promener au milieu de cette belle nature.
 
Jeudi 16
Oh ! aujourd’hui c’est un grand jour qu’il faudrait marquer d’une pierre blanche
J’ai envoyé une carte à ses parents les invitant à une fête donnée à l’Eglise Vaudoise. J’ai longtemps hésité pour envoyer cette carte, puis brusquement je l’ai laissée tomber dans la boîte aux lettres en me disant « Alea jacta est »
Qu’arrivera-t-il ? J’ai bon espoir, je La reverrai.
 
Vendredi 17
Toute la journée je suis agité en pensant à cette carte que j’ai envoyée. Elle sera certainement arrivée. Quel accueil aura-t-elle reçue ? Que penseront-ils de moi ? Viendront-ils demain soir ? Que dira maman ? Pourtant cette carte n’a rien de terrible. Toutes ces idées me traversent l’esprit et me font rêver. Cependant je suis content car demain soir je pourrai sortir et aller assister à la fête.
 
Samedi 18
Je tremble à l’effet qu’aura produit cette carte. O joie, ô bonheur inespéré Elle a répondu à mon appel et le soir je l’ai vue à la fête avec ses deux sœurs. O soirée inoubliable où mon cœur se fondait, où tout s’exaltait en moi quand assis près d’Elles je leur parlai.
Non c’est trop de bonheur.
 
Dimanche 19
Hélas ces heures sont passées, ces quelques heures de vrai bonheur. Quand reviendront-elles. Aujourd’hui la mélancolie m’a saisi, qui se transformera en tristesse le soir quand voyant danseurs et danseuses évoluer je pense à samedi. O cher souvenir quelle douleur me causes-tu ?

 
Lundi 20
Réveil lugubre bien qu’à la maison. Il faut recommencer une nouvelle semaine et ma pensée se reporte tj à samedi. Quel malheur m’accable. Quelle sourde douleur me ronge. Je suis dégoûté de tout.
Même le soir cette tristesse ne veut pas me quitter. Oh ! Elle, Elle, Elle ! mon grand amour.
 
Mardi 21
Ma tristesse continue. Toujours ma pensée va vers Elle. Oh ! la bonne soirée que j’ai passée samedi.
Et pendant qu’il va pleuvoir au dehors je pense à Elle qui doit rentrer de son travail et se diriger vers la maison familiale. Oh ! cher amour !
 
Mercredi 22
Ma tristesse s’est un peu atténuée. Nous avons été visiter le Musée Océanographique de Monaco, l’Aquarium et le Jardin Exotique.
 
Jeudi 23
Il fait lourd. Le temps est maussade. J’ai sommeil. Elle !
 
Vendredi 24
Ma tristesse m’est revenue car hier j’ai été à la maison et j’ai repensé à toutes les bonnes choses de samedi. Hélas que faire Dimanche je dois aller aider les organisateurs d’une fête de la Jeunesse scolaire. Nous avons reçu au dernier moment l’ordre de faire des programmes
Ils ne seront jamais faits.
Le soir Comp. trimestrielle de C. F. Etablir un parallèle entre Voltaire et Victor Hugo.
Demain nous devions avoir vacance. Hélas c’est reporté à la Pentecôte.
Cela m’ennuie fort et ce n’est pas fait pour dissiper ma tristesse.
 
Samedi 25
Nous avons accompli un tour de force et après un travail de trois heures ce matin nous avons fait 70 programmes qui sont loin d’être mal.
Ma tristesse augmente vers le soir car il y a une semaine je m’en allais à la maison et le soir je pouvais voir Celle vers qui tendent tous mes vœux.
 
Dimanche 26
Toute ma journée a été prise par la Fête de la Jeunesse, le matin au théâtre et l’après-midi où j’ai du participer au défilé des enfants. Mais tout a très bien marché.
Pourtant le soir j’étais bien triste car…
 
Lundi 27
Je suis encore triste mais j’espère Des jours meilleurs viendront.
 
Mardi 28
Journée sans histoire.
 
Mercredi 29
Ce soir, veille de l’Ascension, je peux aller coucher à la maison. Cela me réjouit : c’est toujours une nuit. Je me suis plongé dans la lecture des Souvenirs d’Enfance et de Jeunesse, de Renan et j’en éprouve un immense plaisir. Jamais je n’aurai cru cet auteur si intéressant. Son style est clair, sa pensée juste et à la portée de tous.
 
Jeudi 30
Le temps s’est remis. Nous avons été passer la journée aux Bouches du Lo[up ? papier déchiré].
Bonne journée. Mais Elle était absente
J’y ai pensé tout le jour et je pensais aussi qu’Elle devait m’aimer du même amour que j’ai pour Elle. Qu’elle se consumait peut être comme moi.
 
Vendredi 31
Je ne peux écrire ces lignes en paix, sans être gêné par d’horribles raseurs. Hélas, je suis de nouveau triste. Cette nuit passée à la maison, cette journée passée au grand air et puis cette brusque apparition : réveil à 6 heures retour au travail, loin d’Elle.
Ce soir composition de philosophie. Je ne sais trop si j’ai traité le sujet. Enfin c’est la dernière des compositions à faire à l’Ecole.
 
Samedi 1° Juin
Cette nuit j’ai rêvé à Elle et à ses parents. Oh ! quelle tristesse ce matin. Cette après midi, pendant la longue étude ce que je peux souffrir loin d’Elle. Sans cesse ma pensée quitte l’Agriculture que [je- papier déchiré] révise pour aller vers Elle, Elle mon [seul-papier déchiré] espoir, mon grand amour.
 
Dimanche 2
Premier dimanche de Juin. Bon dimanche. Le soir je calcule que je n’ai plus que 2 dimanches à rentrer à l’école
 
Lundi 3
Rien de marquant si ce n’est un 10/20 en Grammaire et un 14 en Géographie. Une nouvelle semaine est entamée. Je me sens dispos et plus joyeux. Il y a déjà un mois que papa est parti
 
Mardi 4
Je continue mes révisions tout en pensant à Elle. Je ferais tout pour Elle.
 
Mercredi 5
Encore de longues heures d’étude aujourd’hui. Les révisions continuent.
 
Jeudi 6
Une version italienne difficile.
Le temps est beau et je suis heureux de sortir.
A la maison j’éprouve une grande joie. J’ai appris de très bonnes choses.
 
Vendredi 7
A l’heure où je rédige cette journée je suis en état d’ébullition. Il y a 2 heures 1/2 que je travaille à une Compo. fran. sur Renan. Les idées affluent et s’entrechoquent en ma tête. A part cela rien de particulier.
 
Jeudi 13
De nouveau ici après quatre jours de congé. Oh ! quelle horrible chose. Je ne puis plus me sentir dans cette Ecole
Je voudrais tout quitter et rester à la maison. Quelle affreuse chose ! Loin d’Elle, loin de son amour, moi qui ferais tout pour Elle. Que ça peut être terrible. Trouverais-je une raison afin de terminer le mois à la maison et la voir chaque jour ?
 
Vendredi 14
Ma tristesse continue surtout ce matin où elle atteint son paroxysme. Je touche au désespoir. Encore 16 jours avant de sortir d’ici. Que je suis malade mentalement ! J’en ai assez de tout.
 
Dimanche 16
Mon dimanche a été agréable car j’ai pu la voir sans toutefois lui parler. Mais après la tristesse m’est revenue.
 
Lundi 17
Ce matin désespoir. Loin d’Elle. Je cherche tous les moyens pouvant me permettre d’aller à la maison jusqu’à l’examen. Ce désespoir est accru par certaines manières d’un professeur à qui je voudrais bien dire ce que je pense. J’apprends que l’examen oral commencera lundi prochain. Aussi je renonce à aller à la maison cette semaine. Peut-être la semaine prochaine. On verra
Plus que 15 jours et puis je La verrai. Elle si belle et si gentille.
 
Mardi 18
Peu de choses aujourd’hui. Je suis saturé de toutes sortes de choses. Mon cerveau ne veut plus rien assimiler.
 
Mercredi 19
Encore journée de revisions. Je languis d’être à demain pour aller à la maison afin qu’on me parle d’Elle.
 
Jeudi 20
Hélas ! je ne l’ai pas vue mais ce qui me console c’est qu’il ne reste plus que 10 jours à passer dans cette Ecole
 
Vendredi 21
J’ai la tête farcie de toutes sortes de choses, c’est un affreux mélange qui me fait mal. Je languis de me dégager de ce milieu, de tous ces gens qui souvent m’écœurent.
 
Samedi 22
O joie immense : je peux aller à la maison dès le début de l’après-midi et y coucher. Mais désespoir : le soir il fait mauvais temps et je ne peux La voir.
 
Dimanche 23
Aujourd’hui j’ai vingt ans. Beaucoup m’ont fait des souhaits. J’ai bien mangé et bien bu mais le soir je suis totalement désespéré à cause d’Elle et je l’avoue à maman.
C’est le dernier dimanche à rentrer à l’Ecole. Je voudrai fuir au lieu de rentrer.
 
Lundi 24
Ce matin épreuve de manipulations. Je suis encore tombé en Chimie : les eaux naturelles. J’aurai volontiers tout envoyé promener car mes nerfs étaient à fleur de peau.
L’après-midi épreuve pratique d’Agriculture qui n’a pas mal marcher
Mais le soir je suis bien fatigué.
 
Mardi 25
Les révisions continuent. Le B. S approche Il fait chaud. Je pense à Elle. J’aurais tant de choses à dire.
 
Jeudi 27
Joie ! aujourd’hui j’apprends des choses agréables sur Elle. Aussi je suis content.
 
Samedi 29
Enfin l’Ecole est terminée. J’ai défait mon lit à jamais. Je suis bien heureux. Ce soir je pourrai aller La voir.
Et lundi l’examen.